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Les oeuvres d'art sont faites pour être fréquentées (Soulages)
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Peintures
Ces dossiers réalisés par nos spécialistes vous permettront de
découvrir, aussi bien au travers d'entretiens avec des peintres renommés
que par des rétrospectives sur un genre ou courant, les trésors de la
peinture au fil du temps.
L'ART POMPIER ENTERRE PUIS RESSUSCITE par Adrian Darmon
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Cet article se compose de 20 pages.
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Flirtant parfois avec l'Impressionnisme, Gervex sut accommoder à la sauce académique les découvertes des novateurs et devint un peintre mondain fort apprécié. En outre, Gervex ne se montra pas insensible à l'art de Renoir ou de Monet. Autre peintre de nus qu'on pourrait juger comme libidineux, Bouguereau fut bien plus que Guillaume Seignac le peintre de la femme dans toutes les représentations possibles mais acceptables. Toutefois, il ne fut pas entièrement accepté par la critique et les amateurs, Huysmans écrivant un jour au sujet de sa Naissance de Vénus qu'il avait inventé «la peinture gazeuse, la pièce soufflée» et que ce n'était même plus de la porcelaine, mais du «léché flasque...comme de la chair molle de poulpe». Guillaume Seignac, "Psyché" Néanmoins, cela n'empêcha pas Bouguereau de vendre ses toiles à prix d'or entre 100 000 et 150 000 francs, somme atteinte en vente à New York en 1914 alors que les Cubistes et les Fauves avaient révolutionné le monde de la peinture. Aujourd'hui ses toiles sont à nouveau recherchées à coups de millions, ce qui démontre que les Pompiers sont maintenant sortis du purgatoire dans lequel on les avait plongés durant plus de 70 ans.
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Peu avant la Première Guerre Mondiale, l'art de la Belle Epoque a été appelé Pompier par dérision à partir du moment où les peintres impressionnistes ont triomphé après avoir eux-mêmes subi les moqueries du public durant de longues années. Les peintres académiques ne méritaient certainement pas l'infamante appellation de Pompiers car ils n'étaient pas dénués de talent dans l'ensemble. En fait, leur seul tort avait été d'être pour la plupart les récipiendaires de commandes officielles, ce qui leur valut d'être haïs par ceux qui étaient rejetés par le jury du Salon. De plus, on classa dans la catégorie des Pompiers des artistes qui firent souvent preuve d'originalité et d'audace dans leurs oeuvres comme Gustave Moreau ou Puvis de Chavannes alors que les purs tenants de l'académisme tels que Meissonier, Carolus-Duran ou Bouguereau ne se limitèrent pas toujours à produire de mièvres images. Tous ces peintres ou presque avaient une technique prodigieuse et une grande culture artistique alors que Renoir passa près de trente années à douter de son talent avant de trouver le succès. Il ne faudrait pas non plus oublier que les Impressionnistes produisirent aussi des tableaux qui n'étaient pas tous des chefs d'œuvre alors que certains collectionneurs qui avaient osé miser sur ces derniers achetaient également des oeuvres académiques. Il n'était ainsi pas rare de voir se côtoyer dans quelque appartement un Manet à côté d'un Bouguereau. Edouard Joseph Dantan, "Un coin du Salon", 1880 Il est non moins vrai que les peintres officiels étaient les représentants de la bourgeoisie et que comme tels les milieux populaires les rejetaient. En 1880, il y avait donc deux mondes bien distincts quoique certains bourgeois n'hésitaient pas à collectionner les oeuvres de peintres liés à des courants autres que l'académisme. Après l'apparition des automobiles, le développement de nouvelles techniques et le déclenchement de la Première Guerre Mondiale, les mentalités évoluèrent extraordinairement. Le Cubisme venait de naître et les Impressionnistes étaient enfin portés au pinacle. La Belle Epoque était morte et l'académisme avec. Entre 1850 et 1900, la bourgeoisie de cette époque vécut dans la plus parfaite hypocrisie et dans ce contexte, l'académisme fut un paravent idéal de la morale. Les Pompiers produisirent ainsi nombre de nus épilés qui transformaient les visiteurs mâles du Salon en autant de voyeurs. Par ailleurs, les peintres académiques furent les dignes représentants de leur temps et la bourgeoisie put à loisir se mirer dans leurs oeuvres qui reflétaient des anecdotes et des histoires. Adolphe Alexander Lesrel, "Bacchante enivrée"
