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" La beauté d'un corps nu n'est sensible qu'aux races qui sont vêtues". (Fernando Pessoa)
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Peintures
Ces dossiers réalisés par nos spécialistes vous permettront de
découvrir, aussi bien au travers d'entretiens avec des peintres renommés
que par des rétrospectives sur un genre ou courant, les trésors de la
peinture au fil du temps.
LE FAUX N'A JAMAIS FAIT DEFAUT par Adrian Darmon
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Cet article se compose de 7 pages.
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En attendant, hormis Fautrier, Klein et quelques autres, la plupart des peintres modernes et contemporains ont inconsciemment plagié des maîtres, à commencer par Picasso qui s'inspira de plusieurs artistes pour développer son œuvre. On peut ainsi dire qu'il fut le plus grand adaptateur de l'histoire de la peinture sans avoir rien inventé, pas même le Cubisme dont la paternité revenait en grande partie à Braque alors que Cézanne fut à l'origine de ses fondements. Cela n'a cependant rien enlevé au génie de Picasso, considéré de loin comme le plus grand artiste du XXe siècle. Quoiqu'il en soit, nombre de peintres devenus célèbres ont « pompé » d'autres artistes, tant au niveau du style qu'à celui des idées, avec le mérite d'attirer vers eux les grands collectionneurs. Encensé en 1959, Manessier n'a pas eu la gloire de Poliakoff ou de De Staël simplement parce que ces deux artistes ont été plus médiatisés sur le marché. On connaît le succès d'un Bernard Buffet mais on ignore que plusieurs peintres produisirent des œuvres similaires aux siennes au milieu des années 1940. Aujourd'hui, ceux-ci ont été oubliés. A la fin des années 1950, de nombreux galeristes se gaussaient de Fautrier ou de Klein qui ont pris plus tard une revanche éclatante sur les peintres qu'ils représentaient et que Fautrier traitait avec ironie de « post-cubistes » alors qu'il se voulait le représentant d'une peinture authentique. Cela posé, un emprunt en peinture n'est pas vraiment de la copie ou un plagiat, mais juste la manifestation souvent inconsciente d'une influence. Face au tableau d'un artiste on se surprend d'ailleurs souvent à remarquer des ressemblances avec le style d'un autre. Il suffit de visiter un musée, de se placer à dix mètre d'une peinture et d'essayer de deviner qui en est l'auteur. A cette distance, on peut faire la confusion entre Bourdon et Poussin, entre Watteau et Lancret, entre Jongkind et Boudin, entre Gauguin et Sérusier, entre Cross et Signac et j'en passe. Watteau eùprunta beaucoup à Gilot avant d'inspirer Lancret ou Pater, Claude Gelée donna certainement des idées à Constable dût vraisemblablement séduire Corot lequel attira l'œil de Boudin qui à son tour impressionna Monet. Picasso ne fut pas en reste en passant de l'académisme à une peinture marquée par des débuts difficiles avant de devenir un pape du Cubisme et de décliner son art sous presque tous les angles tout en s'inspirant de Julio Gonzales pour créer d'étonnantes sculptures. L'art ne progresse qu'à travers des emprunts qui figurent ainsi parmi les jalons essentiels de son développement. En période de rupture, les artistes se transforment un peu plus en plagiaires, les plus connus profitant alors de l'appui de marchands dotés d'un grand sens du marketing. On peut donc les soupçonner d'être quelque part des imposteurs (telle était l'opinion de Fautrier au sujet des expressionnistes-abstraits) sauf que le succès leur a servi d'écran. Le marché rend ainsi gloire à ses favoris sans que ses intervenants se soucient des facteurs qui leur ont permis de parvenir au devant de la scène. Cela peut paraître injuste mais la chance et l'opportunisme jouent un rôle considérable dans le succès d'un artiste. Traiter Serge Poliakoff de plagiaire semble pour le moins grossier mais il n'en demeure pas moins que celui-ci, tout comme d'autres peintres aussi connus, laissa son subconscient butiner d'autres influences. Peut-on parler de plagiat lorsque des peintres adhèrent à une tendance, comme ce fut le cas du Fauvisme héritier du Divisionnisme initié par Seurat qui à la suite de Derain et de Vlaminck attira des artistes comme Braque, Matisse, Manguin, Friesz, Van Dongen, Jean Puy et d'autres ? Pareil constat peut être fait au sujet du Cubisme, mis au goût du jour par Braque et Picasso et auquel adhérèrent plusieurs artistes comme Juan Gris, Hayden ou Marcoussis ou encore de l'abstraction qui en a dérivé. Les principes édictés par les chefs de file de nombreux mouvements (Cubisme, Suprématisme, Constructivisme, Futurisme, Surréalisme, Abstraction ou Musicalisme entre autres) ont imposé des règles qui elles-mêmes ont engendré des emprunts et forcément des plagiats involontaires mais nécessaires pour les respecter. On reste là encore bien à l'écart des plagiats intentionnels et encore loin de la création de faux mais il n'en demeure pas moins que les limites de la tromperie ont souvent été frôlées lorsque les peintres ont employé des styles et des formules similaires. Quant aux faussaires, ceux-ci n'ont eu aucun mal à verser crûment et directement dans la falsification en essayant de reproduire avec des variantes ce que les maîtres avaient produits. Ceux-là ne sont rien moins que les terroristes de l'art, ne serait-ce déjà parce que le faux s'avère être la terreur de tout expert. Adrian Darmon
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L'art du faux remonte aux temps les plus reculés lorsque l'art, par essence religieux, prit une place primordiale dans la vie des hommes dès le moment où ceux-ci se mirent à célébrer des rites et à honorer des dieux qui, d'une contrée à l'autre portaient des noms différents mais avaient généralement les mêmes pouvoirs. Cela commença donc par des emprunts de méthodes de fabrication puis de styles jusqu'au jour où la demande pour des statues ou des objets devint soutenue. A partir de là, les artistes et les artisans se mirent à faire des copies pour les exporter, ce qui n'empêcha pas les Egyptiens d'être copiés par des peuples voisins puis par les Grecs lorsque ceux-ci s'implantèrent à Alexandrie sans oublier que les Mésopotamiens avaient exercé auparavant leurs influences artistiques sur nombre de territoires comme l'Afghanistan actuelle et même la Chine dont les peuplades copièrent à leur façon leurs objets. Avant d'évoquer l'essor artistique de la Grèce dont les créations éblouirent et inspirèrent les Romains, il convient de signaler que les hommes eux-mêmes versèrent très tôt dans l'imposture, une attitude innée utilisée par un individu cherchant de passer pour un autre afin de tenter de se valoriser aux yeux de ses semblables. L'histoire n'est en réalité faite que d'extraordinaires impostures nées de la volonté de certains êtres humains à se transformer parfois en démiurges ou simplement à laisser durablement la trace de leur passage sur terre. Il suffit déjà de se plonger dans la mythologie ou la Bible pour constater que certains hommes essayèrent de se sublimer pour s'affirmer aux yeux des autres et ce, en se servant de divers alibis adéquats pour réaliser leurs ambitions. Pour entrer dans la légende, il leur fallait accomplir des exploits inimaginables et ce faisant, ils se devaient de faire sacrément impression en bousculant l'ordre établi et en foulant au pied des principes acquis. Prenons l'exemple d'Abraham, persuadé de l'existence d'un seul dieu, qui détruisit les idoles qui selon lui représentaient de faux dieux et qui alla jusqu'à vouloir