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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
Ier Chapitre
BAILLY DANS LA LÉGENDE
01 Mai 2000 |
Cet article se compose de 9 pages.
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A ceux-là, il ne reste que le facteur chance, celui de se trouver avant lui devant la voiture d'un marchand qui vient d'arriver et de se ruer comme des morts de soif vers le coffre du véhicule dans l'espoir d'y découvrir une pièce rare et qu'ils doivent acquérir sans hésiter car soudain Bailly apparaît souvent subitement derrière eux, surgi de nulle part, piaffant et guettant l'instant où celui qui l'a précédé va commettre l'erreur fatale de retirer ses mains du tableau qu'il a examiné d'un air dubitatif. Bailly, lui, n'hésite pas. Si la toile paraît intéressante, il l'achète, quitte à se rendre compte plus tard qu'il a fait une erreur. Il n'y aurait que la mort pour stopper Charles Bailly dans sa folle course aux trésors car même agonisant, il trouverait encore la force de se lever pour aller chiner. Autre fou d'art, Pierre Rosenberg, l'homme qui préside aux destinées du Louvre. Lui, c'est pour l'Etat qu'il a découvert et arraché des pièces majeures du XVIIe siècle. Il connaît Nicolas Poussin, Charles Lebrun, Simon Vouet, Eustache Lesueur, Georges de La Tour, Murillo et bien d'autres maîtres sur le bout des doigts et voyage souvent à travers la France à la recherche de chefs d'œuvre propres à enrichir son musée. Lui aussi déambule chaque jour dans les salles de Drouot pour repérer des oeuvres qu'on croyait perdues à jamais et qui en fait étaient restées oubliées chez des gens qui n'avaient vraiment aucune notion de leur valeur. Rien, ou presque, n'échappe à son oeil aiguisé, surtout les tableaux que certains grands experts parisiens ont examinés trop distraitement. Malgré leur état souvent crasseux, Rosenberg sait parfaitement y déchiffrer la patte d'un grand maître mais une de ses hantises est de se trouver en compétition avec Bailly, son rival qui gravite dans un autre monde, celui du commerce parisien lequel n'est pas vraiment en odeur de sainteté auprès des gens du Louvre. L'homme au costume bleu-rayé et à l'éternelle écharpe rouge posée sur l'épaule, ne dédaigne pas non plus venir au marché aux Puces où il cherche des verreries vénitiennes pour son compte tout en espérant trouver pour celui de son cher musée quelque oeuvre qui aurait échappé à l'œil de rapace d'un Bailly. Danny Katz est un autre fou d'art, spécialiste des bronzes de la Renaissance qui se bagarre souvent avec d'autres marchands pour jeter son dévolu sur des sculptures qui ont jusqu'à présent échappé aux conservateurs de musées. Il a commencé son métier d'une manière curieuse il y a de cela une quarantaine d'années en se retrouvant à bord d'une voiture conduite par un ami dans les rues de Brighton. Avisant la vitrine d'un antiquaire, il a ordonné au conducteur de s'arrêter net et est sorti de la voiture comme un diable de sa boite avant de revenir en tenant triomphalement dans sa main un bronze de la Renaissance qu'il venait d'acheter pour mille livres sterling, pratiquement toutes ses économies. Passée aux enchères, cette sculpture lui a rapporté vingt fois plus que sa mise et lui a permis ainsi de se lancer dans la profession.
