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Les gens bons sont encore plus dignes d'intérêt lorsqu'ils savent s'offrir une tranche de l'art...(A.D)
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IIème Chapitre
LA CROATIE N'EST PAS VRAIMENT «L'ARTOCIE»
01 Septembre 2000 |
Cet article se compose de 5 pages.
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Les taxes pèsent donc sur le développement de l'art croate, ce qui signifie que le nombre des amateurs reste limité alors que les marchands se voient pénalisés par un système d'imposition qui ne leur permet pas de prospérer. Voilà donc un côté plutôt négatif car à force de cantonner l'art dans une sorte de ghetto, les autorités croates ne se donnent pas les moyens de favoriser une libre expression qui permettrait à la population de profiter d'une meilleure diffusion de la culture et d'avoir ainsi accès à plus de démocratie. En attendant, le pays se débat dans les difficultés économiques alors que son salut dépend avant tout du développement de son tourisme et de sa culture. Obligée de survivre avec de faibles moyens économiques, la Croatie n'est certainement pas encore sur le point de faire découvrir au monde de nouvelles merveilles archéologiques et il faudra probablement attendre plusieurs années avant de voir s'ouvrir de grands chantiers de fouilles dans ce berceau de la chrétienté. Pour l'instant, les Croates ont certes d'autres chats à fouetter mais à voir leur volonté de reconstruire Dubrovnik, on peut néanmoins nourrir l'espoir de les voir s'atteler à mettre un peu plus leur passé en valeur. On regrettera toutefois qu'ils n'aient pas eu de respect vis-à-vis des vieilles pierres de Mostar dont les blessures ont de quoi briser le coeur ni encore su se départir d'une arrogance plutôt irritante qui a de quoi laisser le visiteur étranger dubitatif à leur égard. Malheureusement, ce n'est pas demain la veille que les Croates, pas plus que les Serbes d'ailleurs, changeront de mentalité...
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Immeuble détruit à Mostar, un parmi des centaines Evasion en Croatie ce 19 août pour deux semaines, loin des autoroutes encombrées, des plages françaises polluées et envahies par ces milliers de vacanciers en mal de bronzette ainsi que des additions de restaurants trop salées. Cette idée de voyage dans ce pays de l'ex-Yougoslavie est née d'un clic sur un site Internet de séjours dégriffés et je n'ai pas regretté pas mon choix puisque la mer entre Split et Dubrovnik est sans conteste la plus claire et la plus propre d'Europe. S'y baigner est un délice et on oublie vite le désagrément de fouler de minuscules plages de pierres peu confortables pour les pauvres dos des estivants. Si on évoque la Croatie, on pense surtout à son équipe de football et on se rappelle vaguement qu'elle n'est indépendante que depuis quelques années.Par contre, on a souvent entendu parler de l'alliance peu glorieuse des Oustachis croates avec les nazis durant la Seconde Guerre Mondiale et de leurs innombrables massacres de Serbes, ce qui risque d'amener plus d'un quidam à imaginer que les Croates sont restés des fascistes dans l'âme. Il serait cependant un peu trop simpliste de tirer pareille conclusion quoique la présence dans les vitrines de librairies de «Mein Kampf» et d'autres ouvrages sur Hitler ne manque pas de choquer plus d'un visiteur étranger. En réalité, la Croatie a maints côtés trompeurs qui font que la vérité se niche à d'autres niveaux une fois qu'on parvient à faire le tri entre une multitude de légendes et de propagandes. "Mein Kampf" en vente libre chez les libraires, de quoi avoir le frisson
Issus d'un brassage entre Illyriens, Grecs, Romains, Slaves et autres autochtones à partir du VIIe siècle, les Croates ont souvent dû lutter farouchement pour défendre leur liberté en n'hésitant pas à s'allier parfois avec le diable que ce fut contre les Vénitiens, les Turcs, les Austro-Hongrois, les troupes de Napoléon 1er ou les Serbes lesquels sont de leur côté présentés comme les principaux responsables de la plupart de tous leurs maux. Allez savoir...Il est non moins vrai qu'on a du mal à comprendre pourquoi ces derniers ont tenté en 1991 de détruire Dubrovnik, ville-bijou de la fin de l'époque médiévale, classée au patrimoine mondial par l'Unesco. Un crime impardonnable mais deux semaines ne me seront pas suffisantes pour tirer au clair les raisons de cette haine persistante entre Serbes et Croates ni expliquer pourquoi ces derniers ont quelque peu tendance à regarder les étrangers de haut. Sur ce dernier point, il me faut avouer que les hommes de ce pays dépassent le Français moyen d'une bonne tête et ce détail permet probablement à lui-seul de valider la légende du redoutable guerrier croate déjà si vivace du temps de Louis XIV puisque ce fut au sein de sa cour que fut lancée la mode de la cravate portée par des hussards de Croatie venus servir en France. Pour la petite histoire, tout le monde, ou presque, sait bien que le mot cravate est dérivé de celui de croate.