sacrifier son fils pour se prouver à lui-même qu'il était dans le vrai. Certains de ses contemporains le traitèrent vraisemblablement de fou ou d'affabulateur alors que d'autres, bien moins nombreux, virent en lui un prophète. Idem pour Moïse, apparemment un prêtre égyptien devenu défroqué à sa manière, qui se mit à professer l'existence d'un seul dieu et mena le peuple juif vers la terre promise mais nombre de ceux qui le suivirent, lassés de tourner en rond dans le Sinaï, finirent par croire un instant qu'il leur avait fait de fausses promesses. Alexandre le Grand lui-même, obligé de surpasser son père jusqu'à tuer l'image de celui-ci pour réaliser ses rêves, mena ses troupes de conquête en conquête jusqu'au moment où ses fidèles se mirent à douter de sa stature de conquérant. Quant à Jésus, on le considéra d'abord comme un illuminé et comme un faux messie avant que son sacrifice sur la croix ne fasse de lui le fils de Dieu, vénéré par des apôtres partis ensuite prêcher la bonne parole aux quatre coins du bassin méditerranéen. De là, la naissance de la Chrétienté, acceptant l'héritage de l'Ancien Testament mais diffusant pour s'imposer l'affirmation mensongère que les juifs étaient déicides, ce qui les amena à être longtemps persécutés avant d'être victimes des siècles plus tard à une extermination en masse. La vérité était ailleurs, mais qu'importe, il fallait trouver des arguments, souvent fallacieux, pour imposer une religion aux dépens d'une autre alors qu'au départ, Jésus n'avait eu pour seule ambition que de faire campagne pour assainir le Judaïsme et non de créer une nouvelle religion, une entreprise qui de la part de ses apôtres et de ses admirateurs aboutit à l'invention d'une naissance divine et de miracles accomplis par ce dernier sans oublier une résurrection qui tient plus de la parabole que d'un fait avéré. La plupart des croyances ont reposé sur des impressions trompeuses ou de prétendus miracles ou exploits glorifiés dans des textes devenus sacrés. Le faux s'est donc vite insinué pernicieusement dans la vie des hommes quitte à occulter la vérité ou à la remplacer. L'émergence de Mahomet, six siècles après la mort de Jésus a finalement prouvé qu'il était possible de réécrire la vérité et d'imposer une autre vision de Dieu, quand bien même des millions d'individus seraient convaincus de son caractère unique. Pour Mahomet, ce que les autres initiateurs des religions juive et chrétienne avaient décrété avant lui était vrai mais pas totalement exact ou pas assez conforme à la réalité et à ce qui concernait le rapport avec Dieu. Qui avait raison, qui avait tort ? Le monde d'aujourd'hui est confronté plus que jamais à cette question lancinante et à l'intolérance née de la foi aveugle de millions d'individus qui leur empêche tout discernement. La religion est l'opium du peuple disait Karl Marx et il est quelque part évident que l'observance radicale d'un dogme, donc arbitraire, est de nature à fausser toute notion de jugement équilibré chez un fidèle guidé mais aussi aveuglé par sa foi. Il est non moins vrai que tout totalitarisme venu se substituer à la religion a engendré à son tour des dérives dangereuses et qu'aucune croyance absolue n'échappe à l'arbitraire. Ce qui est bon pour les uns ne l'est pas forcément pour les autres. Il n'est déjà pas facile de discerner entre le vrai et le faux tant il est patent que le faux est l'illusion du vrai. Certains pensent détenir la vérité mais d'autres peuvent estimer que celle-ci est le fruit d'un faux jugement. Dès lors qu'une idée ou qu'un critère s'impose à une majorité, cela entraîne donc par ricochet une forme de contestation chez d'autres individus parce que rien n'est définitivement immuable en ce bas monde. Au niveau artistique, certains chefs d'œuvre de l'art grec devinrent plus tard des canons de beauté incontournables pour les Romains. Ils furent donc pillés puis copiés mais les riche patriciens qui jetaient leur dévolu sur ces merveilles voulaient à tout prix qu'elles soient authentiques. Alors, des marchands peu scrupuleux finirent par trouver le moyen de s'enrichir rapidement en vendant à des clients facilement bernables des copies en les faisant passer pour des œuvres originales. Pour les aider dans leur entreprise, il y eut des artistes, certains sans autre arrière-pensée que d'être mus par le plaisir de faire aussi bien que les génies de l'art grec en les copiant fidèlement et d'autres, conscients que le plagiat pouvait leur donner le moyen de vivre confortablement au lieu de s'échiner à faire leur propre nid. L'industrie du faux durant l'Antiquité connut cependant un brutal coup d'arrêt avec les invasions des Barbares, qui s'acharnèrent à détruire les temples, les monuments et les réalisations artistiques à travers le défunt empire romain, et avec l'émergence de la religion musulmane qui paracheva elle aussi cette opération de destruction à grande échelle car selon le Coran toute représentation humaine en matière d'art, religieux ou non, était considérée comme impie. La Chrétienté imposa de son côté des canons artistiques essentiellement religieux et les seuls faux qui apparurent en Europe du VIe au XIV e siècle concernèrent des reliques de saints ou par exemple le Saint Suaire de Turin qui passa longtemps, et même aux yeux de nombreux croyants aujourd'hui, comme l'authentique linceul qui enveloppa le corps du du Christ. Une analyse scientifique de cette étoffe a prouvé sans conteste qu'elle avait été réalisée par un artiste ingénieux vers le XIIIe siècle. En tout cas, ce merveilleux plagiat a été durant des siècles une incroyable source de dévotion pour des fidèles persuadés d'avoir devant eux l'image en négatif de Jésus lui-même. Faussaire rime avec faux air tout comme le mot anglais fake (faux) rime avec flake (away) (s'écailler) mais avant d'évoquer l'art du plagiat, il convient de distinguer entre le faux et la copie, ce qui n'est guère aisé à faire puisque la copie n'est pas nécessairement un plagiat. Avant de parvenir au sommet de leur art, tous les artistes durent s'employer à copier leurs prédécesseurs pour parfaire leur technique. Copier les maîtres fut de tout temps un passage obligé pour ces derniers sauf qu'au fil des années, les copies réalisées avec maestria par certains grands maîtres finirent par être considérées par des amateurs et des marchands comme des œuvres authentiques de ceux qu'ils avaient copiés. En faisant des copies, la plupart de ces artistes n'eurent nécessairement pas l'idée de créer des faux sauf à partir du moment où certains d'entre eux eurent le désagrément de s'entendre dire qu'ils n'avaient pas la pointure des maîtres qu'ils copiaient. Ce fut ainsi le cas de Michel-Ange qui berna notamment un cardinal en lui faisant acquérir une statuette qu'il venait de créer et qui lui avait été vendu comme étant d'époque romaine. En apprenant la supercherie, le prélat la détruisit dans un accès de rage. Ce fut aussi le cas de plusieurs peintres du XVIIe siècle qui pour obtenir le soutien de monarques leur firent présenter des copies d'œuvres de peintres qu'ils admiraient. Des artistes comme Vélasquez ou Le Brun n'hésitèrent d'ailleurs pas à utiliser un tel procédé au tout début de leur carrière. Copistes par nécessité afin de mieux maîtriser leur art, certains artistes s'amusèrent à peindre des faux pour épater la galerie, comme Raphaël qui commit quelques faux Perugin, comme Delacroix qui fit des tableaux à la manière, très trompeuse du reste, de Greuze, Watteau, Velasquez ou Rubens ou comme Van Dyck qui prit plaisir à peindre des faux Rubens.