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Il n'y a nul besoin de disposer de beaucoup d'argent pour être un fou d'art. Bien souvent, certains disposent d'à peine 20 000 francs par an pour acheter une dizaine ou une vingtaine de tableaux dont un seul pourrait au final rapporter au moins 100 000 francs et peut-être bien plus. Certes, on reste dans le domaine des hypothèses sans aucune garantie de succès mais la fièvre qui saisit les fous d'art les pousse toujours à se payer de grands frissons, qu'il s'agisse par exemple de ce marchand en chambre qui a écumé le marché aux puces de Vanves durant des années avant de trouver un Renoir, un vrai, qui lui a rapporté plus d'un million de francs. Cette inextinguible soif de découverte est simplement provoquée par l'idée que tout ce qu'un peintre devenu légendaire a produit n'a pas été totalement répertorié pour la simple raison que ce dernier avait certainement dû se séparer de quantités d'œuvres réalisées durant les années où il n'était pas encore connu et que celles-ci ont dormi, oubliées dans maints endroits, après avoir atterri dans les mains de gens qui n'avaient aucune idée de leur valeur. Voilà pourquoi la chasse au trésor reste si intense et que de nombreuses œuvres disparues de Van Gogh, Monet, Renoir, Manet et de bien d'autres géants de la peinture finissent tôt ou tard par réapparaître au grand jour. Il suffit de penser que Monet, Renoir, Gauguin et une pléiade de grands peintres attendirent des lustres pour atteindre la célébrité alors qu'en subissant longtemps des périodes de galères, leurs œuvres de jeunesse furent longtemps dispersées pour trois fois rien. L'argent peut néanmoins aider des fous d'art à dénicher des chefs d'œuvre par le biais de chineurs ou de petits brocanteurs qui pensent ne pas avoir les moyens de transformer leurs découvertes en or. Par exemple, prenez le cas du marchand parisien Charles Bailly qui dispose pour sa part de gros moyens financiers pour acheter des tableaux qui parfois atteignent des sommes folles aux enchères après qu'il ait réussi à prouver qu'ils avaient été peints par des grands maîtres, notamment du XVIIe siècle. Bailly n'a pas hésité à se délester plus d'une fois de plus de deux millions francs pour des tableaux présentés en vente comme étant d'une école française ou d'une école flamande avant de parvenir à déterminer qu'ils avaient disparus depuis plus de deux cents ans et qu'ils étaient en fait de Poussin pour l'un, ou de Rubens pour l'autre. C'est donc ce qu'il a osé faire pour récolter plus de seize fois sa mise avec des œuvres de ces deux artistes, l'une acquise à Drouot, l'autre achetée dans une vente à quelques kilomètres de Paris. Poussin: "L' Agonie dans le jardin", huile sur cuivre 60,3 x 47 cm. Une des dernières découvertes de Charles Bailly. | Rubens: "La tête de Saint-Jean Baptiste" présentée à Salomé" huile sur panneau, 94x101,8 cm (détail) |
Mais il a réalisé un autre coup encore plus faramineux grâce à un informateur qui lui a indiqué la présence d'une toile intéressante dans une vente à Nancy, un paysage exotique du XVIIe siècle, qu'il est parvenu à acheter pour moins de 75 000 francs avant de le revendre à New York comme une vue du Brésil peinte sur place en 1638 par l'artiste hollandais Frans Post et ce, pour 22 millions francs! Frans Post (Hollandais) (1612-1680) paysage brésilien, 1638, qui avait figuré dans les collections du roi Louis XIV. Bailly l'a acheté pour environ 75 000 FF lors d'une vente aux enchères à Nancy et l'a revendu pour un prix record de 4,512,500 dollars chez Sotheby's à New-York le 30 janvier 1997.
Attention, n'allez pas croire que Charles Bailly, qui commença par être psychiatre avant de se transformer en fou d'art dans toute sa splendeur, a pu ainsi faire authentifier toutes les oeuvres qu'il a découvertes sans coup férir. Il y a une dizaine d'années, emporté par sa passion, il a acheté pour plus de 20 millions FF à Drouot un tableau représentant «L'Immaculée Conception» qui avait été seulement estimé dans les 300 000 FF et qu'il pensait être une œuvre de jeunesse du merveilleux Diego Vélasquez. Mal lui en a pris ce jour là car de nombreux experts de réputation mondiale ont réfuté avec force cette attribution tant et si bien que cette grande toile, présentée plus tard en vente par une maison anglo-saxonne avec une estimation de dix millions de dollars, est restée invendue. "L'Immaculée Conception" 142 x 98.2 cm, une oeuvre achetée à Drouot par Bailly qui a cru fermement qu'il s'agissait d'une oeuvre de jeunesse deVélasquez.
Bailly a eu ensuite beau affirmer qu'il était en possession d'un authentique Vélasquez, cela ne l'a pas empêché d'avoir eu à payer des agios conséquents sur le prêt qu'il avait dû solliciter d'une banque. N'empêche, la rumeur a couru par la suite qu'il avait fini par trouver un client pour son tableau.
