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Un homme qui aime l'art à la folie n'a plus tellement le temps d'être infidèle à son épouse qui pourtant s'estime trompée par son amour du beau...
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Peintures
Ces dossiers réalisés par nos spécialistes vous permettront de
découvrir, aussi bien au travers d'entretiens avec des peintres renommés
que par des rétrospectives sur un genre ou courant, les trésors de la
peinture au fil du temps.
LES PEINTRES ET L'AUTOPORTRAIT
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Cet article se compose de 10 pages.
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LES PEINTRES ET L'AUTOPORTRAIT
De nombreux peintres ont pris plaisir à se représenter eux-mêmes en peinture mais tous n'ont pas eu les mêmes motivations pour ce faire. Ainsi, Rembrandt ressentait autant un masochisme à se représenter sans cesse vieillissant qu'à accepter philosophiquement l'écoulement du temps. Il y a dans le regard du Rembrandt vieillissant un air de résignation face à son sort mais aussi un clin d'œil et une lueur de défi. Il s'offre tel qu'il est au regard des autres mais il se peint surtout pour se regarder et s'analyser. Rembrandt, autoportrait, vers 1626.
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LES PEINTRES ET L'AUTOPORTRAIT
De nombreux peintres ont pris plaisir à se représenter eux-mêmes en peinture mais tous n'ont pas eu les mêmes motivations pour ce faire. Ainsi, Rembrandt ressentait autant un masochisme à se représenter sans cesse vieillissant qu'à accepter philosophiquement l'écoulement du temps. Il y a dans le regard du Rembrandt vieillissant un air de résignation face à son sort mais aussi un clin d'œil et une lueur de défi. Il s'offre tel qu'il est au regard des autres mais il se peint surtout pour se regarder et s'analyser. Rembrandt, autoportrait, vers 1626.
4 autoportraits de Rembrandt Il lui suffit alors de mettre devant lui les autoportraits peints à différents stades de sa vie pour dresser une sorte de bilan. Chaque portrait n'est pas vraiment un récit mais plutôt un aide-mémoire. Quand il se représente en 1626, les yeux cachés dans une étrange pénombre, Rembrandt ne cherche pas à interpeller le spectateur bien que son regard se devine, fier et perçant. En fait, dans cet autoportrait fascinant, il se livre à une sorte d'introspection sentant que la lumière qui se pose sur ses joues va bientôt l'illuminer tout entier mais aussi à une partie de cache-cache autant avec lui-même qu'avec le spectateur. Il est alors simplement en devenir et va sortir de l'ombre. Quarante trois ans plus tard, dans son autoportrait de 1669, mangé par les rides, les traits fatigués et bouffis, il semble s'interroger et nous interpeller une dernière fois alors que la pénombre menace de le recouvrir. La mort est proche et il n'a plus rien à dire, sinon au revoir tout en sachant que ses portraits vont rester vivants à jamais. Dans sa jeunesse, Rembrandt peint surtout son bonheur et son insouciance. Vers 1665, il se montre, vieillard ridé, en train de rire sachant que la mort le guette mais que ce rire deviendra éternel.
Rembrandt est probablement le seul artiste qui se soit interrogé sur le sens de sa vie et sur lui-même tout en se montrant à diverses étapes de son existence alors que tant d'autres artistes ont traduit simplement leur réussite comme Frans Hals, parmi les Miliciens de Saint-Georges de 1639, ou comme Rubens qui se représente dans toute sa gloire avec Isabelle Brant sous une tonnelle de chèvrefeuille en 1609, puis avec Hélène Fourment au cours d'une promenade dans un magnifique jardin vers 1630 ou encore avec Justus Lipsius, Jan Woverius et son frère Philippe Rubens sous un buste de Sénèque vers 1611 tandis que dans son autoportrait exécuté vers 1637, il apparaît une nouvelle fois sous les traits d'un riche gentilhomme ayant bien plus l'apparence d'un diplomate que d'un peintre. | Pierre-Paul Rubens, autoportrait, 1637-1639 | Beaucoup d'artistes aimèrent cependant se montrer sous d'autres facettes comme François Desportes qui se représenta en chasseur avec son chien ou George Stubbs qui se peignit juché sur un cheval. Plus nombreux sont les peintres qui se sont représentés face aux symboles de la mort comme un crâne ou un sablier tels Hans Burgkmair, Johann Zoffany, Filippo Balbi, Arnold Böcklin, Gerrit Backuizen, Lovis Corinth ou Adriaen Valck pour ne citer que ceux-là alors que Ensor en 1899 se montre, beau comme Dürer mais ressemblant à Rubens, un chapeau décoré de fleurs et d'une plume, parmi des masques grimaçants qui le harcèlent comme des démons ou comme la mort. Pourtant, de nombreux peintres se sont représentés sous les traits de Saint Luc, notamment James Ensor, ou à ses côtés comme Mignard. D'autres se sont montrés simplement en train de peindre comme Antoine Le Nain parmi ses frères ou Artemisia Gentileschi dans un geste très volontaire ou encore Vermeer qui, modestement, s'est représenté de dos dans «L'Atelier ou l'Allégorie à la peinture» vers 1666 ou Hogarth, appliqué devant une toile, ou encore Annibale Carracci qui, avec une pointe d'humour, a laissé dans un tableau son portrait terminé sur un chevalet vers 1595 ou bien encore Elisabeth Vigée-Lebrun, élégante et belle avec un beau chapeau et sa palette dans la main gauche ou Katharina van Hemessen qui n'arrive pas à surmonter sa timidité dans son autoportrait de 1548.