Tant que l'Eglise assura sa main-mise sur l'art, il y eut donc peu de faux en circulation mais lorsque les rois et les princes se mirent à collectionner et à devenir les mécènes des artistes, les commandes n'émanèrent plus alors exclusivement des milieux religieux. Les artistes s'affranchirent donc progressivement de l'emprise de l'Eglise sur l'art en profitant d'un circuit commercial nouvellement créé en parallèle dès le début du XVIe siècle alors que la vogue de la copie s'étendit au domaine de la sculpture avec la découverte dès la fin du XIIIe siècle de nombreux vestiges de la Rome antique. Il y eut ainsi parmi les artistes italiens une propension manifeste à s'inspirer des sculptures antiques pour créer des œuvres représentant des héros de la mythologie, des nus ou des satyres. Inspiration et non plagiat pour des sculpteurs comme Donatello, Verrocchio, Pollaiuolo, Moderno, Riccio, Sansovino, Michel-Ange, Jean de Bologne, Maderno et Tacca pour ne nommer que ceux-là. L'émancipation des artistes lorsqu'ils se mirent à peindre à profusion des sujets mythologiques mais l'industrie du plagiat ne prit véritablement son essor qu'à partir du début du XIXe siècle avec l'avènement de la bourgeoisie et de la société industrielle, toutes deux génératrices de nouvelles richesses. Auparavant, le XVIIIe siècle avait vu l'émergence d'imitateurs de peintres flamands du siècle précédent, des artistes plutôt en manque d'imagination dont les œuvres furent cependant parfois vendues plus tard comme étant de la main de tel ou tel maître dont ils s'étaient inspirés. Ce ne fut cependant qu'à partir des années 1760, lorsque que de riches amateurs jetèrent leur dévolu sur des peintres anciens recherchés que les faux apparurent avant de pulluler un siècle plus tard. Devenus célèbres, de nombreux peintres du XVIIIe comme Watteau, Fragonard, Boucher, Reynolds ou Gainsborough furent copiés ou imités par des artistes de second rang dont les pastiches passèrent plus tard comme authentiques. La mode du Grand Tour instituée par les nobles anglais au début du XVIIIe siècle donna aussi pour sa part des idées à des marchands italiens ravis de pouvoir faire facilement du commerce en fourguant des copies à de naïfs touristes mais une telle pratique demeura anecdotique jusqu'au milieu du XIXe siècle. L'essor du tourisme en Italie durant la seconde moitié du XIXe siècle provoqua alors l'apparition en nombre de faussaires spécialisés dans la fabrication de plagiats de tableaux primitifs qui se vendirent comme des petits pains alors que des nouvelles techniques avaient été mises au point un peu partout, comme la réduction mécanique qui permit la production industrielle de sculptures en bronze produites par des artistes contemporains. En France, le Moyen Age redevint à la mode sous l'impulsion de Viollet-Leduc et les copistes s'activèrent pour produire fidèlement des émaux limousins créés entre le XIIe et le XVIe siècle. Néanmoins, les faussaires travaillaient encore sur une petite échelle et la seule affaire qui défraya la chronique à la fin du XIXe siècle fut l'achat par le Musée du Louvre d'une tiare en or massif prétendument d'époque scythe qu'un ingénieux orfèvre du nom d'Israel Rouchomovsky venait tout juste de réaliser. Annoncée comme découverte dans le sud de la Russie, cette fameuse tiare portant l'inscription " dédiée à Saïtapharnès par le peuple d'Olbia" fut vendue pour un million de francs au Louvre par les frères Hochman, deux escrocs roumains puis exposée au public le 1er avril 1897, le jour même des grosses blagues, mais bien vite des spécialistes se mirent à douter de son authenticité en raison du fait que les reliefs de cette couronne paraissaient drôlement intacts après 23 siècles. Sollicité, le conservateur du musée de Munich décréta que la tiare était un montage composé d'éléments antiques empruntés un peu partout en Europe. L'enquête qui suivit déboucha sur la découverte d'un atelier de fabrication de faux à Otchakoff (ex-Olbia) appartenant aux frères Hochman avant que Rouchomovsky ne soit dénoncé par un joaillier mais les enquêteurs eurent du mal à croire qu'ils tenaient en lui le faussaire. Vexé, ce dernier débarqua à Paris et devant les spécialistes du Louvre ébahis, il se fit un devoir de recréer diverses parties de la tiare contestée. En 1873, les frères Penelli avaient fabriqué un sarcophage étrusque qu'ils avaient enterré puis "découvert". Celui-ci était si convaincant qu'il fut acheté comme authentique par le British Museum où il figura durant des dizaines d'années comme une pièce majeure de l'art étrusque avant que l'un des frères, pris de remords, n'avoue la supercherie. Par ailleurs, le succès des peintres auprès de la bourgeoisie s'accompagna d'un accroissement spectaculaire du nombre des copistes. Un artiste comme Corot devint vite copié à outrance mais ce dernier ne se formalisa guère de ce fait en accueillant dans son atelier ses imitateurs ravis d'obtenir ses conseils et son jugement. Corot alla même jusqu'à corriger leurs copies en ayant le chic d'y ajouter sa propre signature. Débordé de commandes et pris par le temps, ce dernier vit là probablement un moyen de satisfaire une clientèle avide de ses œuvres mais dépourvue du sens inné qu'ont les amateurs avertis à flairer le plagiat. Il y eut aussi le peintre Monticelli à la technique si particulière faite d'empâtements lourds qui fut abondamment copié de son vivant. A la fin des années 1870, les Impressionnistes commencèrent à émerger grâce à l'appui de marchands tournés vers la modernité ou ayant le sens des affaires comme Durand-Ruel, Wildenstein, Seligmann, Rouart et d'autres ainsi que des collectionneurs disposant de gros moyens financiers comme les Rothschild, Pierpont Morgan et quelques princes russes ou riches américains qui furent parmi les premiers à s'intéresser à des artistes comme Monet, Manet, Pissarro ou Renoir. Toutefois, il fallut attendre la fin de la Première Guerre Mondiale, durant laquelle des ateliers de faussaires à Bruxelles vendirent notamment des milliers de faux Corot (au moins 10 000) aux officiers de l'armée allemande d'occupation, pour voir apparaître sur le marché les premiers plagiats des maîtres impressionnistes, de Cézanne ou de Van Gogh. A ses débuts, Vlaminck lui-même et d'autres artistes qui devinrent réputés n'hésitèrent d'ailleurs pas à produire des plagiats signés Corot ou Cézanne afin d'avoir suffisamment de quoi vivre. Devenu célèbre une quinzaine d'années après sa mort, Van Gogh intéressa vite les faussaires à partir du moment où sa cote connut une envolée spectaculaire et alors que le catalogue raisonné de son œuvre était en cours de réalisation. La clientèle des amateurs d'art s'étant vite étoffée durant les années 1920, la tentation fut également grande pour certains marchands et non des moindres, tel Lord Duveen, de tricher avec la réalité en écoulant des tableaux avantageusement retapés à de riches gogos. L'âge d'or du faux commença vraiment à partir des années 1925 et ce, dans de nombreux domaines comme celui des meubles du XVIIIe siècle avec la production de copies de créées par l'atelier orléanais d'André Mailfert qui furent ensuite souvent vendues comme authentiques. Mailfert ne participa pas directement à l'écoulement de ses créations merveilleusement réalisées mais, plutôt ravi de constater l'excellence de son art de copiste, il ne dénonça jamais les petits malins qui versèrent dans cette entreprise frauduleuse. Au début des années 1930, Hans Henricus Van Meegeren, un artiste hollandais dépité de voir son talent ignoré par la critique, se mit à étudier de très près le célèbre peintre Jan van der Vermeer (1632-1675) dont les historiens d'art ne connaissaient qu'une quarantaine d'œuvres. De là, germa dans l'esprit de ce peintre ignoré l'idée de faire ressurgir des tableaux perdus de Vermeer de Delft, des toiles essentiellement religieuses créées habilement avec l'utilisation de techniques propres au maître hollandais du XVIIe siècle. Peintre raté, Van Meegeren alla donc se venger de ceux qui l'avaient ignoré. Restaurateur de tableaux et professeur de peinture à Delft, il avait déjà acquis de profondes connaissances au sujet de l'art de Vermeer avant d'étudier les oeuvres de ce maître comme un entomologiste. Il comprit alors quel parti il pouvait tirer en plagiant cet artiste qui n'avait été vraiment redécouvert qu'au milieu du XIXe siècle et dont la première rétrospective fut seulement organisée par le Musée de Rotterdam en 1935. En 1932, il séjourna en Provence et se mit patiemment à décortiquer la technique de Vermeer et à déterminer avec précision les pigments que cet artiste avait utilisés. Deux ans plus tard, il se servit d'une toile du XVIIe siècle qu'il effaça pour peindre une version des « Pèlerins d'Emmaüs » qu'il présenta ensuite à l'expert Abraham Bredius lequel tomba en pâmoison devant ce chef d'œuvre inédit. Ce faux fut acheté pour plus de 500 000 florins en 1937 par la Galerie royale de Rotterdam et Van Meegeren, excité comme une puce par son coup d'audace, se lança jusqu'en 1939 dans la production d'autres Vermeer, notamment une toile titrée « Jacob bénissant Isaac » et d'autres comme « La Cène », « Le Christ et la femme adultère » ou « Le Christ aux outrages ». Durant l'occupation allemande apparut « La Lavandière » puis en 1943 « Le Lavement des pieds », un tableau qui fut vendu 1,25 million de florins aux enchères. La période trouble de la guerre favorisa la juteuse entreprise de Van Meegeren bien que des spécialistes ne manquèrent pas de s'interroger sur la miraculeuse réapparition de tableaux de Vermeer oubliés et sur leur provenance mais il fallut attendre la défaite allemande pour que les autorités du pays fassent le compte des œuvres pillées par les nazis. Ce fut ainsi qu'elles apprirent que « Le Christ et la femme adultère » et au moins quatre autres tableaux censés avoir été peints par de Vermeer avaient été vendus au maréchal Goering et à des dignitaires nazis. Arrêté sous l'accusation d'avoir collaboré avec l'ennemi en lui cédant des trésors nationaux, Van Meegeren jura ses grands dieux qu'il n'avait vendu aux nazis que des faux fabriqués par lui-même et qu'il avait fait à l'occasion acte de patriotisme en les dupant.