Par ailleurs, Bailly a le mérite de reconnaître que 25% des tableaux qu'il a achetés sont tout juste bons à être revendus en dessous de ce qu'il a payé, ce qui signifie qu'il prend souvent le risque de se mouiller en faisant l'acquisition d'œuvres sans valeur afin de garder le contact avec ses habituels pourvoyeurs qui lui proposent parfois de bien belles choses. On ne connaît pas plus fou d'art que Charles Bailly dans le cercle des marchands. C'est simple, cet homme semble carrément avoir le don ubiquité car tellement de gens ont l'impression de penser le voir se trouver à plusieurs endroits durant une seule journée. Il est cependant vrai qu'il arrive à Bailly d'être au marché aux Puces le vendredi matin puis de prendre deux avions dans la journée pour aller voir des tableaux aux deux bouts de la France. Rien ne paraît freiner sa frénésie, pas même son proche entourage qui est habitué à le voir effectuer sans cesse ses marathons quotidiens. On ne sait pas comment il trouve le temps de se reposer car il y a tellement de ventes aux enchères qui se déroulent en province le dimanche qu'on en arrive à penser que c'est seulement durant le mois d'août qu'il parvient à s'octroyer une pose. Ce fou d'art agit en fait tel un drogué sans cesse en manque. Trouver un Rubens et un Poussin en quelques mois c'est certainement grisant mais une fois les découvertes confirmées, il reste toujours cette curieuse sensation de devoir aller plus loin comme si rien d'extraordinaire ne s'était passé ou plutôt comme si ces trésors en appelaient d'autres. Cette démarche va plus loin au niveau de l'envie que celle du joueur de loto qui réussit un jour à trouver les six bons numéros et qui empoche d'un coup plus de vingt millions de francs. Brutalement, la vie de ce dernier va être bouleversée grâce à un rêve enfin concrétisé qui va lui permettre de mener une existence confortable mais celui-ci ne va pas pour autant laisser sa pensée être envahie par l'espoir démentiel de gagner à nouveau une telle somme. Peu importe à un fou d'art comme Bailly de gagner l'équivalent du gros lot du loto deux fois dans l'année. Le propos n'est pas là car il s'agit pour lui de mener une sorte de quête permanente qui le transcende à chaque fois qu'il fait une découverte comme le drogué qui jubile d'avoir sa dose sur l'instant et qui angoisse de ne plus disposer de celle du lendemain. Dès qu'il tombe sur une oeuvre qui le met en transes, Bailly s'acharne alors à reconstituer un puzzle pour déterminer son origine en remontant le cours de l'histoire à travers de vieux catalogues et des livres poussiéreux et enfin arriver à démontrer par exemple que le Frans Post acheté à Nancy faisait partie de la collection personnelle de Louis XIV. Encore une fois, les livres et catalogues sont les clés de ses succès puisqu'ils permettent de faire parler un tableau. C'est là un passionnant travail d'investigation effectué avec l'aide d'une batterie de bibliothécaires à son service. On peut ainsi dire qu'il y a une méthode Bailly lequel a concocté un parfait théorème, une formule du genre argent + passion + folie + connaissances + documentation qui est devenue bien huilée au fil des années. Il faut le voir chaque vendredi matin au marché aux Puces de Saint-Ouen foncer droit dans les allées de Paul Bert ou Serpette, dirigeant rapidement ses yeux vers des tableaux qui lui semblent intéressants, visitant les marchands habitués à faire de bonnes adresses qui lui montrent en priorité leurs dernières trouvailles. Entre quatre heures et huit heures trente du matin, il visite ainsi ce marché au pas de course sans se soucier des autres professionnels qui l'admirent mais aussi le détestent car il leur coupe trop souvent l'herbe sous les pieds.