Il y a aussi des artistes qui se montrent sans complaisance dans leur atelier tel Tommaso Minardi, assis sur un matelas dans un pauvre décor vers 1813, ou Victor Emil Janssen qui se représente en 1828 en train de peindre le torse nu avec des fleurs fanées sur une table ou encore Octave Tassaert, assis parterre dans un atelier qui ressemble presque à un taudis, ou bien Cézanne qui se peint comme il traite d'autres sujets avec quand même une pointe de questionnement à propos de lui-même. | Diego Vélasquez, autoportrait, vers 1631 | Quand Vélasquez se représenta devant un chevalet de son tableau «Les Ménines» de 1656, il le fit avec impertinence et avec la vanité d'un peintre attaché à la cour d'Espagne et devenu le confident du roi. Il se servit alors d'un stratagème intelligent pour se montrer. Cette vanité semble encore plus puante dans son autoportrait exécuté vers 1631 où il se montra de trois-quarts face, l'œil droit empli de défi, les doigts de sa main droite pliés dans un geste d'autosatisfaction sur la hanche. Ingres trouva également le moyen de se mettre avantageusement en scène sous les traits de Doloy, l'écuyer de Jeanne d'Arc dans son tableau «le Sacre du roi Charles VII à Reims». Il y a d'autres formes de contentement dans certains auto-portraits, notamment dans celui où Mme Adelaïde Labille-Guiard se montre dans une robe de soie et un magnifique chapeau, assise devant une toile, un sourire de satisfaction aux lèvres tandis que deux jeunes élèves se tiennent respectueusement debout derrière son fauteuil, l'une regardant timidement vers le spectateur et l'autre fixant son attention sur le tableau que l'artiste est en train de peindre. D'autres peintres trichent avec eux-mêmes comme Ingres qui se montre à 24 ans en train de passer un chiffon sur un portrait, posture qu'il corrigera cinquante ans plus tard en adoucissant ses traits, en ramenant sa main gauche sur la poitrine, en effaçant l'esquisse d'un visage montrée sur la toile, en faisant disparaître le chiffon, en changeant le manteau lourd qui pesait sur son épaule droite mais en gardant la craie, symbole du dessinateur, dans sa main droite. Ce n'est plus Ingres à 24 ans, mais le portrait idéalisé de l'artiste à cet âge vu par lui-même à 74 ans. Terrible imposture…
Francisco Goya, autoportrait, vers 1785 De son côté Goya se montra servile à ses débuts lorsqu'il se représenta en train de montrer un tableau au Comte de Floridablanca en 1783 puis en train de peindre la famille de l'Infant Don Luis de Bourbon la même année. A cette époque, le jeune peintre ne cherchait qu'à plaire et à se montrer à son avantage auprès de la cour jusqu'au moment où l'écoeurement fit de lui un rebelle. Luis Melendez, de son côté, se peignit, orgueilleusement content de lui un dessin à la main dans son autoportrait de 1746 alors que Jean-Etienne Liotard, déguisé en peintre turc, sembla paraître légèrement inquiet de s'être montré avec une longue barbe dans un accoutrement excentrique à souhait. Jean-Etienne Liotard, autoportrait, vers 1744 | Jacques-Louis David, autoportrait, vers 1791 | Dans son autoportrait de 1794, David parut songeur et boudeur comme envahi de sombres pensées. Trois ans plus tôt, il s'était représenté en arborant un air triste. On décèle dans ces deux portraits la personnalité d'un homme acariâtre et entier qui n'était pas disposé à faire des concessions et qui trouva dans la révolution l'arme idéale pour s'affirmer face à ceux qui pouvaient encore lui faire de l'ombre.