Les peintres Pompiers exaltèrent ainsi les faits d'armes de l'armée française, la sacrifice maternel et filial et ce, avec un réalisme poussé au plus haut point. Les peintres se limitaient au sujet mais en faisant cependant des choix extravagants. Ces sujets peuvent aujourd'hui prêter à rire mais au XIXe siècle ils représentaient l'état d'esprit d'une large frange de la société. Bénéficiant du mécénat de l'Etat, les peintres académiques constituaient une caste à part. Ils étaient invités à toutes les manifestations officielles et vivaient dans une atmosphère de vénération avec l'aide de critiques serviles. Forts de l'appui de fonctionnaires à la botte du pouvoir en place, ces peintres reçurent des quantités de commandes officielles durant quarante ans et ce, pour décorer de nombreux édifices sans parler des achats de l'Etat et des villes. Vivant royalement et formant une communauté bien distincte, les peintres officiels s'étaient partagés les commandes de l'Etat. Parmi les plus en vue, Meissonier peignait les lansquenets et des scènes de la gloire du Premier Empire, Detaille les batailles, Cormon la préhistoire, Jean-Paul Laurens l'histoire de France, Chaplin et Bouguereau les nus faussement pudiques, Dagnan-Bouveret les banquets, Gervex les petites femmes et des scènes d'alcôves, Carolus Duran les dames de la haute société et Bonnat les présidents de la République. Ces peintres vivaient aussi pour la plupart dans le périmètre du XVIIe Arrondissement nouvellement créé. Leurs ateliers étaient immenses et décorés souvent à l'orientale ou dans l'esprit médiéval et leurs collections d'objets ou de tableaux étaient impressionnantes. De plus ils étaient accoutrés d'une manière souvent fantaisiste comme Gérome, Carolus Duran ou Albert Besnard qui se déguisaient en mousquetaires ou en nobles du XVIIe siècle alors que Bonnat, Bouguereau ou Gervex peignaient en redingote. Toute leur vie artistique se modulait autour du Salon officiel et à partir de 1881 du Salon des Artistes Français, le lieu des réunions mondaines où s'établissaient les réputations à travers les récompenses décernées lesquelles servaient à établir les cotes des peintres. Le Salon était un passage obligé vers le succès et de nombreux peintres indépendants comme Manet ou Cézanne tentèrent plus d'une fois d'y être admis dans l'espoir d'attirer une nouvelle clientèle.
Le Salon était donc un «must» tant pour les artistes que pour les visiteurs qui s'y rendaient pour être vus. Examen de passage pour les artistes pour qui une médaille annonçait une année fructueuse, endroit à la mode pour les visiteurs qui attendaient impatiemment cet événement lequel faisait courir le Tout-Paris, surtout lors du vernissage inauguré le matin par le président de la République en personne. Le Salon réunissait des tableaux qui, hormis les sujets, semblaient tous se ressembler. On y voyait des oeuvres d'inspiration biblique, des nymphes, des Madones, des scènes militaires, des mousquetaires, des personnages en costumes Louis XV ou Louis XVI, des scènes d'intérieurs avec des ecclésiastiques bons vivants ou des soubrettes, des vues de Paris avec des piétons sur les Grands Boulevards où des endroits fréquentés comme la place de la Concorde, les Champs-Elysées, la Madeleine ou le Bois de Boulogne, des scènes orientalistes, des personnages élégants dans des théâtres ou des cafés chics, des scènes représentant des ports ou d'autres vantant les travaux de la ferme, des tableaux cocardiers et des quantités incroyables de nus. Ces nus, peints souvent d'une manière équivoque, convenaient d'ailleurs parfaitement à la lubricité voilée des amateurs. William, Adolphe Bouguereau, "L'étoile perdue", 1884 Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ces amateurs n'étaient pas légion mais assez fortunés pour acheter chaque année de nombreuses toiles. Chauchard, un ancien calicot qui créa les Grands Magasins du Louvre, fut parmi ceux-là. Disposant d'une fortune considérable, il patronna les arts et acquit plusieurs oeuvres de Meissonier et des dizaines d'autres peintures d'artistes académiques.
