Depuis plus de 20 ans, les héritiers d'un amateur d'art marseillais ont tenté sans succès de récupérer un tableau de Courbet titré « Personnages de l'atelier -les amateurs du monde de l'art » également appelé "les visiteurs mondains",qu'ils avaient voulu vendre en le confiant à une galerie de la rue des Beaux-Arts à Paris en 1988 et qui aujourd'hui se trouverait dans une collection américaine sans que ceux-ci aient touché un seul centime pour cette œuvre.
Cette affaire qui aurait eu tout lieu d'être simple est devenue un véritable imbroglio du fait que ses principaux protagonistes, le galeriste de la rue des Beaux-Arts et l'acheteur de ce tableau, un grand ponte du marché de l'art, sont aujourd'hui tous deux décédés. Mais au départ, il a fallu un malheureux concours de circonstance, c'est à dire une dispute entre les héritiers, un frère et une sœur, pour qu'ils n'aient pas été avertis en temps et en heure de la transaction et de l'exportation de ce tableau.
Bref, l'œuvre en question mesurant au départ 180 x 110 cm n'aurait apparu qu'en 1948 après avoir été roulée et cachée durant la Seconde Guerre Mondiale. Son propriétaire, un collectionneur marseillais avait envoyé en 1978 au Musée Gustave Courbet d'Ornans une photographie de celle-ci en précisant qu'elle avait été étudiée par l'historien René Huygues. Quelques mois plus tard, le tableau avait figuré dansl'exposition « Courbet und Deutschland » à Hambourg avant d'être confié dix ans plus tard à la vente à ce galeriste de la rue des Beaux-Arts lequel avait indiqué une provenance marseillaise à l'expert du peintre. Alors qu'il l'avait en fait reçu en confié par les héritiers du collectionneur, le galeriste avait toutefois étrangement indiqué qu'il appartenait à une personne mineure et qu'il était en instance de transfert vers la Belgique et le Luxembourg.
Deux semaines plus tard, en envoyant au Musée Courbet un ektachrome de l'œuvre mesurant désormais 200 x 110 cm, le galeriste parisien prétendit qu'il en était le propriétaire sans donner suite aux demandes de précisions de l'expert.
En avril 1994, un grand marchand parisien spécialiste de la peinture du XVIIIe et du XIXe siècles avait informé le Musée Courbet avoir reçu le tableau que l'expert voulait revoir. Il fut ainsi présenté au Musée en décembre de cette même année avant d'être réemprunté le 10 août 1995 par cette même institution. En 1996, ce tableau avait été reproduit dans le catalogue « Courbet l'amour » édité par le musée Gustave Courbet courant 1996 et formant le lot 27 de ce catalogue.
En Juillet 1997, le tableau fut réexpédié en Suisse par l'intermédiaire de la société Chenue à son propriétaire dont le nom était resté inconnu de l'expert. Neuf ans plus tard, une femme, héritière du collectionneur marseillais, se manifesta enfin auprès du Musée Courbet en déclarant être la véritable propriétaire de l'œuvre. Apprenant qu'elle se trouvait à l'étranger, elle exigea alors de connaître l'identité de son détenteur.
Les héritiers étaient restés fâchés durant plusieurs années, de sorte que lorsque tous deux s'étaient inquiétés du sort du tableau, le galeriste leur avait répondu qu'il l'avait rendu à l'un ou à l'autre et ce manège avait ainsi duré jusqu'à leur réconciliation, chacun ayant pensé précédemment que l'autre l'avait récupéré.
Après avoir entamé des recherches, ceux-ci apprirent que le tableau avait été exposé en 1996 à Ornans, prêté par un collectionneur privé de New York qui n'aurait été autre que le grand marchand parisien cité ci-dessus. Ils réclamèrent donc en janvier 2007 la restitution du tableau auprès du galeriste de la rue des Beaux-Arts et faute de réponse de ce dernier, ils déposèrent plainte auprès d'un juge d'instruction parisien mais le galeriste décéda 13 octobre 2007.
N'empêche, une enquête menée par la police et les avocats des plaignants démontra que le galeriste avait le 15 février 1989 vendu à l'antenne new-yorkaise de la galerie du grand marchand en question le tableau de Courbetpour 2 millions de FF (304 000 euros)ainsi qu'une toile de Berthe Morisot, confié également à la vente à cette galerie,pour laquelle les héritiers reçurent là la somme de 2 millions de FF.
Les héritiers ont depuis contacté l'avocat de la galerie new-yorkaise aujourd'hui propriétaire du tableau de Courbet et ont également saisi la Direction des Musées de France pour dénoncer son exportation frauduleuse mais celle-ci a répondu qu'elle ne pouvait agir vu qu'un délit douanier ou de vol était prescrit au bout de trois ans et que la seule possibilité qui leur était offerte était de saisir la justice américaine pour savoir dans quelles conditions cette œuvre était entrée aux Etats-Unis, à moins que le tableau ne revienne en France dans le cadre d'une exposition, auquel cas ils devraient saisir la justice française sans délai.
L'affaire est symptomatique de la complexité à récupérer un tableau lorsque celui-ci fait l'objet d'un détournement de la part d'acteurs importants du marché de l'art qui parviennent ainsi à contourner les lois en vigueur, preuve que la célèbre fable de La Fontaine sur les puissants et les faibles reste toujours d'actualité.