Le Musée d'Orsay présente jusqu'en janvier 2010 une exposition consacrée à James Ensor, le maître d'Ostende qui fut le digne héritier de Jérôme Bosch ou de Brueghel après avoir longtemps subi les railleries de la critique et du public.
Solitaire, Ensor fut à l'image de ces artistes, tel Cézanne, qui travaillèrent sans relâche pour imposer leur art et ce, en restant longtemps ignorés. Faisant fi des critiques, il se prit pour un génie habité de la certitude d'avoir raison.
Et raison il eut puisqu'il fut célébré à la fin de sa vie et qu'aujourd'hui, il est salué comme un grand peintre. C'eest donc tout naturellement que le Musée d'Orsay lui rend hommage à travers une centaine de toiles, dessins et gravures qui laissent transpirer les débordements de cet artiste que d'aucuns avaient traité de fou.
Né un vendredi le 13 avril 1860, Ensor vécut entre un père anglais un peu excentrique et porté sur l'alcool et une mère très accrochée aux principes bourgeois et peu encline à l'encourager à devenir un artiste. Donc sans pratiquement jamais quitter Ostende, James Ensor parvint néanmoins à créer une nouvelle forme de peinture sans se soucier de bénéficier de quelconques appuis pour se faire connaître.
Ensor passa son existence dans l'atmosphère particulière de la boutique de ses parents spécialisée dans la vente de souvenirs, notamment des coquillages, des objets pour la plage, des masques et des animaux empaillés qui lui donnaient notamment des cauchemars lorsqu'il était enfant. Néanmoins, il aima cet endroit plus de que tout au monde en en faisant son repaire.
Doué dès l'adolescence, Ensor produisit des oeuvres très abouties à ses débuts avant de fréquenter l'Académie des Beaux-Arts de Bruxelles entre 1877 et 1880, ce qui l'amena à se lier d'amitié avec Fernand Khnopff mais au bout de ces trois années d'étude, il se lassa et rentra à Ostende où il travailla esseulé dès lors dans un atelier aménagé dans la maison familiale.
Ensor se mit alors à peindre des tableaux dans des couleurs plutôt sombres en restituant l'atmosphère assez triste des intérieurs bourgeois de son époque avant d'évoluer vers une autre forme de peinture, plus claire et plus intéressante, en produisant des tableaux de paysages assez étranges qui précédèrent un Adam et Eve chassés du paradis diablement mystérieux.
En 1883, il trouva enfin le style qui fit plus tard sa célébrité avec ses Masques scandalisés représentant d'une manière assez déroutante des masques portés lors des parades de carnaval organisées à Ostende, semblables à ceux qui ornaient la boutique familiale.
Il peignit alors avec frénésie d'autres oeuvres percutantes, telles L'Intrigue, Squelettes se disputant un hareng saur ou encore Masques raillant la mort, toutes teintées d'un humour terriblement macabre encore plus exacerbé dans L'Entrée du Christ à Bruxelles, donnée pour être sa meilleure œuvre, mais que le Musée Getty de Malibu n'a pas voulu prêter au musée d'Orsay.
A une époque où la peinture avait tourné le dos à l'académisme pour se laisser embarquer dans une étonnante révolution à travers l'Impressionnisme et d'autres genres qui par la suite firent long feu comme le Divisionnisme, les Nabis ou le symbolisme, Ensor resta incompris et surtout raillé quand bien même il eut le grand mérite de revisiter la peinture flamande avec une audace inouie en allant ressusciter l'esprit de Jérôme Bosch ou de Bruegel.
Faisant fi des critiques, il continua à travailler en solitaire dans son atelier en produisant des oeuvres satiriques qui furent autant de réquisitoires rageurs contre la société de son temps, des toiles hautement colorées qui firent de lui un pionnier du Fauvisme.
Sa verve créatrice dura jusqu'en 1900 puis, probablement fatigué de lutter contre les moulins à la manière d'un Don Quichotte, il se laissa aller à créer des oeuvres répétitives sans se renouveler. Bizarrement, ce fut à partir du moment où il peignait des toiles stéréotypées que le peintre sortit enfin de l'anonymat en faisant subitement l'objet d'expositions et de la parution d'ouvrages le concernant. La gloire lui tendit enfin les bras au point que devenu le peintre préféré des Belges, il fut fait baron en 1929 par le roi Albert. Par contrecoup, Ensor cessa alors de peindre et à passer le temps qui lui restait à vivre à recevoir des admirateurs ou à jouer de la musique dans son atelier.
Ensor exerça une profonde influence sur nombre d'artistes en Belgique et à l'étranger, notamment parmi les peintres expressionnistes allemands tandis que son succès ne manqua pas de se vérifier plus tard sur le marché de l'art et ce, dès la fin des années 1970 lorsque sa cote se mit à grimper inexorablement.
Devenu une légende vivante à la fin de sa vie, Ensor ne resta pas insensible aux honneurs en ayant la satisfaction d'avoir eu raison envers et contre tout de persévérer dans la voie qu'il s'était fixé pour recueillir finalement les lauriers d'une croisade mené durant plus de 30 ans en solitaire.