Propriétaire de l'Angelus, entouré d'une cour de flagorneurs, Chauchard était d'une incroyable vanité qui frisait souvent le ridicule. Son principal souci fut de prévoir ses obsèques avec plusieurs années d'avance mais ce jour-là (le 10 juin 1909), ses employés manifestèrent violemment leur courroux au passage de son cortège funèbre après avoir appris qu'il ne leur avait pas légué un centime. Par contre, le mécène avait eu l'heureuse générosité d'offrir au musée du Louvre son Angelus, ses Troyon, ses Diaz et ses Meissonier. En 1890 naquit le Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts à l'initiative de Meissonier qui n'avait pu briguer le poste de président des Artistes Français. Il entraîna à sa suite Gervex, Puvis de Chavannes, Carolus Duran, Carrière, Besnard, Raffaelli, Boldini et Béraud, le peintre des scènes parisiennes par excellence. Toutefois, la Nationale eut à souffrir quelques années plus tard de la concurrence du Salon d'Automne qui finit par la noyauter. Edouardo Leon Garrido, "Café parisien" En 1884 avait été également créé le Salon des Indépendants avec Seurat, Odilon Redon et Signac comme chefs de file mais celui-ci fut vite considéré comme une émanation du Salon des Refusés auquel avait pris part les Impressionnistes quelques années auparavant. La création en 1903 du Salon d'Automne inquiéta plus les membres des Artistes Français puisqu'il s'installa au Grand Palais malgré l'opposition des Pompiers.
Les marchands furent quant à eux assez rares jusqu'en 1890 et la plupart, même ceux qui défendaient les Impressionnistes, vendaient des oeuvres académiques pour survivre. Parallèlement quelques grandes galeries furent ouvertes comme celle de Georges Petit en 1882 laquelle attira toute la société d'amateurs fortunés jusqu'en 1920. Petit, pour qui Meissonier était le dieu de la peinture, parvint à vendre et à revendre L'Angelus de Millet qui atteignit en dernier ressort la somme d'un million de francs-or. Il fut d'autre part engagé dans une lutte acharnée avec Durand-Ruel et finit par exposer et vendre des oeuvres impressionnistes plus par nécessité que par goût. L'académisme était né avec David durant ses années d'exil à Bruxelles mais ce dernier ne voyait sa peinture qu'à travers l'antique. Ingres, pour sa part, préféra faire référence à Raphaël, notamment lorsqu'il peignit Le Bain Turc et se posa en défenseur acharné de l'académisme, devenant ainsi le père des Pompiers. Ingres avait ainsi imposé un nouveau style et ce, malgré certaines libertés prises avec les anatomies de ses sujets. Avec lui était né un courant académique de bon ton alors que Delacroix et les peintres Romantiques avaient essayé en vain d'imposer des réformes au niveau de l'enseignement artistique. Il y eut ensuite cette longue guerre qui opposa les peintres académiques aux Impressionnistes et qui dura cinquante ans pour aboutir à la défaite des Pompiers. Cette guerre se déclencha avec le Salon des Refusés créé en 1863 par Napoléon III qui voulut se montrer bon prince. Cela conduisit à des protestations des artistes officiels et à des commentaires peu amènes de la part des critiques alors que le public prit l'habitude d'aller s'offrir de franches séances de rigolades devant des tableaux qu'il ne comprenait pas. Manet, dandy bourgeois, fut très affecté d'être ainsi rejeté surtout lorsque son Olympia, exposée au Salon de 1865, fut la cause d'un scandale qui amena les organisateurs à reléguer le tableau dans un recoin obscur du lieu d'exposition. De plus, Manet ne fut jamais très lié aux peintres impressionnistes, mais comme eux il apportait une nouvelle conception de la peinture en bousculant les principes de David et de Ingres. Le public était plutôt inculte et se fiait avant tout aux critiques lesquels ne se privaient pas de tirer à boulets rouges sur les Impressionnistes qui heureusement trouvèrent des défenseurs parmi des écrivains comme Zola Anatole France ou Octave Mirbeau qui alla jusqu'à acheter deux toiles de fleurs de Van Gogh. D'autres, comme Proust qui admirait autant Helleu que Monet, adoptèrent une voie médiane.