Hans Holbein, autoportrait, 1543 D'autres peintres ont peint une ou deux fois leur autoportrait en essayant d'être le plus souvent à leur avantage comme Charles le Brun, Antoine Coypel ou Pierre Mignard alors que certains ont cherché à se montrer tels qu'ils étaient comme Chardin, Holbein, Fouquet, Agnolo Gaddi, William Hogarth, ou Simon Vouet ou à se peindre dans une attitude sérieuse comme Philippe de Champaigne ou Nicolas Poussin en 1650 ou encore en compagnie d'autres peintres comme Sofonisba Anguissola qui se représenta en train d'être peinte par Bernardino Campi, ou Jean-Baptiste de Champaigne et Nicolas de Platte-Montagne en 1654, Wilhelm von Schadow et Thorvaldsen en 1814 ou encore Runciman et John Brown en 1784. D'autres encore ont été narcissiques comme Filippino Lippi à diverses périodes, ou encore Sandro Botticelli, Johannes Gumpp, Jean-Auguste Dominique Ingres, qui s'est ainsi montré jeune et vieux, ou Albrecht Dürer à certains moments. Autre narcissisme, la signature de portraits avec des inscriptions en latin qu'on trouve chez Dürer, Holbein, Poussin et Ingres | Albert Dürer, autoportrait, vers 1500 | Dürer est d'ailleurs un cas particulier puisqu'il se représente d'abord comme un gentilhomme imbu de sa beauté, puis comme le Christ dans un autoportrait vers 1500 où le regard trahit cependant une certaine vanité, puis comme un témoin insouciant dans le «Martyre des dix mille Chrétiens» alors que dans «L'adoration de la Sainte Trinité», il s'introduit soi-disant humblement au niveau de la terre en bas à droite du tableau mais en réalité avec la satisfaction de se présenter comme le seul être humain à la porte du royaume céleste.
Il y a également des peintres comme Raphaël qui exacerbèrent leur orgueil en se représentant dans des tableaux peints pour glorifier les grands hommes de l'histoire de l'humanité. Ainsi, dans «L'Ecole d'Athènes», il se montra avantageusement parmi les philosophes. En essayant de montrer son bonheur de peindre, Mme Vigée-Lebrun, arborant un sourire figé devant un portrait de Marie-Antoinette à peine commencé vers 1790, cachait mal en fait la perte de sa position privilégiée à la cour et traduisait la nostalgie d'un passé très récent. D'autres par contre n'ont pas cherché à être à leur avantage comme Gauguin, Ensor ou Van Gogh alors que certains artistes ont reflété un rapport étroit avec la mort comme Le Caravage qui s'est représenté avec la tête de Méduse tranchée vers 1596, comme Cranach ou Cristofano Allori qui se peignent sous les traits d'Holopherne dont la tête a été tranchée par Judith. La Bible inspira ainsi de nombreux peintres qui se représentèrent qui sous les traits de David ou encore de Judith, comme Artemisia Gentileschi. Certains peintres pratiquèrent aussi une forme d'auto-dérision comme Courbet qui se représenta avec un casque de chevalier ou Goya qui se présenta presque de dos dans son atelier en 1785. Ensor, de son côté, osa se montrer en martyr, la corde au cou, dans «le Christ et les Critiques» de 1891, ou la tête sur un plat avec une petite pancarte sur laquelle était écrit «Art Ensor» dans les «Cuisiniers dangereux» de 1896. Michel Ange, lui-même si imbu de sa personne, se représenta sur la peau de Saint-Barthélémy dans «le Jugement dernier». Autoportrait de Michel-Ange Gauguin se fixa, l'air interrogateur, un peu bandit, avec un portrait d'Emile Bernard accroché au mur dans un tableau dédicacé à Vincent Van Gogh et intitulé «les Misérables» en 1888. La même année, Emile Bernard se peignit avec une certaine assurance dans un tableau, avec cette fois-ci fixé au mur, un portrait de Gauguin les yeux baissés, dédicacé également à «son copaing Vincent» lequel renvoya son propre portrait à Gauguin en se portraiturant comme un bonze à l'air cependant moins désespéré.