Il expliqua alors aux enquêteurs qu'il s'était servi de véritables toiles du XVIIe siècle qu'il avait décapées méthodiquement pour fabriquer ses faux en utilisant les mêmes pigments que Vermeer et en les faisant sécher grâce à un mélange de résines et à un passage au four pour leur donner une touche trompeuse d'ancienneté. La justice néerlandaise refusa de le croire. Pour apporter la preuve de ses dires, il suggéra au tribunal de peindre un autre Vermeer devant deux experts. Sa requête acceptée, il s'exécuta en peignant une toile intitulée « Jésus enseignant dans le temple », un pastiche qui aujourd'hui paraît bien mal ficelé mais qui bizarrement apparut concluant. Une fouille de son atelier niçois déboucha aussi sur la découverte de pigments comparables à ceux utilisés par Vermeer ainsi que d'une toile inachevée représentant une femme lisant une lettre. Van Meegeren ne fut condamné qu'à un an de prison mais terriblement épuisé par l'épreuve qu'il venait de subir, il mourut d'une crise cardiaque le 31 octobre 1947, deux semaines après son incarcération. Sa victoire posthume fut néanmoins éclatante car il avait réussi à abuser les critiques et à leur faire reconnaître son talent alors qu' en même temps, le scandale qu'il avait suscité fut d'un côté la cause d'un énorme coup de pub pour Vermeer dont la cote explosa littéralement et de l'autre provoqua une énorme panique parmi les conservateurs de musées qui doutèrent de l'authenticité de certaines œuvres qu'ils possédaient. Résultat: des tableaux attribués auparavant avec certitude au maître de Delft, comme « La Jeune fille assise devant un virginal », furent déclassés. En 1993, celui-ci fut présenté pour expertise chez Sotheby's mais il fallut consacrer dix années pour l'analyser à fond et faire des comparaisons avec d'autres œuvres pour déterminer son authenticité et le vendre après restauration pour plus de 24 millions d'euros en 2003. Il est probable que s'il avait été confronté à un marché de l'art très huilé ainsi qu'à des méthodes d'analyses bien plus élaborées que durant les années 1930, Van Meegeren aurait eu aujourd'hui peu de chances de berner les spécialistes. N'empêche, les faussaires actuels ou ceux qui les utilisent ont trouvé d'autres failles pour tromper les experts et les amateurs comme John Cockett alias John Drewe, un Anglais qui se servit en 1985 des talents de John Myatt, un peintre raté, pour produire des faux tableaux signés notamment de Ben Nicholson qui furent considérés par la suite comme authentiques. Celui là eut le génie d'inciter des amis bien introduits dans le marché de l'art à lui signer des papiers pour attester que ces œuvres leur appartenaient sans oublier de produire de faux courriers des artistes plagiés. Cockett obtint en outre l'autorisation de compulser les archives de divers musées comme la Tate Gallery ou l'Institut d'art contemporain de Londres dans lesquelles figuraient les listes d'œuvres répertoriées et trouva le moyen d'y ajouter par un habile jeu d'écriture celles que Myatt avait plagiées. Arrêté par Scotland Yard au début de 1999, Cockett fut condamné à six ans d'emprisonnement et retrouva la liberté au bout de deux ans. A la fin des années 1960, un autre faussaire de talent d'origine hongroise, Elmyr de Hory, défraya la chronique en faisant écouler de multiples plagiats aux Etats-Unis par l'intermédiaire de Fernand Legros, un ancien danseur de ballet qui n'eut pas son pareil pour berner de riches gogos. Né en Hongrie en 1905 et installé dans l'île d'Ibiza depuis 1961, Elmyr de Hory, qui pour brouiller les pistes s'était fabriqué diverses identités comme celles de Elmyr von Houry, du Baron Elmyr Hoffman, de Joseph Dory ou de Joseph Dory-Boutin, se comporta d'emblée comme un personnage énigmatique en se faisant passer pour un riche noble en exil. Installé dans une magnifique résidence où il organisait des soirées mondaines très courues dans l'île, de Hory laissa croire que sa fortune était constituée d'objets d'art et qu'il avait pour amis Salvador Dali et d'autres personnages célèbres. Sa douce existence sous le soleil d'Ibiza s'écoula sans anicroche jusqu'au moment où il fut rattrapé par le scandale du procès de Fernand Legros et de son petit ami Réal Lessard, accusés aux Etats-Unis d'avoir floué le magnat du pétrole texan Algur Hurtle Meadows qui leur avait acheté des dizaines de faux tableaux modernes. Très tôt attiré par l'art, Elmyr avait eu une jeunesse dorée à Budapest jusqu'au divorce de ses parents. Alors âgé de 18 ans, il s'était décidé à faire des études artistiques, d'abord à Munich, puis à Paris dans l'atelier de Fernand Léger entre 1926 et 1932, mais il n'était pas parvenu à se signaler en tant qu'artiste. Se retrouvant ruiné à la fin de la Seconde Guerre Mondiale lorsque sa famille fut spoliée de ses biens par les autorités communistes de Hongrie, cet homosexuel avéré dut alors trouver le moyen d'assurer sa subsistance dans une ville dont les habitants désiraient oublier les affres de l'occupation et où le travail ne manquait pas mais l'idée de se retrouver dans la peau d'un minable employé le rebuta fortement.