Les adversaires les plus coriaces des peintres novateurs furent quelques artistes académiques comme Couture, Cabanel et Gérome qui les empêchèrent d'exposer au Salon et les discréditèrent auprès des marchands et des collectionneurs. Jean-Léon Gérôme, "Arnaute fumant" Courbet haïssait Couture qui avait assuré sa gloire en peignant des scènes de la décadence de Rome alors que Cabanel, auréolé par son succès du Salon de 1865 où il avait présenté La Naissance de Vénus, tableau qui fut acheté par l'Empereur et qui lui valut en prime la Légion d'honneur, pourfendit les Impressionnistes avec férocité jusqu'à sa mort en 1889. Gérome, qui était doté d'un talent certain pour peindre des nus et des scènes orientalistes, était d'un naturel enjoué. Grand voyageur, vivant dans le plus grand des conforts, facétieux, il n'en resta pas moins un apôtre inflexible de l'académisme. Ennemi juré des Impressionnistes, il fit tout pour leur barrer la route et s'opposa avec véhémence à l'acceptation en 1894 du legs Caillebotte par l'Etat. Pour lui, l'Impressionnisme constituait le «déshonneur» de l'art français et les oeuvres des peintres appartenant à cette mouvance n'étaient rien d'autres que des «ordures». Parmi les adversaires des Impressionnistes, on peut également citer Gleyre qui eut Monet, Sisley, Bazille et Renoir comme élèves. Toutefois, ce tenant de l'académisme se montra moins farouche envers eux.
En 1889, malgré le triomphe naissant des Impressionnistes, le public admirait surtout les oeuvres des derniers défenseurs de l'académisme, celles de Bastien-Lepage, Roybet, Chartran, Roll ou Detaille. Ferdinand Roybet, "La Sarabande", 1895 | Jean-Baptiste Détaille, "Soldats bavarois sous la garde de cavaliers français" | Trente ans plus tard, l'art Pompier était mort mais de nombreux critiques s'en prenaient encore aux Impressionnistes et vouaient le Fauvisme et le Cubisme aux gémonies. Auparavant, l'académisme avait enregistré des revers sérieux, notamment en 1890 lorsque l'Olympia de Manet fut achetée par l'Etat et lorsque celui-ci accepta quatre ans plus tard le legs Caillebotte. Mort à 45 ans, Gustave Caillebotte avait légué à l'Etat 67 peintures, dont Le Balcon de Manet, Le Moulin de la Galette de Renoir, deux Cézanne, dix-huit Pissarro, neuf Sisley et trois Degas, et avait demandé que sa collection soit exposée au Luxembourg avant d'être envoyée au Louvre. Ce souhait avait été considéré comme une provocation par les tenants de l'académisme et Renoir, exécuteur testamentaire, dut batailler trois ans pour obtenir qu'une partie du legs soit acceptée alors que onze toiles de Pissarro et huit de Monet furent finalement rejetées. Plus tard, de nombreux peintres académiques se mirent à adapter l'Impressionnisme à leur manière, tels Gervex ou Carolus Duran alors que certains nouveaux venus comme Henri Martin et Henri le Sidaner trouvèrent une nouvelle inspiration à travers les Divisionnistes.
Parmi les représentants de l'académisme, certains flirtèrent quelque peu avec l'Impressionnisme tels Alfred Stevens, James Tissot ou Paul César Helleu qui furent les peintres d'un univers quelque peu proustien qui disparut durant la tourmente de la Première Guerre Mondiale. Alfred Stevens, "La douloureuse certitude" Estimé par Degas, Stevens se laissa séduire par les sirènes du succès tandis que Guillemet (1842-1918), assez fortuné pour ne pas se montrer agressif vis à vis des novateurs, fit de son mieux pour permettre aux Impressionnistes de mieux se faire connaître. Pour sa part, Degas fut très lié à Forain, Boldini, Zandomeneghi et Helleu alors que Monet fréquentait John Singer Sargent. Tissot, qui fut un temps très proche de Degas, abandonna la représentation de scènes bourgeoises et bucoliques pour la peinture religieuse et se sépara de sa collection de tableaux impressionnistes et Degas lui-même finit par se fâcher avec la plupart d'entre eux.