Gauguin et Van Gogh personnifient la douleur et la solitude face au monde qui les rejette. Tous deux se sentent vraiment comme des réprouvés. Paul Gauguin, autoportrait avec le portrait de Bernard, vers 1888 En 1887, Van Gogh s'est représenté avec un chapeau de feutre en cherchant désespérément à paraître bourgeois. Quelques semaines plus tard, il s'est peint avec un autre chapeau de feutre mais avec le visage, la veste et le fond du tableau striés de violents coups de pinceau comme pour signaler une prochaine transformation. La même année, il s'est aussi montré avec un chapeau de paille tout en gardant une veste de bourgeois. L'année suivante, il se dévoile plus débraillé avec un chapeau de paille et une pipe. Apparemment Van Gogh se déteste de plus en plus mais, cherchant sans arrêt à se sonder, n'arrive pas en fait à se trouver. Vincent Van Gogh, autoportrait, vers 1888 N'ayant pas les moyens de s'offrir un modèle, il s'achète un miroir et se peint mais il ne parvient qu'à traduire ses tourments comme dans son autoportrait à l'oreille coupée en 1889 et cet autre autoportrait, peint la même année, où il fronce les sourcils, balance un regard mauvais et fait la moue en se détachant sur un fond de vaguelettes gris-vertes. Il n'y a pas de concessions, pas d'artifice, juste un constat effrayant de sa condition de maudit.
Gustave Courbet, Le fou de peur ou Le désespéré, vers 1843 ? Gustave Courbet fut un des rares peintres à se représenter dans plusieurs attitudes. Posé dans son autoportrait au chien noir de 1842, désespéré en 1843 ou 1844, fou de peur vers 1844, rêveur, avec encore un chien noir, amusé dans «Coup de dames», amoureux dans «les Amants à la campagne», toujours la même année, plein d'espoir dans son portrait dit de «L'homme à la ceinture de cuir», vers 1845, en violoncelliste pas très sûr de lui en 1847, en homme commençant à perdre ses illusions dans l'autoportrait dit de «L'Homme à la Pipe» de 1849-50, en artiste inquiet dans un autre autoportrait de 1853 puis en homme ayant fait le sacrifice de sa chevelure à la Samson quelques semaines plus tard, signe qu'il allait changer de vie. En 1854, il peint l'homme blessé représentant un homme, en fait lui-même, allongé, la tête contre un tronc avec une blessure à la poitrine, une épée abandonnée au-dessus de son épaule droite. Ce tableau est en réalité la reprise d'une œuvre peinte dix ans plus tôt dans laquelle il s'était montré faisant la sieste enlacé avec une jeune femme. De l'amour, Courbet va ainsi vers la mort, celle de ses illusions. Dans «La rencontre» ou «Bonjour M. Courbet» de 1854, l'artiste montre deux personnes (M. Bruyas et son domestique) qui le saluent tandis qu'il semble les toiser avec fierté. La même année, il se représente, l'air méditatif, avec un col rayé et reprendra ce portrait l'année suivante pour sa composition de «L'Atelier». Vers 1873, il se peint près d'une fenêtre munie de barreaux dans une cellule de la prison Sainte Pélagie à Paris. L'artiste, dont le visage reste dans l'ombre, est alors fatigué et résigné. Vers 1876, il se peint en exil, encore plus usé et plus désespéré mais par pudeur ou par honte, il ne se montre pas de face. La solitude se perçoit chez Rembrandt à la fin de sa vie. Elle est aussi présente dans les portraits de Delacroix ou ceux de Van Gogh et Gauguin. Eugène Delacroix, autoportrait, vers 1842
La naïveté se retrouve chez le Douanier Rousseau qui se montre moustachu près de sa femme ou barbu, un béret sur la tête, sur un quai où est accosté un bateau bariolé de drapeaux de toutes les couleurs. Joshua Reynolds scrute l'horizon ou se protège du soleil dans son autoportrait de 1753 alors que Picasso se scrute tout au long de sa carrière dans différentes postures se muant parfois en voyeur de lui-même. Amedeo Modigliani, autoportrait, vers 1919 D'autres peintres s'épient ou annoncent inconsciemment leur destin. Modigliani se peint en 1919, les yeux vides. Il va bientôt mourir. Victor Brauner se représente en 1931 l'œil gauche déchiré. Sept ans plus tard, Dominguez se bat furieusement avec un ami espagnol dans son atelier. Brauner intervient pour les séparer. Un coup part et l'artiste est grièvement blessé… à l'œil gauche lequel est irrémédiablement perdu. Francis Bacon se peignit plusieurs fois bien qu'il affirmait détester son propre visage ajoutant que se peindre n'était rien d'autre que peindre le portrait d'un homme sur le point de mourir. Bacon, qui décomposait les visages comme à travers un prisme, avait certainement raison de penser qu'il n'y avait rien à faire contre le temps qui passe mais face à leur mort inéluctable bien des artistes se sont offert un ticket pour l'immortalité à travers leurs autoportraits. Adrian Darmon Autoportrait de Adrian Darmon, à la manière de...
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