Le Grand Palais à Paris organise jusqu'au 28 janvier 2013 une rétrospective de l'oeuvre du peintre américain Edward Hopper (1882-1967) qui traduisit à sa façon la solitude de l'homme face à l'expansion galopante des villes des Etats-Unis et ce, dans une atmosphère plutôt glauque qui inspira nombre de cinéastes spécialistes de films noirs, notamment Alfred Hitchcock.
Rien ne prédestinait Hopper à devenir célèbre puisqu'il resta dans l'ombre durant de nombreuses années en assurant sa subsistance comme illustrateur pour des magazines ou des couvertures de romans. Ce ne fut en fait qu'à partir de 1942, c'est à dire à l'âge de 60 ans, qu'il atteignit la gloire après avoir peint "Nighthawks" ("oiseaux de nuit") montrant une femme, deux hommes et un serveur dans un bar vivement éclairé la nuit, qui devint une icône de la vie et de la métropole aux Etats-Unis.
Les organisateurs de cette exposition phare, la première consacrée au peintre en Europe, ont donc choisi cette toile pour la couverture de leur catalogue en prenant le risque de dénaturer son propos pour laisser croire que Hopper a eu un registre plutôt limité. Heureusement, les 128 oeuvres offertes aux regards des visiteurs ont démontré le contraire puisqu'elles vont des années de ses débuts à la fin de sa carrière en passant par ses séjours à Paris pour retenir que l'artiste fut un dessinateur talentueux qui sut retenir avec art les leçons des grands peintres français pour aller traiter à sa façon des sujets typiquement américains.
Il n'en reste pas moins que Hopper fut un peintre solitaire à l'esprit très observateur et donc peu enclin à fréquenter des groupes artistiques pour des confrontations d'idées. D'ailleurs, on retrouve sans cesse dans son oeuvre un profond sentiment de solitude à travers des peintures dans lesquelles le vide domine avec un accent particulier mis sur la présence envahissante de la ville et de ses constructions où l'homme ou la femme paraissent écrasés par leurs poids et leur développement tentaculaire.
Hopper traduisit ainsi une atmosphère oppressante comme pour dénoncer la condition de ses semblables éjectés en peu de temps de la nature pour être alors projetés dans le développement spectaculaire de la ville américaine et se retrouver pris dans son étau.
Le silence fut sa marque de fabrique, un silence lourd et inquiétant suscitant l'anonymat de l'homme avalé par la ville où tout est ordonné selon une mécanique réglée qui n'offre aucune porte de salut sinon de méditer dans une chambre ou de tuer le temps dans un bar. Bref, une vie minimaliste et morne à souhait déjà formatée par la révolution industrielle puis la Grande Dépression des années 1930 qui précéda des temps plutôt lugubres pour le monde. On n'est pas loin de George Orwell sauf que Hopper s'est focalisé sur l'abrutissement des individus souvent à travers la représentation d'un seul.
L'oeuvre de Hopper n'a donc jamais servi à encenser la vie américaine mais bien plutôt pour critiquer son côté pervers et sombre en exhalant une nostalgie du passé où l'individu semblait avoir une personnalité plus affirmée. Hopper s'est voulu être un témoin silencieux, voire un voyeur solitaire de ses semblables plutôt inquiet de leur manière d'exister et peu soucieux de se mêler à eux. D'ailleurs, à partir de 1924, l'année où il se maria, il n'utilisa qu'un seul modèle, sa femme Josephine. Devenue dès lors sa seule muse celle-ci veilla jalousement sur lui en le faisant continuer de vivre hors de portée des tentations illusoires de la ville.