DES ROIS QUI FINIRENT PAR ETRE DETRONES Meissonier fut assurément le «Roi des Pompiers», le gardien vigilant de l'académisme et ce, pendant près de 50 ans. Concernant le territoire des Pompiers, y avait en premier lieu les peintres d'histoire, puis les sous-traitants de l'histoire et de la mythologie, les décorateurs d'édifices publics, les peintres militaires, les portraitistes, les peintres de paysages et de natures mortes. Meissonier était ainsi considéré comme le maître des maîtres et jouissait d'un prestige sans égal. Pour lui, les généraux faisaient manoeuvrer leurs troupes et le régime songea même à le faire nommer sénateur à vie. Jean-Louis Meissonier, "La bataille de Friedland", 1807 Il faut dire que sous Napoléon III et jusqu'en 1895, c'était la minutie de l'exécution qui faisait se pâmer les amateurs. Fort d'un succès remporté au Salon de 1836, Meissonier se contenta sa vie durant de peindre des tableaux bien léchés qu'il vendait à des prix incroyables comme son tableau 1814 qu'il céda pour 850 000 francs à Chauchard. Malgré une vie fastueuse, il laissa quand même deux millions à son fils lorsqu'il mourut. Vaniteux au plus haut degré, Meissonier fut l'ennemi juré de toute nouveauté et se chargea également d'écarter de sa route de possibles rivaux. A sa mort, le Kaiser lui-même envoya ses condoléances à Sadi Carnot en regrettant la disparition d'un homme «qui fut une des grandes gloires de la France et du monde entier». Mais au lendemain de ses funérailles sa cote commença à s'effondrer, annonçant 20 ans à l'avance la débâcle des Pompiers.
Jean-Louis Meissonier, "Maurice, comte de Saxe" Cormon de son côté s'était créé une spécialité : la préhistoire. Cela lui valut un flot de commandes de l'Etat et à 25 ans il était déjà médaille d'or du Salon et à 35 officier de la Légion d'honneur. Devenu célèbre avec "La Fuite de Caïn" en 1880, il fut un des Pompiers qui eurent le plus grand nombre d'élèves et il eut le privilège de former certains des peintres les plus novateurs comme Toulouse-Lautrec, van Gogh, les Nabis, Matisse ou Picabia. Fernand Cormon, "Le harem" Au contraire de Meissonier, Cormon se montra conciliant avec les novateurs et l'harmonie régna dans son atelier jusqu'au jour où son élève Emile Bernard, alors âge de 17 ans, se permit de le critiquer violemment et d'inciter ses condisciples à peindre comme les Impressionnistes. Cormon ferma alors son académie puis rompit les ponts avec Matisse et d'autres peintres rebelles. A la fin de sa vie, il ne cessa pas de s'en prendre à Pissarro, Picasso ou Picabia confondant les uns et les autres dans ses diatribes.
Par ailleurs, Jean-Paul Laurens ne peignit pratiquement que des tableaux funèbres tout comme Debat-Ponsan qui produisit également des portraits de parlementaires et qui, lorsqu'on lui parlait de Monet rétorquait qu'il n'y avait rien à dire car celui-ci n'avait pas eu de comme lui médaille d'or au Salon. Edouard-Bernard Debat Ponsan, "Napoléon à la bataille de Friedland" Un autre chantre du réalisme fut Francis Tattegrain (1852-1915) alors que Georges Rochegrosse s'était fait une spécialité des scènes babyloniennes pleines de femmes nues. Maniaque de la reconstitution historique, Rochegrosse n'hésita pas à effectuer des voyages en Orient comme Gérome afin de se documenter. Parmi les autres sous-traitants de l'histoire il y eut aussi Paul Baudry, Roll, Lehman, Lefebvre et Gervex. Henri Lehmann peignit les plafonds de l'Hôtel de Ville qui fut détruit dans l'incendie de 1870. Paul Baudry produisit les peintures du foyer de l'Opéra et ne resta pas insensible au nouveau style imposé par les Impressionnistes à la fin de sa vie. Alfred Roll décora pour sa part de nombreux édifices. Comblé de commandes il couvrit de morceaux de bravoure laïques et républicains les murs de l'Hôtel de Ville et devenu président de la Société nationale des Beaux-Arts, il n'hésita pas à aider de jeunes artistes en leur confiant une partie des commandes officielles dont il était submergé. Jules Lefebvre (1836-1911) se spécialisa dans la représentation de femmes nues plantureuses après avoir commencé dans le genre funéraire. Son tableau Lady Godiva fut l'œuvre de sa vie qu'il offrit pour la modique somme de 10 000 francs au musée d'Amiens, sa ville natale. Par contre Henri Gervex, vedette du Salon et roi de la société parisienne, sut offrir quelques oeuvres étonnantes comme le tableau de Rolla qui fit scandale au Salon de 1878 pour immoralité. Représentant une jeune femme endormie sur un lit, le corps entièrement nu, le sexe recouvert d'un bout de drap, éclairé par les premiers rayons du soleil, le personnage de Rolla se tenant debout, vêtu d'un pantalon et d'une chemise au col ouvert devant la fenêtre ouverte, en train de contempler sa jeune maîtresse, ce tableau avait de quoi mettre en émoi plus d'une âme sensible.
