Le rapporteur général du budget à l'Assemblée nationale, Christian Eckert, a décidé le 8 octobre 2012 de présenter un amendement intégrant les oeuvres d'art d'une valeur supérieure à 5000 euros dans l'assiette de l'impôt sur la fortune, ce qui n'a pas manqué d'inquiéter les collectionneurs et professionnels du marché de l'art.
Dans une interview accordée au journal « Les Echos », M. Eckert a ainsi estimé qu'il ne s'agissait pas de taxer la culture mais de proposer une mesure d'équité évoquée depuis des années sans que l'on soit passé passe à l'acte.
Rappelons que depuis 30 ans, les œuvres d'art ont été exclues de l'impôt sur la fortune, une exception bien française, et que les diverses tentatives pour les y inclure ont toutes capoté sous la pression des acteurs du marché de l'art dont les arguments ont été basés sur le fait que cette taxe causerait son effondrement en France.
Il va sans dire que si elle était adoptée par le gouvernement, la mesure proposée par M. Eckert créerait alors un véritable séisme tant pour les collectionneurs que pour les galeries ou même les musées.
Lors du mandat présidentiel de Nicolas Sarkozy, la question de l'intégration des oeuvres d'art dans l'assiette de l'ISF était revenue sur le tapis en juin 2011 pour provoquer de vives inquiétudes parmi les collectionneurs mais Frédéric Mitterrand, alors ministre de la Culture, était parvenu à dissuader le gouvernement de l'appliquer en estimant qu'elle conduirait mécaniquement à l'effondrement du marché de l'art à un moment où la place de Paris subissait un recul au niveau international.
Présentée comme basée sur un souci d'équité, l'initiative de M. Eckert pourrait certes paraître louable puisque nombre de riches Français ont pu échapper à l'impôt sur la fortune en collectionnant des objets d'art qui ont été exonérés de cette taxe depuis son application.
Néanmoins, le député a semblé faire preuve de courte vue en la matière en omettant de s'attarder sur le fait que les possesseurs d'œuvres se divisent en plusieurs catégories, à savoir les spéculateurs, devenus de plus en plus actifs sur le marché de l'art, un segment encore épargné par la crise économique mondiale, les gros collectionneurs et les autres de condition modeste dont les achats sont principalement motivés par le plaisir.
Mais il n'y a pas que cela étant donné que l'inclusion des objets d'art dans l'ISF aurait pour grave conséquence de plomber le marché français qui éprouve énormément de mal à préserver sa place sur le plan international face aux pays anglo-saxons et asiatiques. Appliquer cette taxe reviendrait donc à grever les chiffres d'affaires déjà mis à mal par la crise de nombreuses galeries qui perdraient une bonne partie de leurs riches clients et d'autres moins nantis, effrayés qu'ils seraient à la perspective de se retrouver assujettis à l'ISF après avoir accumulé des dizaines d'œuvres valant plus de 5000 euros.
Depuis trois décennies, nombre de rapporteurs du budget se sont donc cassé les dents à vouloir remettre en route un sujet qui est devenu un véritable serpent de mer et là encore M. Eckert a fait fausse route en oubliant déjà que les acquéreurs d'objets d'art payent au départ une TVA sur leurs achats et que si ceux-ci étaient inclus dans l'ISF, ils se verraient assujettis à une dîme infernale.
M. Eckert aurait été mieux avisé de solliciter les conseils de spécialistes pour constater que son souci d'équité pourrait prendre le risque de devenir inique pour les collectionneurs et les galeristes car en faisant adopter sa proposition, il se rendrait vite compte qu'elle n'aurait pas l'effet escompté.
A cet égard, le député socialiste a fâcheusement oublié certaines réalités. Et d'un, les spéculateurs qui ont immanquablement attiré l'attention du gouvernement en faisant des profits juteux sur le marché de l'art, échapperaient pour la plupart à l'ISF puisque leurs acquisitions sont en majorité à l'abri dans des ports francs en Suisse ou ailleurs. Et de deux, comment évaluer la valeur des œuvres des personnes susceptibles d'être assujetties à l'impôt sur la fortune ? En réclamant une liste détaillée de tout ce qui dépasse 5000 euros en valeur de leur part ? Cela équivaudrait à tout le moins à une véritable inquisition. Et de trois, les personnes les plus lésées seraient les petits collectionneurs qui ont acheté leurs œuvres par simple passion sans compter ceux qui possèdent depuis des lustres des œuvres qui ont pris de la valeur aujourd'hui ou d'autres qui en ont hérité après avoir acquitté des droits de succession. Et de quatre, ceux qui auront pu faire authentifier une œuvre qui au départ ne semblait pas valoir grand chose sur le papier se verront-ils alors soupçonnés d'avoir dissimulé leur valeur au fisc après l'avoir revendue ? Et de cinq, les collectionneurs effrayés de devoir payer une taxe annuelle sur des œuvres acquises pour assouvir leur plaisir ne seront-ils alors pas tentés de s'en défaire pour causer un déséquilibre du marché confronté à une offre plus forte que la demande ? Et de six, les œuvres d'art sont des biens non productifs sur lesquels des taxes à l'achat ou lors d'une succession ont été déjà appliquées.
A ce compte-là, le gouvernement pourrait aussi s'aviser à inclure les voitures de luxe dans l'ISF ou à appliquer une taxe sur les personnes prenant leurs repas dans des restaurants chics ou leurs vacances dans des lieux huppés sur la Côte d'Azur ou ailleurs.
En attendant, de nombreux collectionneurs craignent d'être punis d'être restés en France pour voir les œuvres qu'ils ont conservées avec passion être taxées sans vergogne.
La mesure proposée par M. Eckert risque donc d'être à double tranchant en amenant également certains collectionneurs généreux à ne plus faire de dons aux musées français qui pâtiraient alors de son adoption laquelle aurait aussi pour effet de créer un marché noir en France
Taxer les œuvres d'art ne pourrait se faire que sur le mode déclaratif, mais il serait impossible de repérer et évaluer ces biens dont certains appartiennent depuis plus de deux siècle à des familles qui se sentir outrées d'apprendre qu'elles devraient payer une taxe sur les sièges d'époque Louis XV où ils l'habitude de s'asseoir.
M. Eckert aurait en fait fait mieux d'écarter sa suggestion pour chercher à faire adopter une mesure bien plus sensée en proposant par exemple de faire appliquer une taxe d'un ou deux pour cent sur les achats d'œuvres d'art au-delà d'un seuil de 100 000 euros et de porter celle de la plus-value sur une revente d'œuvre détenue depuis moins de 12 ans à 8% au lieu de 5% actuellement histoire de faire montre d'équité en visant donc les plus nantis, ce qui aurait évité une telle levée de boucliers de la part des acteurs du marché de l'art.
Adrian Darmon