Sans le sou, il se mit à faire des pastiches en imitant des artistes célèbres comme Picasso, Matisse ou Modigliani qu'il parvint à revendre sans peine à des gogos. Il parvint ainsi à survivre dans le Paris de l'après-guerre et s'offrit des séjours à l'étranger où il floua d'autres amateurs et des galeries jusqu'à ce jour de 1952 où il connut sa première frayeur lorsqu'un galeriste de Los Angeles le démasqua et menaça de le dénoncer à la police. Déstabilisé et paniqué à l'idée d'être arrêté et incarcéré, de Hory mit un frein à son activité et tenta un peu plus tard de se suicider mais en 1958, il fit sans le savoir alliance avec le diable en acceptant l'aide de Fernand Legros, un soi-disant marchand d'art âgé de 27 ans, père de famille mais également attiré par les jeunes éphèbes qui fréquentait assidûment la jet-set d'alors. On peut croire que Legros fut inspiré par Otto Wacker, alias Olindo Lovaël qui comme lui fut danseur avant de devenir marchands de tableaux durant les années 1925 à Berlin où il se permit d'exposer 30 Van Gogh que le spécialiste Bert de la Faille considéra d'abord comme authentiques avant de reconnaître qu'il avait été berné. Lors du procès de Wacker en 1932, l'expert reconnut toutefois que 5 des oeuvres que l'accusé détenait étaient authentiques. Elmyr de Hory se sentit d'entrée mal à l'aise devant ce personnage excentrique aux faux airs de cow-boy, bardé de bijoux, affublé de lunettes noires, d'une barbe de hippie, d'un manteau de fourrure et de bottes en crocodile qui s'était soudainement avisé de régenter son existence. Legros avait cependant beaucoup d'aisance et de bagout à revendre et sut mieux que quiconque redonner à de Hory le goût de la vie. Touchant sa corde sensible en flattant son talent d'artiste, il parvint ainsi à la convaincre à le suivre aux Etats-Unis où il rencontra et séduisit ensuite le jeune Lessard, alors âgé de 19 ans qui lui aussi se mit plus tard à son service en produisant des plagiats. Ayant l'art et la manière de convaincre de Hory à travailler sans relâche, l'ancien danseur se mit en tête de trouver des clients et de leur faire cracher leur argent. Il eut même le chic de tromper les douanes américaines qui lorsqu'elles lui demandèrent ce qu'il transportait dans ses valises se virent répondre qu'elles contenaient des copies de maîtres. Ne voulant pas s'en laisser conter, les douaniers firent examiner les toiles par des experts qui décrétèrent sans ambage qu'ils s'agissait d'œuvres authentiques, ce qui valut à Legros une forte amende mais aussi miraculeusement en retour une attestation douanière valant son pesant d'or aux Etats-Unis puisque les faux qu'il trimbalait étaient désormais considérés comme authentiques. Lassé des outrances de Legros qu'il trouvait affreusement antipathique et pressentant peut-être que leur équipée allait mal se terminer, de Hory ne demeura qu'une année aux Etats-Unis et préféra retourner à Ibiza en laissant le courtier escroc se débrouiller seul, ce qui l'amena ensuite à se servir de Lessard ainsi que d'Alin Marthouret, un autre plagiaire, pour leur faire produire d'autres faux à vendre. De Hory se contenta dès lors de peindre d'autres toiles et de les expédier discrètement à Legros pour les écouler. Ce fut alors que ce dernier trouva en Algur Hurtle Meadows le parfait gogo à qui il fourgua plus d'une quarantaine de faux portant notamment les signatures de Modigliani, Derain, Picasso ou Dufy. De plus, Legros avait réussi à circonvenir des experts français et des ayants-droit qui lui fournirent de nombreux certificats d'authenticité sans trop se poser de questions au sujet des œuvres qu'ils eurent à examiner. Ayant fini par apprendre qu'il avait été floué, Meadows porta plainte contre Legros qui fut finalement arrêté à la suite d'une très longue enquête qui fit les délices de la presse. Avec lui, Lessard et de Hory tombèrent dans les mailles de la justice alors que les milieux du marché de l'art furent en proie à une belle panique en apprenant que des centaines, voire des milliers, de faux circulaient aux Etats-Unis, un pays rempli d'amateurs ignares, mais les acheteurs floués ne furent pas nombreux à se manifester de peur de perdre la face. Perpétuellement angoissé et fatigué par une existence placée sous le signe de l'imposture, Elmyr de Hory finit par se suicider pour de bon en 1976 après avoir écrit ses mémoires et fait l'objet d'un film réalisé par François Reichenbach tout en ayant suscité l'admiration de l'admiration d'Orson Welles qui vit en lui un des plus grands faussaires du siècle. En 1979, Legros fut condamné à deux ans de prison, une peine couverte par des détentions déjà subies en France et à l'étranger, mais ce fumeur invétéré de cigares ne profita pas longtemps de sa liberté ni même de l'aide généreuse de la fille d'Onassis. Atteint d'un cancer de la gorge, il mourut en avril 1983. De son côté, Réal Lessart écrivit un livre plutôt anecdotique et alla vivre au Maroc tandis que Marthouret, resté discret durant des années, ne publia le sien qu'en 2003 pour révéler qu'il avait été aussi pourvu Legros en faux. David Stein, fut un autre faussaire génial qui trompa de nombreux amateurs, surtout aux Etats-Unis, mais il finit par être arrêté après que Marc Chagall eut découvert un faux exposé dans la vitrine d'un galeriste. Sorti brutalement de l'anonymat, Stein fit les choux gras de la presse et trouva le moyen de profiter de sa détention en peignant des pastiches recherchés par de nombreux amateurs. La création d'un faux est un jeu extrêmement difficile à décrypter parce que les motivations des faussaires peuvent être multiples d'autant plus qu'on a affaire à des individus dont les personnalités ne sont jamais les mêmes. Il est complexe de comprendre ce qui se passe dans l'esprit d'un plagiaire puisqu'il peut être mû par diverses pulsions. Il peut décider de créer un faux simplement pour avoir le plaisir de se payer la tête d'un expert ou de berner un marchand ou par appât d'un gain facile ou encore pour s'amuser. S'amuser a été le cas au départ d'un copiste surnommé « Fac-similé », génial imitateur de peintres de natures mortes du XVIIe siècle dont les pastiches finirent dans les années 1980 à passer toutefois pour authentiques aux yeux de certains experts parisiens. Ayant longtemps travaillé comme restaurateur pour le service des Monuments nationaux, « Fac-similé » avait fini par acquérir une connaissance parfaite des pigments utilisés par les peintres du XVIIe siècle. De plus, son travail l'avait amené à examiner de très près des œuvres conservées dans les musées. Pour faire des pastiches criants de vérité, il ne lui restait plus qu'à trouver un support adéquat, une toile ou une plaque de cuivre d'époque et le tour était joué. Il se mit ainsi à vendre des copies à des amateurs jusqu'au jour où des marchands eurent vraiment du mal à croire qu'elles n'étaient pas authentiques. De fil en aiguille, certaines de ses copies furent authentifiées comme vraies et il se retrouva bombardé de coups de fils par des marchands flairant le bon filon pour produire des œuvres attribuables aux grands maîtres français, hollandais ou flamands de la nature morte. Près de 40 de ses plagiats se retrouvèrent munis de certificats d'authenticité et « Fac-similé », se sentant pris dans une dangereuse spirale, sentit que le temps était venu de prendre de la distance avec ses commanditaires et de quitter Paris pour respirer un air plus sain.