Flirtant parfois avec l'Impressionnisme, Gervex sut accommoder à la sauce académique les découvertes des novateurs et devint un peintre mondain fort apprécié. En outre, Gervex ne se montra pas insensible à l'art de Renoir ou de Monet. Autre peintre de nus qu'on pourrait juger comme libidineux, Bouguereau fut bien plus que Guillaume Seignac le peintre de la femme dans toutes les représentations possibles mais acceptables. Toutefois, il ne fut pas entièrement accepté par la critique et les amateurs, Huysmans écrivant un jour au sujet de sa Naissance de Vénus qu'il avait inventé «la peinture gazeuse, la pièce soufflée» et que ce n'était même plus de la porcelaine, mais du «léché flasque...comme de la chair molle de poulpe». Guillaume Seignac, "Psyché" Néanmoins, cela n'empêcha pas Bouguereau de vendre ses toiles à prix d'or entre 100 000 et 150 000 francs, somme atteinte en vente à New York en 1914 alors que les Cubistes et les Fauves avaient révolutionné le monde de la peinture. Aujourd'hui ses toiles sont à nouveau recherchées à coups de millions, ce qui démontre que les Pompiers sont maintenant sortis du purgatoire dans lequel on les avait plongés durant plus de 70 ans.
William, Adolphe Bouguereau, "Caïn et Abel", 1861 En ce qui concerne les tableaux patriotiques, les peintres militaires bénéficièrent de l'esprit de revanche qui anima les Français entre 1870 et 1900 et ne s'embarrassèrent pas de transformer les épisodes les moins glorieux de la guerre en autant de gestes glorieux et héroïques. Detaille fut un grand spécialiste des batailles et son tableau Le Rêve déclencha des tonnes de littérature revancharde. Elevé dans le culte de Napoléon, il chercha à être l'illustrateur des gloires militaires et séduisit Meissonier qui le prit comme élève. La guerre de 1870 fit sa gloire tout comme celle d'Alphonse de Neuville. Reçu comme un chef d'Etat par la haute société parisienne, il vécut à la manière d'un général tout en se montrant affable et facétieux à certains moments. Jean-Baptiste Detaille, "Retour de carabiniers de la charge"
Neuville (1835-1885) fut encore plus apprécié que Detaille comme peintre alors que Poilpot (1848-1915) se situa dans la catégorie inférieure. En 1965, les oeuvres de ces peintres patriotes ne valaient plus que quelques centaines de francs dans les salles de vente... Jules Breton, "Les communiantes", 1884 Parmi les peintres paysagistes, Harpignies, Cazin, Delpy, Ziem, Jules Breton, Fritz Thaulow, Léon Lhermitte et Bail furent les plus vues tandis que John Lewis Brown se spécialisa dans la représentation de chevaux et de chiens. Joseph Bail, "Garçon avec des chiots" | Fritz Thaulow, "Soleil printanier au Norvège" | Harpignies (1819-1916) fut un sacré bon vivant qui eut d'innombrables maîtresses. Ziem (1821-1911) répéta à l'envi des vues de Bosphore une fois le succès venu. Lhermitte (1844-1925) peignit des scènes champêtres qui n'étaient pas dénuées de charme. Léon Auguste Lhermitte, "Intérieur de ferme"
François Bonvin, "Nature morte au citron et aux huîtres" | Antoine Vollon, "Nature morte" | Spécialistes de la nature morte, Bonvin et Vollon séduisirent une clientèle bourgeoise ravie de trouver les accents de Chardin dans leurs tableaux tandis que Madeleine Lemaire fut considérée comme la Berthe Morisot des Pompiers et devint une peintre de fleurs très en vogue avant de mourir complètement oubliée. Madeleine Jeanne Lemaire, "Femme assise dans un fauteuil Dagobert" Les portraitistes de la Belle Epoque méritent néanmoins de ne pas être tous considérés comme des peintres