Il reste cependant à déchiffrer le véritable caractère croate et à mieux connaître ce pays qui semble si bien combiner toutes les plus belles facettes de la nature avec ses îles rocailleuses et verdoyantes, cette mer si limpide, ses montagnes, ses lacs et ses forêts qui forment globalement un paysage splendide agrémenté ça et là de ruines antiques. Le mieux est d'essayer d'oublier les non-dits, les mensonges par omission et l'attitude parfois cassante des Croates car il y a des draps qu'il est préférable de ne pas soulever comme dans cette vieille maison abandonnée du village d'Igrane où tout est demeuré en place depuis des années depuis l'armoire de la chambre jusqu'à la cuisine. Dans cet endroit, comme ailleurs, les habitants semblent avoir perdu la mémoire concernant ces demeures désertées par leurs occupants serbes ou bosniaques, mais on devine cependant qu'il s'agissait de gens sommés de déguerpir au plus vite et au détour d'une ruelle, une maison aux embrasures de fenêtres noircies par un violent incendie nous laisse croire que le délai imparti pour décamper avait dû être terriblement court. Mostar, paysage de désolation
Une visite à Mostar, ville située en territoire bosniaque et qu'il serait impossible de rebaptiser «Mosart», nous donne un aperçu autrement plus inquiétant du comportement des Croates lesquels menèrent une guerre féroce aux Musulmans au début des années 1990 et n'hésitèrent pas à transformer la vieille ville en un amas de ruines et à détruire par la même occasion ses magnifiques minarets et son légendaire pont de la fin du Moyen-Age témoin d'un passé glorieux. Mostar, ville-martyre, nous offre un hallucinant spectacle de désolation à deux heures de vol de Paris et on se sent subitement étrangement coupable d'avoir ignoré de tels événements dramatiques et fermé les yeux sur tant de massacres. A voir les décombres du musée de la ville, on a brutalement envie de pleurer sur cette bêtise humaine née d'un fanatisme religieux incurable. Malgré la présence d'une force internationale d'interposition qui veille au maintien d'une paix précaire arrachée il y a peu, on sent que la moindre étincelle pourrait embraser la région entre la frontière de la Croatie et la ville de Mostar parce que rien de tangible n'a en fait été réglé. A voir tous ces drapeaux croates hissés fièrement dans ce coin de Bosnie, on devine aisément que la population, composée en majorité de Catholiques irréductibles, ne cesse de défier les autorités bosniaques avec l'envie vissée au corps de reprendre les armes à la première occasion. Et dire qu'on peut extirper le mot «art» dans ce nom de Croatie quoique ce serait plutôt l'art de noyer le poisson ou l'art de faire la guerre, de travestir les faits, de passer quand il le faut pour des victimes ou je ne sais quoi encore bien qu'à force d'écouter les Croates, les Serbes, les Albanais, les Bosniaques ou les Slovènes, j'aurais tendance à mettre tout ce beau monde dans le même sac surtout que depuis des lustres les affaires des Balkans paraissent toujours aussi diablement insolubles.