L'art du plagiat a connu un développement spectaculaire à partir du moment où le marché de l'art a pris son véritable essor à la fin des années 1970. Jusque là, il était plutôt resté limité tandis que Paris occupait la première place au plan des ventes aux enchères. Les choses changèrent progressivement lorsque les maisons de vente anglo-saxonnes adoptèrent des méthodes modernes de marketing pour attirer de nouveaux clients. L'expansion économique des Etats-Unis fit le reste et permit l'apparition de nouveaux riches acheteurs avides de se constituer des collections. Les Etats-Unis devinrent le terrain idéal des faussaires quand les cotes de peintres impressionnistes et modernes se mirent à grimper allègrement. Des galeries se mirent à fleurir à New York, Chicago, Los Angeles, Dallas ou San Francisco pour satisfaire de nombreux amateurs. L'ennui était que les experts des peintres recherchés n'étaient pas des Américains mais des Français pour la plupart et que les amateurs, peu soucieux au départ de vérifier les certificats qui accompagnaient les œuvres qu'on leur proposait ne prirent pas souvent la peine de s'entourer des précautions les plus élémentaires pour s'assurer de leur validité. D'autres avaient acheté des œuvres certifiées par des experts qui n'avaient aucune autorité sur les artistes qui étaient censés les avoir produites et d'autres encore acquirent des toiles sans certificats. De nombreux propriétaires de petites galeries n'hésitèrent pas à vendre des œuvres douteuses en délivrant eux-mêmes des certificats qui n'avaient aucune valeur. Dans ce contexte, Legros avait vite compris le parti qu'il pouvait tirer de cette situation pour écouler ainsi des centaines de faux aux Etats-Unis. Il serait cependant injuste de jeter exclusivement la pierre aux Américains car des décennies plus tôt, le célèbre collectionneur parisien Duret fut à la fin de sa vie la proie de nombreux escrocs. A sa mort, ses héritiers constatèrent avec stupeur que sa belle collection de tableaux impressionnistes et autres comprenait de nombreux faux. Ayant atteint sa pleine maturité, le marché de l'art fit donc face à deux plaies inévitables, les vols et les faux qui se multiplièrent à l'envi à travers le monde occidental. Il ne fallut pas longtemps à des petits malins basés dans les pays du bloc communiste à comprendre l'intérêt de fabriquer des faux se rapportant à des artistes recherchés en Europe et aux Etats-Unis. Ils se mirent donc à l'ouvrage dès les années 1970 pour produire des œuvres de jeunesse de peintres qui avaient émigré à l'Ouest, tels Chagall et Lissitsky ou des toiles suprématistes ou constructivistes de nombreux artistes russes réputés. Avant même la chute du Mur de Berlin, il y eut ainsi un trafic juteux de faux Malévitch, Gontcharova, Suetin ou Popova. L'augmentation sensible de peintres cotés sur le marché a entraîné une prolifération de faux tout autant que le succès des grandes marques de vêtements et de parfums qui a débouché sur une véritable industrie de la contrefaçon à travers la planète. Le succès de Botero en Colombie s'est ainsi accompagné d'une myriade de plagiats concernant ses toiles et ses sculptures. D'autres artistes ont été victimes de plagiats qui ont inondé le marché américain où on trouve une quantité incroyable de fausses sculptures de Erté, Henry Moore, Rodin, Archipenko ou Matisse vendues à des prix défiant toute concurrence. Le phénomène s'est amplifié avec l'émergence de l'Internet et le succès d'un site comme E-Bay sur lequel sont proposés chaque semaine des centaines de copies ou de faux présentés astucieusement sous le terme « attribué à » par des vendeurs qui ne manquent pas d'ingéniosité, comme des dessins ou des toiles de Picasso, Matisse, Popova, Diego Rivera, Frida Kahlo, Botero, Dali, Renoir, Pissarro, Modigliani, Moore, Rodin, Gontcharova, Laurens, Childe Hassam, Corot, Monet, Franz Marc, August Macke, Tamara de Lempicka et autres. Une véritable épidémie pour le marché déjà soumis à rude épreuve par la crise économique mondiale. Toute demande qui est devenue appuyée sur un peintre entraîne souvent l'apparition de plagiats, cela a été le cas pour Michel-Ange, Rembrandt, Watteau et plus tard Vlaminck, Derain, de Chirico, Foujita, Warhol, Basquiat, Pollock et maintenant Combas et d'autres artistes contemporains. C'est là la rançon du succès qui provoque aussi la prolifération de simples copies. Mais de la copie au faux, il n'y a qu'un pas et celui-ci peut être facile à franchir lorsque certains individus se rendent compte qu'il est légalement moins risqué d'écouler des plagiats que des billets de banque contrefaits. Il n'existe pas de profil type du faussaire et cela vaut autant pour les gogos car parmi eux figurent aussi des amateurs décrits comme avertis. On ne peut néanmoins considérer comme faux les copies réalisées dans le cadre d'un enseignement ou d'une formation artistique ou les œuvres créées partiellement par des maîtres dans leurs ateliers et terminées par leurs élèves. De nombreux grands peintres eurent ainsi recours à des assistants pour répondre à un trop-plein de commandes, ce qui fut le cas notamment de Rubens et dans une moindre mesure de Rembrandt. Et puis, bien que cela puisse déboucher sur une erreur d'expertise, toute copie n'est par essence qu'une reproduction fidèle de l'oeuvre d'un maître alors que le faux nécessite la création d'une composition qui ne soit pas le duplicata d'une autre et ce, dans le but de tromper un amateur ou un spécialiste. Sorti de là, on peut décréter qu'un faussaire est celui qui crée une œuvre en la faisant passer pour celle de l'artiste qu'il a plagié et en la revendant à un prix conséquent mais pour faire un faux et gagner de l'argent facilement, il est nécessaire de choisir un artiste dont la cote est établi. Mais pour ce faire, il faut surtout avoir du talent, bien connaître les techniques anciennes, les composants chimiques despigments utilisés par les maîtres d'autrefois et aussi être capable de créer une composition fidèle à l'esprit exhalé par ces derniers et de bâtir ensuite une histoire crédible concernant un tableau soudainement « redécouvert ». Pour faire un faux, il est donc nécessaire d'avoir du talent pour peindre tout en sachant bien cerner la vie et l'œuvre de l'artiste qui sera plagié pour déjouer les questionnements d'un expert, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Toutefois, à moins d'être redoutables en affaires, les faussaires n'ont pas toujours tous les atouts en main pour mener à bien leur entreprise malhonnête. Une fois qu'ils ont exécuté un faux, il leur faut partir à la recherche de gogos pour le vendre mais ayant pour la plupart une âme d'artiste, ils se retrouvent bien en peine à se mettre dans la peau d'un Legros. Pour écouler un faux, il est donc nécessaire d'avoir un caractère bien trempé pour tromper des amateurs. La plupart du temps, les faussaires se retrouvent donc dans une impasse et se débarrassent souvent à vil prix de leurs plagiats en faveur du premier venu. Tout en remarquant que certains grands de ce monde n'hésitèrent pas à se permettre des écarts de conduite, comme le pape Clément VII qui se permit de faire faire une copie du portrait de Léon X par Raphaël en l'offrant à Frédéric II Gonzague tout en lui faisant croire qu'il s'agissait de l'oeuvre originale, il convient de rappeler que le trafic de faux ne serait pas ce qu'il est sans l'intervention de personnages à l'esprit tordu qui ont le don de magouiller et qui profitent de la naïveté des gens pour les tondre à loisir. Cela a notamment été le cas de P. R., un personnage à l'air très sympathique qui a fini progressivement par quitter la voie de l'honnêteté pour se vouer à l'art de l'escroquerie. Présentant bien et jouant le rôle d'un cadre bien nanti demeurant dans une belle villa située dans une banlieue chic, marié de surcroît à une séduisante jeune femme