A ceux-là, il ne reste que le facteur chance, celui de se trouver avant lui devant la voiture d'un marchand qui vient d'arriver et de se ruer comme des morts de soif vers le coffre du véhicule dans l'espoir d'y découvrir une pièce rare et qu'ils doivent acquérir sans hésiter car soudain Bailly apparaît souvent subitement derrière eux, surgi de nulle part, piaffant et guettant l'instant où celui qui l'a précédé va commettre l'erreur fatale de retirer ses mains du tableau qu'il a examiné d'un air dubitatif. Bailly, lui, n'hésite pas. Si la toile paraît intéressante, il l'achète, quitte à se rendre compte plus tard qu'il a fait une erreur. Il n'y aurait que la mort pour stopper Charles Bailly dans sa folle course aux trésors car même agonisant, il trouverait encore la force de se lever pour aller chiner. Autre fou d'art, Pierre Rosenberg, l'homme qui préside aux destinées du Louvre. Lui, c'est pour l'Etat qu'il a découvert et arraché des pièces majeures du XVIIe siècle. Il connaît Nicolas Poussin, Charles Lebrun, Simon Vouet, Eustache Lesueur, Georges de La Tour, Murillo et bien d'autres maîtres sur le bout des doigts et voyage souvent à travers la France à la recherche de chefs d'œuvre propres à enrichir son musée. Lui aussi déambule chaque jour dans les salles de Drouot pour repérer des oeuvres qu'on croyait perdues à jamais et qui en fait étaient restées oubliées chez des gens qui n'avaient vraiment aucune notion de leur valeur. Rien, ou presque, n'échappe à son oeil aiguisé, surtout les tableaux que certains grands experts parisiens ont examinés trop distraitement. Malgré leur état souvent crasseux, Rosenberg sait parfaitement y déchiffrer la patte d'un grand maître mais une de ses hantises est de se trouver en compétition avec Bailly, son rival qui gravite dans un autre monde, celui du commerce parisien lequel n'est pas vraiment en odeur de sainteté auprès des gens du Louvre. L'homme au costume bleu-rayé et à l'éternelle écharpe rouge posée sur l'épaule, ne dédaigne pas non plus venir au marché aux Puces où il cherche des verreries vénitiennes pour son compte tout en espérant trouver pour celui de son cher musée quelque oeuvre qui aurait échappé à l'œil de rapace d'un Bailly. Danny Katz est un autre fou d'art, spécialiste des bronzes de la Renaissance qui se bagarre souvent avec d'autres marchands pour jeter son dévolu sur des sculptures qui ont jusqu'à présent échappé aux conservateurs de musées. Il a commencé son métier d'une manière curieuse il y a de cela une quarantaine d'années en se retrouvant à bord d'une voiture conduite par un ami dans les rues de Brighton. Avisant la vitrine d'un antiquaire, il a ordonné au conducteur de s'arrêter net et est sorti de la voiture comme un diable de sa boite avant de revenir en tenant triomphalement dans sa main un bronze de la Renaissance qu'il venait d'acheter pour mille livres sterling, pratiquement toutes ses économies. Passée aux enchères, cette sculpture lui a rapporté vingt fois plus que sa mise et lui a permis ainsi de se lancer dans la profession.
Danny Katz ne perd pour ainsi dire jamais de temps pour acquérir la sculpture qui l'intéresse comme s'il avait besoin de satisfaire sa pulsion immédiatement. Venu voir une merveille chez un marchand, il fait une offre et si jamais son interlocuteur se met à barguigner sur le prix, l'objet risque soudainement de ne plus l'intéresser. Il est par ailleurs amusant de voir les fous d'art feindre de se saluer aimablement dans les salles de ventes ou dans les marchés aux Puces d'Europe alors qu'ils se détestent tous entre eux et pour cause, chaque individu qui chasse sur le territoire de l'autre est un ennemi en puissance, un prédateur dangereux qui risque de léser son concurrent à tout instant et dans ce contexte, tout le monde est obligé de jouer une incroyable comédie qui entraîne souvent les uns et les autres à adopter des attitudes peu chevaleresques. Le jeu de la découverte implique souvent des méthodes qui ne sont pas celles de gentlemen, à croire finalement que nombreux sont ceux qui tueraient père et mère pour faire main basse sur une superbe pièce. De nombreux acteurs du marché de l'art n'ont donc vraiment rien à envier à la Mafia sicilienne dans bien des cas puisqu'il faut avoir l'instinct d'un tueur pratiquement en toute circonstance. Pensez au petit antiquaire qui veut se débarrasser d'une «banane» dans une foire et qui joue à celui qui ne sait pas ce qu'il vend ou à l'acheteur qui sait à quel genre d'objet mirifique il a affaire et qui se transforme en parfait candide afin de parvenir à l'acheter pour rien. Imaginez le chineur à qui un brocanteur demande 500 francs pour un tableau qui en vaut 100 000, obligé de se faire violence pour ne pas faire éclater sa joie avant de s'éloigner avec son achat sous le bras. Pensez aussi au pauvre gus qui, pour une poignée de cerises, a vendu à un grand marchand le chef d'œuvre qui a ensuite été adjugé pour plus de dix millions de francs dans une grande vente. Pensez également à l'expert à qui un petit chineur vient de présenter un tableau valant une fortune et qui se mord les lèvres à l'idée de lui délivrer un certificat d'authenticité pour lequel il touchera une misère, ce qui peut parfois l'amener à affirmer malhonnêtement , tout en dissimulant sa jalousie, qu'il s'agit