Et l'art dans tout cela ? En dehors de leur pays, les artistes croates n'ont pas eu l'occasion de faire beaucoup parler d'eux. Pourtant, loin de là, la Croatie n'a pas été imperméable à l'art et ce, depuis l'antiquité lorsque les Grecs, puis les Romains, créèrent plusieurs cités et érigèrent dans cette contrée nombre de monuments comme le splendide palais de Dioclétien à Split, une ville synonyme de rêve et de volupté. Au Moyen-Age, la Croatie absorba les influences les plus diverses comme celles des Francs, des Italiens du Nord et du Sud, des Hongrois, des Byzantins et des Français mais elle eut aussi des artistes de renom comme Maître Buvina, un sculpteur de reliefs ou le peintre Blaz Jurgev originaire de Trogir, mort en 1450, ou encore l'architecte sculpteur Juraj Dalmatinac, Ivan Durkovic, connu en Italie sous le nom de Giovanni Dalmata, Francesco Laurana, Juraj Chilinovic (Giorgio Schiavone), Julije Klovic, miniaturiste devenu célèbre sous le nom de Giulio Clovio, Andrija Medulic (Andrea Meldola) ou Nikola Bozidarevic. Nicola Bozidarevic, polyptique sur bois, début du XVIIe siècle
Il est néanmoins utile de signaler que les incursions ottomanes jusqu'à Budapest et Vienne laissèrent en ruine la plupart des monuments durant le XVIe siècle en Dalmatie et en Istrie et que ces régions s'appauvrirent en oeuvres d'art alors que les artistes formés à Rome ou à Venise finirent par être moins nombreux à y travailler. Chaire de l'église Sainte-Marie-des-Neiges, 1739, Belec | Federico Benkovic, Le sacrifice d'Abraham, 1716 | Ce ne fut qu'à la fin du XVIIe siècle que la Croatie put enfin éloigner la menace turque tout en subissant l'influence de l'Autriche au niveau artistique, notamment avec le rayonnement de l'architecture baroque mais les bons artistes locaux comme Frederico Benkovic (1677-1753), Stay, Matejevic-Mattei (1670-1726) ou Ivan Ranger (1700-1753) demeurèrent finalement peu nombreux. Après une période de vide artistique, la Croatie se réveilla à la fin du XIXe siècle grâce au mouvement de la Sécession qui s'inspira des écoles autrichienne et allemande. A cet égard, peu de gens connaissent Vlaho Bukovac (1855-1923), un peintre inspiré par les Divisionnistes français et dont la touche rappelle étrangement celle de Henri Martin, avec la suavité en plus, qui créa notamment en compagnie des sculpteurs Rudolf Valdec et Robert Franges-Mihanovic la Société des Artistes Croates Indépendants. Vlaho Bukovac, La fille au bain, 1908
L'Art Nouveau en Croatie, influencé par la Sécession viennoise et l'Ecossais MacIntosh, connut un essor particulier grâce aux architectes Viktor Kovachic, Rudolf Lubynski ou Vjekoslav Bastl et l'influence de cette Sécession permit aussi l'émergence étonnante du symbolisme avec des artistes comme Bela Cikos-Sesija, qui sembla beaucoup emprunter à Gustave Moreau et Odilon Redon, ou encore Mirko Racki, qui brossa de grandes compositions aux violents contrastes de lumière et Emanuel Vidovic, lequel peignit des toiles presque monochromes dans un style proche de celui des Impressionnistes français et joua un rôle important dans le développement de la peinture dalmate.