très attentionnée avec ses enfants, ce personnage redoutable avait mis au point un stratagème bien huilé pour attirer les gogos. Passant des annonces dans les journaux et les magazines d'art, il faisait croire à ses victimes qu'il avait besoin de vendre une partie de son impressionnante collection pour se construire une piscine ou encore pour financer des travaux urgents. Pour les mettre en confiance, il leur vendait une œuvre authentique à un prix séduisant tout en ne manquant pas de les appâter au passage en leur montrant d'autres toiles ou des objets d'art de qualité qu'il serait peut-être amené plus tard à vendre en cas de besoin. Pour garnir sa splendide demeure, il n'hésitait pas aussi à faire appel à des marchands de la capitale pour se faire confier des œuvres que ceux-ci avaient du mal à vendre en boutique mais en faisant croire qu'elles lui appartenaient et qu'elles n'étaient jamais apparues sur le marché, celles-ci devenaient alors bien tentantes pour ses visiteurs. P. R. ne manquait pas par ailleurs de fréquenter assidûment des marchands et l'Hôtel Drouot où il n'hésitait pas à lever le doigt de temps à autre pour enchérir au point de susciter l'intérêt de commissaires-priseurs avec il avait pris l'habitude de discuter avant ou après une vente en se faisant passer pour un personnage important. Une fois ferré, un client revenait le voir et faisait alors l'acquisition d'œuvres prétendument authentiques jusqu'au moment où il fit l'objet de plaintes puis d'un article assassin dans « Le Point » qui exposa sa combine de long en large. Il fit des dizaines de victimes durant plus d'une dizaine d'années mais la justice se montra fut plutôt lente pour lui mettre la main au collet. Entre-temps, l'aigrefin se permit même de participer en tant que marchand à de grands salons d'antiquaires tout en continuant à recevoir d'autres gogos dans sa villa. Généreux, il offrait le champagne alors que sa tendre épouse, un enfant dans les bras, se mêlait gentiment à la conversation pour mettre le visiteur plus en confiance. Rattrapé par la justice, ce spécialiste de la vente de faux s'est retrouvé en prison pour cinq ans au début de juillet 2005 alors que son épouse et complice a été mise en résidence surveillée. D'autres courtiers véreux sont encore en activité de par le monde et peuvent espérer avoir de beaux jours devant eux tant qu'il y aura des amateurs excités par l'idée d'acheter des œuvres importantes à bon compte. Il suffit de se rappeler que les fausses pierres ont commencé à circuler à partir du moment où les diamants ont été convoités. Il en va ainsi de même pour les objets d'art. Adrian Darmon
IL EST DIFFICILE DE PRENDRE LE FAUX PAR DEFAUT… Par Adrian Darmon Tout comme les vols, les faux sont la hantise des amateurs. Dans les deux cas, il leur faut se protéger ou se prémunir. Mais s'il est possible de sécuriser au mieux un appartement ou une maison pour réduire les risques d'un cambriolage, il est plus difficile, même pour un amateur très averti, d'échapper au piège du faux. Il naît d'ailleurs un gogo par minute à travers le monde, cela veut dire que l'entreprise illicite du plagiat n'est pas près d'être éradiquée surtout que les amateurs ont la fâcheuse tendance à se nourrir du rêve de mettre la main sur l'objet rare en l'achetant au prix le plus bas. Le désir de faire un gros coup entraîne ainsi tout mordu à baisser sa garde lorsqu'il tombe sur ce qui lui semble être un trésor, ce qui fait que le jeu excitant de la découverte s'accompagne souvent de désillusions. La découverte est une chose, l'authentification d'une trouvaille en est une autre bien plus compliquée d'autant plus qu'elle aboutit le plus souvent à un verdict négatif ou mitigé. Constatant qu'un modèle de statuette de Jean de Bologne réalisé à Florence vers 1600 venait d'être adjugée récemment au prix incroyable de 1,2 million € à Drouot, un amateur qui avait chiné un exemplaire similaire il y a 20 ans a contacté l'expert de la vente avec l'idée qu'elle aussi atteindrait un prix conséquent. Seulement voilà, l'expert lui a expliqué que sa statuette avait été produite 50 ans plus tard par l'atelier des Gobelins et qu'à son avis, elle ne dépasserait pas 50 000 €. Pourtant, il n'avait estimé qu'à 30 000 € le modèle vendu à un prix mirifique après avoir constaté que le numéro d'inventaire figurant sur celui-ci et censé déterminer comme provenance la collection du cardinal de Richelieu avait été gravé sous la patine, ce qui pouvait laisser croire qu'il était apocryphe. Or, si ce numéro était sous la patine, cela signifiait aussi que le bronze avait été plus tard muni d'une nouvelle patine, ce qui théoriquement devait lui ôter de la valeur. Tout ça pour dire que même si elle est d'époque, une sculpture recherchée ne vaut pas nécessairement le même prix qu'une autre à priori similaire sans compter que la provenance peut en outre jouer un rôle déterminant dans une adjudication. Le vrai ne correspond donc pas à une réalité absolue et peut même se transformer en faux, surtout lorsqu'un expert affirme que la pièce qu'on lui soumet est un plagiat alors qu'elle est en fait authentique. Le faux lui même se décline à toutes les sauces puisqu'il peut être manifeste, trompeur, déroutant, indétectable de prime abord et subtil ou devenir authentique par la grâce d'un certificat accordé par un spécialiste aveugle ou piégé par sa perfection. On sait d'autre part que les artistes ont toujours copié les maîtres pour se former mais on oublie trop souvent qu'ils les ont plagié inconsciemment – ce qu'ils ont toujours rechigné à admettre- en définissant leur propre style. Au début des années 1950, le critique d'art Clement Greenberg, qui fut l'un des plus influents théoriciens de l'art du XXe siècle, avait porté aux nues plusieurs artistes, notamment ceux du mouvement expressionniste-abstrait ou Kenneth Noland au point que l'avenir de l'art paraissait dépendre de ses analyses. Il se permit ainsi de faire l'apologie de Noland dont les œuvres pareilles à des cibles de tir à l'arc imitaient en fait celle de Robert Delaunay réalisée en 1910. Greenberg affirma également que Barnett Newman ne devait rien à Mondrian alors que ce dernier l'avait en réalité fortement influencé. Dans on livre « Comment je suis devenu un marchand de tableaux » (Ed. L'Echoppe), Sami Tarica cite le psychanalyste Daniel Sibony lequel dans son analyse du complexe du second-premier a expliqué que « ce type d'emprunts massifs, très présent dans l'histoire… consiste, pour celui qui vient en second, à non pas reconnaître sa dette envers le premier et à dire son projet de faire mieux ou de faire autre chose, mais à faire tout son possible pour être le premier alors qu'il ne l'est pas. Et ce viol de la simple chronologie l'amène à faire beaucoup de folies ». Tout ça pour signaler que les lignes verticales de Newman étaient déjà fortement ancrées dans les esprits et n'étaient en rien novatrices. Greenberg qualifia en outre Fautrier de peintre abstrait alors que celui-ci se défendait véhémentement de l'être. Fautrier resta d'ailleurs longtemps ignoré des galeristes et des amateurs au point qu'au lendemain d'une exposition ratée en 1955 il fut amené à écrire à Jean Paulhan : "Vous m'avez toujours dit que les très grands peintres ne vendent jamais rien au début. Eh bien, soyez satisfait : dans cette exposition, rien n'a été vendu ! "… Ce fut grâce à Tarica, habile marchand de tapis reconverti en galeriste, que Fautrier commença enfin à trouver des acheteurs pour ses œuvres. Un jour, le marchand lui montra une douzaine de tableaux de Poliakoff dont il était fier et se vit répondre par Fautrier que de tous les post-cubistes, celui-ci était probablement le meilleur, ce qui voulait dire en fait qu'il y avait une sacrée différence entre « post » et « authentique ». Un autre jour, Tarica accompagna un client américain chez Fautrier qui lui demanda 1 000 