d'un faux. Imaginez par ailleurs la rage mal contenue d'un fou d'art qui vient de voir un rival s'emparer sous son nez du trésor qu'il convoitait et vous aurez tous les ingrédients épicés des drames qui secouent le marché en secret. Et puis, n'oubliez pas que les fous d'art ne sont pas tous des puits de science loin de là. On trouve même des malades de l'art qui sont complètement ignares et qui parviennent malgré tout à faire des coups incroyables sur le dos des autres tel ce personnage à l'allure de Gargantua et aux yeux de cobra qui a bâti toute sa fortune en profitant de la faiblesse de ceux qui ont croisé son chemin depuis une quinzaine d'années. Son truc, comme il l'a souvent dit lui-même, est de «faire du social», c'est à dire fréquenter les gens de la bonne société, les séduire avec art en les traitant royalement afin d'éliminer toute méfiance de leur part pour les dépouiller ensuite en beauté. Cet ogre, que certains surnomment «Le Dinosaure», a même prétendu s'être converti à l'Islam pour mieux approcher de riches princes arabes et côtoyer ainsi le gratin de la Côte d'Azur. Ami de tous les concierges des grands hôtels, copain de célébrités de la télévision, habitué à côtoyer les grands experts ou à séduire les veuves de grands peintres pour s'ouvrir les portes de leurs ateliers encore remplis de trésors, il n'a pas son pareil pour remplir un carnet d'adresses qui lui permettra de faire de belles razzias. Ce redoutable comédien prendra généralement une grosse commission sur le prix final d'une oeuvre une fois qu'il se sera arrangé de la faire authentifier et achètera ailleurs pour trois fois rien une oeuvre qu'il finira par revendre pour une somme rondelette.
En quelques années, «Le Dinosaure» s'est constitué une petite fortune après être passé maître dans le domaine des contacts. On ne compte ainsi plus les fois où ce personnage a mis la main sur une oeuvre sublime pour réussir ensuite à obtenir un certificat d'authenticité qui lui a rapporté gros, ni celles où il a raflé d'un coup des dizaines de tableaux, de gouaches ou d'aquarelles de quelque grand artiste entré dans la légende de l'art moderne avant ou après sa mort. On compte également de nombreux fous d'art parmi les experts qui savent bien souvent combiner leurs compétences avec une activité commerciale. Nombreux sont donc ceux qui officient dans des ventes aux enchères et qui animent une galerie ou un circuit commercial. Il n'y a rien de plus normal à cela puisque leurs honoraires tirés d'une vacation à Drouot ou en province sont de l'ordre de 3,5% du prix d'un tableau. Sachez avant tout qu'on ne compte à peine plus d'une centaine d'œuvres vendues en France au delà d'un million de francs durant une année pour lesquelles une bonne dizaine d'experts se partagent les honoraires qui leur sont dévolus. Certains peuvent empocher plus de 3 millions de francs par an grâce aux grandes ventes mais gagnent en fait plus avec des milliers de tableaux adjugés entre 10 000 et 500 000 francs. Toutefois, des ventes en privé peuvent leur permettre d'arrondir grassement leurs fins de mois. Il n'est nullement question de mettre ici tous les experts dans le même sac et d'affirmer d'une façon péremptoire qu'ils ne respectent pas tous l'éthique de leur métier. Pas tous mais certains quand même, sans compter quelques marchands experts qui ont été coupables de recels et d'autres dont le comportement durant l'occupation n'a guère été exemplaire. Disons simplement qu'il existe des experts qui font honnêtement leur métier et d'autres, quand même bien moins nombreux, qui n'hésitent pas à se fourvoyer dans de sales combines comme le fait d'authentifier des tableaux qu'ils savent pertinemment faux ou comme le fait de laisser entendre qu'une grosse enveloppe ne serait pas malvenue pour apposer une signature au bas d'un certificat qui transformera alors une toile en chef d'œuvre ou encore simplement ne pas la refuser sans avoir même avoir eu l'idée de suggérer un pot de vin. On peut aussi évoquer l'attitude franchement malhonnête de certains experts comme ce spécialiste d'un grand peintre du XVIIIe siècle qui, dans les années 1970, se faisait confier des oeuvres à authentifier et rendait à leur propriétaire des copies habilement exécutées ou encore cet autre expert qui eut un jour l'amabilité de reconnaître un Poussin et incita son possesseur à le lui confier pour une de ses ventes. Ce dernier obtint moins de 200 000 francs pour son oeuvre et eut la désagréable surprise de la voir être adjugée 800 000 francs un an plus tard. Renseignement pris, le vendeur de son Poussin n'était autre que l'expert lui-même. Un beau tour de passe-passe, on en conviendra... Que dire aussi du grand Bernard Berenson qui laissa le célèbre marchand Duveen le mener par le bout du nez pour accepter de faire transformer quelques portraits de dames de la Renaissance aux visages ingrats ? Tout cela pour se permettre de mener une existence fastueuse dans un palais décoré de marbre rose en Italie, tout simplement. Comme Berenson était une autorité incontestée durant les années 1920, personne n'osa faire un foin à propos de ces liftings scandaleux. Fou d'art rime donc souvent avec fou d'argent parce que pour satisfaire une frénésie d'achats il faut dans bien des cas avoir un compte en banque bien garni.