ennuyeux ou ignares. Bonnat eut le mérite de se constituer une belle collection de tableaux qu'il légua au musée de Bayonne. Ami de Degas, il amassa des dessins de Vinci, La Madone à la Grenade de Botticelli, plusieurs Rembrandt, des études de Rubens, quelques oeuvres de peintres du XIXe siècle comme Ingres ainsi que des bronzes de la Renaissance qui le faisaient trembler d'émotion lorsqu'il les achetait. Il n'éprouva pas toujours d'animosité envers les peintres novateurs, sachant apprécier le travail de Degas ou d'autres d'artistes mais parfois son esprit Pompier reprenait le dessus et le rendait intolérant. Léon Joseph Florentin Bonnat, "Portrait de Marthe et Thérese Galoppe", 1889
Bonnat se montra aussi très critique de Toulouse-Lautrec mais fut très amical à l'égard de Othon Friesz et l'encouragea à préparer le Prix de Rome. En outre, il fit campagne pour l'élection de Rodin à l'Académie des Beaux-Arts Bonnat, mort en 1923, admirait beaucoup la peinture espagnole et notamment celle de Frederico de Madrazo. Ce Bayonnais qui aimait raconter des histoires légères connut le succès avec son portrait de Thiers en 1874 qui lui permit d'être le portraitiste de gens célèbres. Carolus Duran (1837-1917), de son vrai nom Charles Durand, était également si vaniteux qu'il se prenait pour l'égal de Vélasquez, ce qui ne l'empêcha pas d'être un portraitiste recherché par la haute société parisienne. Il devint le beau-père de l'auteur de comédies Georges Feydeau. Charles-Emile Auguste Carolus-Duran, "Nu au journal" Il avait pourtant démarré sa carrière aussi pauvre que Job mais la chance fut à ses côtés plus d'une fois jusqu'au jour où le succès fut au rendez-vous.
Il fut malgré tout l'ami de Manet qui peignit son portrait et décora sa maison de Montgeron. S'il se montra très conciliant vis-à-vis des Impressionnistes, il marqua cependant une certaine incompréhension concernant les Fauves et fit campagne contre l'octroi du Grand Palais au Salon d'Automne en 1903. Nanti de nombreuses commandes, il se laissa aller à une certaine facilité qui le priva d'aller plus loin dans l'élaboration de nombreuses oeuvres. Parmi les Pompiers il y eut également Théodule Ribot (1849-1891) que Manet admirait et qui peignit des tableaux qui n'étaient pas dénués d'intérêt, Elie Delaunay (1828-1891) qui se consacra souvent à la peinture religieuse, Lévy-Dhurmer (1865-1953), un spécialiste du pastel, Henner, peintre des jeunes femmes rousses, Clairin, qui produisit des nus bien charpentés, Jacques-Emile Blanche, Aman-Jean, Caro-Delvaille, Flameng, Helleu, Boutet de Monvel, Ballavoine et bien d'autres encore qui furent les dernières grandes vedettes du Salon. Paul César Helleu, "La connaisseuse, portrait de madame Helleu" | Jules Frédéric Ballavoine, "Les peintres de dimanche" |
Henner (1829-1905) était un brave Alsacien qui travaillait dans un atelier mal rangé. Malgré les sommes considérables qu'il gagnait, il vivait en économe et plaçait son argent dans des terres. Il se contenta de peindre des femmes rousses se détachant de profil sur un fond flou et uniforme alors que des amateurs quelque peu stupides osèrent le comparer à Giorgione ou au Titien. A 30 ans, il décrocha le Prix de Rome et se consacra au portrait après avoir peint des scènes d'histoire et de la mythologie durant une brève période. En dehors des portraits, il produisit des nus dans une manière qui rappelait celle des maîtres italiens de la Renaissance. Aujourd'hui, son musée installé boulevard Malesherbes à Paris n'attire pas plus de 20 visiteurs par