francs pour un tableau. L'Américain le trouvant trop cher, Fautrier sortit alors d'un placard six autres tableaux identiques et lui déclara : « Ceux-ci ne valent que dix francs pièce ». Etonné, le visiteur essaya de comprendre et Fautrier lui répondit d'un air narquois : « Parce que ceux-ci ont été faits par ma femme de ménage ». Il s'agissait en fait des célèbres « Originaux multiples » mais, déboussolé, le client américain s'en alla sans rien acheter. A New York, les œuvres de Ben Shahn, Tworkov, Guston, Motherwell, Kline, Rothko ou Newman que Tarica vit semblèrent à ce dernier peu appréciables en raison de l'inexistence de rupture plastique avec les peintures qui les précédaient de peu. « J'étais stupéfait de l'importance qu'avait si vite prise cette abstraction attardée », remarqua-t-il. Il fallait donc un discours persuasif et une « appellation » appropriée pour faire admettre ce qui à ses yeux semblaient n'être que l'exubérance des créations qui avaient nourri les trente premières années du XXe siècle. Visiblement, les expressionnistes-abstraits avaient d'après lui œuvré pendant une période creuse en profitant de l'influence de Kandinsky, Malévitch et Mondrian tandis que leur art surmédiatisé lui avait fait penser aux statues du grand empire romain, subitement dédaignées à partir du moment où elles étaient comparées à celles « archaïques » du petit royaume grec. Devant ces œuvres produites par les expressionnistes-abstraits, Fautrier lui-même se demanda comment un artiste pouvait préserver l'intégrité de son « moi » dans une période où les valeurs étaient sacrifiées à la mode. Apparemment, le succès de l'expressionnisme-abstrait était en train de se bâtir alors sur une imposture surtout que les œuvres de Fautrier exposées à New York furent ignorées et dénigrées. Ce fut presque du pareil au même à Paris où le Musée d'Art Moderne refusa le don d'un tableau de ce peintre au prétexte qu'il ne s'agissait pas de peinture, ce qui amena Tarica à penser qu'avoir trop tôt raison ne servait à rien. En 1959, Fautrier fut invité à la Biennale de Venise au grand dam de Gildo Caputo, alors président du syndicat français des marchands de tableaux, qui voulait présenter Manessier mais à qui les membres de ce syndicat préfèrent Hartung. Au final, Fautrier partagea avec celui-ci le Grand Prix grâce à Tarica qui déjoua une conjuration de marchands contre lui en convaincant le juré polonais disposé à voter pour l'artiste d'origine allemande que le jury était composé de capitalistes unis contre un artiste qui n'avait pas de galeriste pour le représenter. Concernant Yves Klein, Tarica essaya un jour de lui faire obtenir un prêt de la part du millionnaire Gunter Sachs. Ce dernier accepta mais au cours d'un déjeuner, il lui raconta l'histoire des « Zones de sensibilité picturale immatérielle » se rapportant à la notion du rien. Ce fut alors que Sachs se rétracta en déclarant : « Quoi, vous voulez me faire acheter rien … Je ne marche plus ». Comme quoi le rien dans l'art n'est pas rien...
En attendant, hormis Fautrier, Klein et quelques autres, la plupart des peintres modernes et contemporains ont inconsciemment plagié des maîtres, à commencer par Picasso qui s'inspira de plusieurs artistes pour développer son œuvre. On peut ainsi dire qu'il fut le plus grand adaptateur de l'histoire de la peinture sans avoir rien inventé, pas même le Cubisme dont la paternité revenait en grande partie à Braque alors que Cézanne fut à l'origine de ses fondements. Cela n'a cependant rien enlevé au génie de Picasso, considéré de loin comme le plus grand artiste du XXe siècle. Quoiqu'il en soit, nombre de peintres devenus célèbres ont « pompé » d'autres artistes, tant au niveau du style qu'à celui des idées, avec le mérite d'attirer vers eux les grands collectionneurs. Encensé en 1959, Manessier n'a pas eu la gloire de Poliakoff ou de De Staël simplement parce que ces deux artistes ont été plus médiatisés sur le marché. On connaît le succès d'un Bernard Buffet mais on ignore que plusieurs peintres produisirent des œuvres similaires aux siennes au milieu des années 1940. Aujourd'hui, ceux-ci ont été oubliés. A la fin des années 1950, de nombreux galeristes se gaussaient de Fautrier ou de Klein qui ont pris plus tard une revanche éclatante sur les peintres qu'ils représentaient et que Fautrier traitait avec ironie de « post-cubistes » alors qu'il se voulait le représentant d'une peinture authentique. Cela posé, un emprunt en peinture n'est pas vraiment de la copie ou un plagiat, mais juste la manifestation souvent inconsciente d'une influence. Face au tableau d'un artiste on se surprend d'ailleurs souvent à remarquer des ressemblances avec le style d'un autre. Il suffit de visiter un musée, de se placer à dix mètre d'une peinture et d'essayer de deviner qui en est l'auteur. A cette distance, on peut faire la confusion entre Bourdon et Poussin, entre Watteau et Lancret, entre Jongkind et Boudin, entre Gauguin et Sérusier, entre Cross et Signac et j'en passe. Watteau eùprunta beaucoup à Gilot avant d'inspirer Lancret ou Pater, Claude Gelée donna certainement des idées à Constable dût vraisemblablement séduire Corot lequel attira l'œil de Boudin qui à son tour impressionna Monet. Picasso ne fut pas en reste en passant de l'académisme à une peinture marquée par des débuts difficiles avant de devenir un pape du Cubisme et de décliner son art sous presque tous les angles tout en s'inspirant de Julio Gonzales pour créer d'étonnantes sculptures. L'art ne progresse qu'à travers des emprunts qui figurent ainsi parmi les jalons essentiels de son développement. En période de rupture, les artistes se transforment un peu plus en plagiaires, les plus connus profitant alors de l'appui de marchands dotés d'un grand sens du marketing. On peut donc les soupçonner d'être quelque part des imposteurs (telle était l'opinion de Fautrier au sujet des expressionnistes-abstraits) sauf que le succès leur a servi d'écran. Le marché rend ainsi gloire à ses favoris sans que ses intervenants se soucient des facteurs qui leur ont permis de parvenir au devant de la scène. Cela peut paraître injuste mais la chance et l'opportunisme jouent un rôle considérable dans le succès d'un artiste. Traiter Serge Poliakoff de plagiaire semble pour le moins grossier mais il n'en demeure pas moins que celui-ci, tout comme d'autres peintres aussi connus, laissa son subconscient butiner d'autres influences. Peut-on parler de plagiat lorsque des peintres adhèrent à une tendance, comme ce fut le cas du Fauvisme héritier du Divisionnisme initié par Seurat qui à la suite de Derain et de Vlaminck attira des artistes comme Braque, Matisse, Manguin, Friesz, Van Dongen, Jean Puy et d'autres ? Pareil constat peut être fait au sujet du Cubisme, mis au goût du jour par Braque et Picasso et auquel adhérèrent plusieurs artistes comme Juan Gris, Hayden ou Marcoussis ou encore de l'abstraction qui en a dérivé. Les principes édictés par les chefs de file de nombreux mouvements (Cubisme, Suprématisme, Constructivisme, Futurisme, Surréalisme, Abstraction ou Musicalisme entre autres) ont imposé des règles qui elles-mêmes ont engendré des emprunts et forcément des plagiats involontaires mais nécessaires pour les respecter. On reste là encore bien à l'écart des plagiats intentionnels et encore loin de la création de faux mais il n'en demeure pas moins que les limites de la tromperie ont souvent été frôlées lorsque les peintres ont employé des styles et des formules similaires. Quant aux faussaires, ceux-ci n'ont eu aucun mal à verser crûment et directement dans la falsification en essayant de reproduire avec des variantes ce que les maîtres avaient produits. Ceux-là ne sont rien moins que les terroristes de l'art, ne serait-ce déjà parce que le faux s'avère être la terreur de tout expert. Adrian Darmon
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