Que penser aussi du grand Bernard Berenson qui laissa le célèbre marchand Duveen le mener par le bout du nez pour accepter de faire transformer quelques portraits de dames de la Renaissance aux visages ingrats ? Tout cela pour se permettre de mener une existence fastueuse dans un palais décoré de marbre rose en Italie, tout simplement. Comme Berenson était une autorité incontestée durant les années 1920, personne n'osa faire un foin à propos de ces liftings scandaleux. Fou d'art rime donc souvent avec fou d'argent parce que pour satisfaire une frénésie d'achats il faut généralement avoir un compte en banque bien garni. Il y a aussi des fous d'art qui sont plutôt des fous d'arnaques comme certains experts en tableaux modernes travaillant de chez eux ou qui sont propriétaires de galeries en province et de centres d'art pour gogos dans des stations balnéaires un peu partout en France. Experts en fait de petits artistes et même de peintres du dimanche dont ils ont assuré la promotion à travers des ventes aux enchères organisées dans maints endroits de l'Hexagone, ces personnages n'ont été que des pseudo spécialistes dépourvus de connaissances mais non dénués d'un sens aigu des affaires. Puisqu'il y a eu tant d'imbéciles de par le monde, pourquoi fallait-il donc se priver de profiter de leur crédulité ? on se le demande.... Il suffit simplement de faire imprimer le mot «expert» sur une carte de visite pour prétendre exercer une profession dont les règlements restent encore à définir. Les as de la promotion de nombreuses nullités de la peinture n'ont pas manqué de se servir du flou entourant cette fonction pour s'attribuer un rôle de choix après s'être dit que pour se faire une place au soleil, il était moins risqué d'assurer la promotion de peintres anonymes plutôt que de grands maîtres qui dépendent déjà d'experts indéboulonnables. Leurs activités se sont donc développées au grand dam des véritables experts qui n'ont eu jusqu'à présent aucun moyen de les écarter du circuit. En attendant, de nombreuses croûtes ont été vendues à des prix affolants par ces champions de « l'art zéro à l'infini » , à croire que beaucoup d'amateurs n'ont pas l'œil aiguisé. Il sera en fait impossible de donner un semblant de perfection au monde de l'art tant qu'il sera fréquenté par autant de gogos et d'ignares. La vérité, rien que la vérité. J'essaie d'appliquer ici un simple principe de justice et ne cherche nullement à régler quelque compte vis à vis de certains brigands que j'ai croisés durant tant d'années. Je ne cherche en réalité qu'à aider les gens à devenir plus matures s'agissant du marché de l'art. Je ne suis donc pas là pour dénoncer mais plutôt pour exposer des faits comme n'importe quel journaliste désireux de faire son métier correctement. Être soi-même un fou d'art en prime ne change rien à la chose parce que le monde de l'art fait partie aussi du domaine des affaires qui, comme celui de la politique, n'est malheureusement pas à l'abri des scandales. Les fous d'art se rencontrent partout, ne serait-ce déjà que parmi les artistes qui ont été nombreux à collectionner, à commencer par Rembrandt qui accumula de nombreuses richesses avant de voir ses biens être saisis après la mort de sa chère et adorée Saskia. Ce rictus de lassitude qu'on remarque sur ses portraits peints à partir de l'époque où il se retrouva dépossédé de ses trésors, démontre à l'évidence la peine d'un ex-Crésus dépouillé à qui il ne resta que ses pinceaux pour affirmer son génie.