semaine... Jean-Jacques Henner, "Portrait de mademoiselle Chataigner" Clairin et Helleu étaient eux très mondains. Le premier s'était surtout intéressé au milieu théâtral tandis que le second fréquentaient les milieux huppés de Londres, de Paris, des villes d'eau et des plages à la mode. Clairin peignit les portraits d'acteurs et d'actrices, notamment celui de Sarah Bernhardt et la représenta dans différents rôles. Il tira d'ailleurs sa gloire du portrait qu'il fit d'elle et qui fut acquis pour le Petit Palais. Ami intime de la star de l'époque (il déjeunait chez elle tous les jours), il la connaissait si bien qu'il n'eut pas besoin de la faire poser pour la représenter. Jules Bastien-Lepage, "Portrait de Sarah Bernhardt"
Clairin fut également frappé d'une sacrée vanité en se croyant l'égal de Gros et de Delacroix dans la peinture d'histoire. Georges Jules Victor Clairin, "A l'Opéra" Helleu (1859-1927) appréciait l'élégance de son temps et en fut le témoin. Il se montra assez séduisant tout en croulant sous des commandes pour ses dessins et ses pointes sèches mais parvint néanmoins à produire des toiles lumineuses et gaies pour son seul plaisir. Après avoir vu un Manet qui le subjugua, Helleu débuta sa carrière à 15 ans, en se payant des modèles à l'âge où le adolescents s'offraient encore des bonbons, et se montra plus tard proche des Impressionnistes par certains côtés. Son pêché mignon fut de fréquenter à tout-va des jolies femmes et d'avoir le tort d'être d'un snobisme puant. En vieillissant, il devint coléreux et vindicatif, ce qui lui valut d'avoir de nombreux ennemis. Helleu fut avec James Tissot et Jacques-Emile Blanche l'un de ces artistes de la fin du XIXe siècle qui eurent la passion de l'Angleterre. Ce portraitiste mondain fut également un amateur d'art plutôt avisé et collectionna des oeuvres de peintres impressionnistes allant jusqu'à apprécier van Gogh. Il admira également Dufy et Marquet juste avant sa mort. James Jacques Joseph Tissot, "Le printemps", 1865 Sa production de graveur lui permit d'avoir un beau succès auprès d'une clientèle américaine fortunée et le seul portrait de la duchesse de Marlborough, née Vanderbilt, lui rapporta cent mille francs, ce qui lui permit de s'offrir un yacht de 180 tonneaux avec 16 hommes d'équipage.
Les peintres espagnols furent nombreux à figurer parmi les Pompiers de Paris comme Frederigo de Madrazo (1815-1894) qui fut le premier maître de Bonnat et le beau-père de Fortuny (1838-1874), José Garcia Ramos, Julio Romero de Torres, Eduardo Leon Garrido ou la Gandara (1862-1917), un hidalgo qui s'affublait de pourpoints de velours noir et qui transformait les femmes plantureuses en autant de déesses diaphanes. Il y eut également Zuloaga (1870-1945) qui se spécialisa dans les scènes de genre, Miralles, Alonso Perez, Raimondo de Madrazo y Garretta, un Hongrois du nom de Laszlo (1862-1937) qui entreprit une carrière de portraitiste princier dans les Balkans avant de passer par la cour d'Angleterre, les Italiens Giuseppe de Nittis, Vicenzo Irolli, Carlo Brancaccio, Zandomeneghi, Boldini et quelques autres ainsi que l'Américain John Singer Sargent. Giuseppe de Nittis, "Promenade hivernale" | Raimuindo de Mandrazo y Garreta, "La sieste" | Sargent, homme distingué né à Florence, fréquenta les villes d'art et les casinos et ne découvrit les Etats-Unis qu'à l'âge de 20 ans. Fin, intelligent et cultivé, il devint l'ami de Manet, Rodin, Helleu et de Whistler mais se montra quelque peu distant avec les femmes.
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