Il y eut également le graveur Tomislav Krizman ou l'illustrateur Dusan Kokotovic et encore le peintre Miroslav Kraljevic et surtout le sculpteur Ivan Mestrovic, le Rodin croate, qui fut d'abord associé au symbolisme avant de développer une oeuvre variée. Mestrovic étudia à l'Académie des Beaux-Arts de Vienne entre 1901 et 1906 et fut déjà remarqué en 1902 par Rodin avant de travailler entre 1908 et 1909 à Paris où il entra également en contact avec Bourdelle et Maillol tout en découvrant maintes formes de sculptures lors de ses visites dans plusieurs musées européens. Moïse, 1918, pierre, Atelier Mestrovic, Zagreb. | Karlo Draskovic, Le saut du comte Erdödy à Novi Marof, 1895 | Mestrovic, qui s'installa aux Etats-Unis en 1947 et y mourut en 1962, eut notamment droit à une rétrospective au Musée Rodin en 1969. Voilà pour éclairer un peu notre lanterne et nous permettre de sortir des sentiers battus du domaine de l'art en Europe. Pour compléter ce tour d'horizon sur les arts en Croatie, il convient spécialement d'évoquer la photographie qui y prit son essor peu après l'annonce de l'invention du daguerréotype à Paris. Ainsi, un photographe comme Karlo Draskovic se révéla être un Lartigue avant la lettre en photographiant des scènes insolites à la fin du XIXe siècle tandis que S. Erdody et Ldjudevit Vranyczany produisirent des photo-montages et photo-collages très avant-gardistes à partir de 1910 et que Franjo Mosinger et d'autres photographes réalisèrent des expériences en s'inspirant des conceptions du Bauhaus et du Futurisme. Toso Dabac, le Cartier-Bresson croate, fut de son côté très porté à représenter les pauvres et les marginaux durant les années 1930 et fut considéré comme un des pionniers du photo-journalisme avec Mladen Grcevic. Par ailleurs, le domaine de l'art contemporain a véritablement démarré au début des années 1950 en se démarquant progressivement du réalisme socialiste. Dès les années 1960, des artistes comme Edo Murtic, Josip Vanista, Branko Ruzic, Duro Seder, Slavko Kopac, Dusan Dzamorja ou Jugoda Bruic ont pu s'exprimer avec un talent certain alors que Julije Knifer est devenu maintenant le plus connu mais d'autres ont depuis pointé leur nez comme Keser, Petercol, Kipke, Vodopija, Vrkljan, Grubimix Labyrinth, Igor Roncevic ou Drazen Grubisic dans un contexte cependant difficile car l'art est lourdement taxé en Croatie.
Les taxes pèsent donc sur le développement de l'art croate, ce qui signifie que le nombre des amateurs reste limité alors que les marchands se voient pénalisés par un système d'imposition qui ne leur permet pas de prospérer. Voilà donc un côté plutôt négatif car à force de cantonner l'art dans une sorte de ghetto, les autorités croates ne se donnent pas les moyens de favoriser une libre expression qui permettrait à la population de profiter d'une meilleure diffusion de la culture et d'avoir ainsi accès à plus de démocratie. En attendant, le pays se débat dans les difficultés économiques alors que son salut dépend avant tout du développement de son tourisme et de sa culture. Obligée de survivre avec de faibles moyens économiques, la Croatie n'est certainement pas encore sur le point de faire découvrir au monde de nouvelles merveilles archéologiques et il faudra probablement attendre plusieurs années avant de voir s'ouvrir de grands chantiers de fouilles dans ce berceau de la chrétienté. Pour l'instant, les Croates ont certes d'autres chats à fouetter mais à voir leur volonté de reconstruire Dubrovnik, on peut néanmoins nourrir l'espoir de les voir s'atteler à mettre un peu plus leur passé en valeur. On regrettera toutefois qu'ils n'aient pas eu de respect vis-à-vis des vieilles pierres de Mostar dont les blessures ont de quoi briser le coeur ni encore su se départir d'une arrogance plutôt irritante qui a de quoi laisser le visiteur étranger dubitatif à leur égard. Malheureusement, ce n'est pas demain la veille que les Croates, pas plus que les Serbes d'ailleurs, changeront de mentalité...
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