Vlaminck, Derain, Matisse ou Picasso étaient des fous d'art primitif et leur passion les entraîna vers de nouvelles voies à explorer en peinture. On peut d'ailleurs se permettre de traiter le grand Pablo de fou, lui qui passa des heures entières à dessiner et à peindre sans relâche comme mû par une rage indicible de créer. Ailleurs encore, il y a ce restaurateur de tableaux qui a travaillé durant des années pour les Monuments Historiques en faisant revivre des oeuvres menacées de destruction. Devenu alors détenteur des secrets des compositions de pigments anciens et des techniques des maîtres qui les utilisaient, il s'est amusé à pasticher les grands peintres de natures mortes avec un tel talent que plusieurs de ses oeuvres ont été vendues aux enchères, reconnues au préalable comme authentiques par de grands experts. Pour ce copieur de génie, la difficulté principale est de trouver une toile, un panneau de chêne ou une plaque de cuivre d'époque pour réaliser une composition qui trompera l'œil de n'importe quel spécialiste. Le reste n'est pour lui que broutille, même lorsqu'il s'agit d'avoir la main d'un Willem Claesz Heda, d'un Monnoyer, d'un de Heem, d'un Philip de Marlier, d'un van Hulsdonck ou d'un Verendael. "Un vrai Verendael que notre cher copiste pourrait réaliser et faire passer pour authentique à son tour"
Un jour, il m'a présenté un merveilleux bouquet de fleurs de Cornelis de Heem mais en retournant le panneau, je me suis aperçu qu'il était coupé à la façon de ceux de la fin du XVIIIe siècle. Subitement, je me suis ravisé au sujet de ce tableau en lui demandant s'il ne venait pas de le peindre lui-même. Mon interlocuteur a ravalé sa salive et marqué un temps d'arrêt avant de me confirmer en bredouillant qu'il venait juste de le peindre. Son tableau était vraiment trompeur, notamment pour quelqu'un qui n'aurait déjà pas reconnu le style si typique de de Heem et constaté qu'il ne pouvait s'agir que de la copie d'une oeuvre de ce peintre actif au XVIIe siècle. Il m'est alors brutalement venu à l'esprit de faire passer un test à un expert réputé, histoire d'avoir un avis net et tranché. J'ai donc emprunté le tableau et l'ai présenté quelques jours plus tard à un spécialiste de la peinture du XVIIe siècle lequel s'est extasié sur sa qualité avant de faire la moue. «Dommage,» me dit-il en me laissant terriblement impatient de savoir le reste. «Dommage qu'il ne s'agisse d'une copie», a ajouté l'expert. «Je ne doute pas de votre avis... Mais de quelle époque?», me suis-je alors risqué à lui demander. «A mon avis, je pense que cette copie n'a pu être réalisée qu'au milieu ou à la fin du XVIIIe siècle,» a-t-il précisé d'un ton assuré.
Du XVIIIe siècle ! L'expert me l'a affirmé à deux reprises comme pour dissiper mes doutes. Je suis sorti de son cabinet secoué d'une bonne crise de rire et en me pinçant le bras pour constater que je n'avais pas rêvé. Blousé le cher homme ! Comme les autres qui ont authentifié des dizaines d'œuvres de ce génie de la copie dont certaines ont orné les vitrines de quelques grands antiquaires du quai Voltaire. La vérité, rien que la vérité. Tout cela pour dire que les jugements des experts tiennent parfois à pas grand chose ou à une subjectivité qui ne laisse pas la place à un examen plus minutieux d'une oeuvre. Il m'est encore arrivé de faire passer d'autres tests à des experts et j'avoue que certains sont tombés à plus d'une reprise dans le piège que je leur ai tendu. Tout cela pour dire finalement qu'en matière d'expertise, je suis plutôt en faveur de jurys réunissant plusieurs spécialistes qui seraient à même de donner des avis plus solides que ceux délivrés par un seul homme, fut-il considéré comme le plus compétent du monde.
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