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Le comble pour un artiste de Belgrade est d'avoir le pinceau acerbe...
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
XXXVème Chapitre
UNE SIGNATURE MIRACULEUSEMENT APPARUE SUR UN TABLEAU RUSSE
26 Juin 2011 |
Jeudi 23 juin 2011, stupeur pour le chineur "Dédé de Montreuil" qui a découvert qu'une toile qu'il avait vendue pour 250 euros était reproduite sur une double page dans le catalogue d'une vente prévue à l'Hôtel Drouot avec une signature qui n'y figurait pas au moment où il l'avait cédée. Voyant que cette toile donnée à un artiste russe était désormais estimée entre 30 000 et 40 000 euros, le pauvre "Dédé" a fait un foin de tous les diables en allant dénoncer une sombre magouille. Inutile de dire que sa plainte est vite parvenue aux oreilles d'un des vendeurs du tableau associé à deux autres larrons, qui l'a appelé pour le calmer en lui promettant vaguement une compensation tout en lui déconseillaant de faire des vagues. Vendredi 24 juin, rien de palpitant au marché de Saint-Ouen hanté par l'ineffable chineur surnommé "La Marmotte" venu faire un coup miraculeux comme à Vanves le week-end précédent où il a trouvé une aquarelle de l'artiste expressionniste allemand Karl Schmidt-Rottluff considérée méchamment par certains de ses amis comme une simple reproduction. To be or not to be. that is the question Vers onze heures, deux voyous ont agressé une femme dans la rue des Rosiers pour lui arracher son sac et lui casser le bras au passage. Le 4 juin, la gérante d'un célèbre restaurant situé dans cette même rue a été victime d'une agression similaire en se voyant asperger de gaz lacrymogène par deux malfrats qui sont repartis avec un butin de plus de dix mille euros. Vert de rage, le propriétaire du restaurant a juré de tout mettre en oeuvre pour les retrouver. En attendant, le secteur des Puces est devenu un véritable coupe-gorge malgré une présence policière accrue. Dimanche 26 juin, revenue du Salon du Bourget où elle s'est offert un nouveau jet privé, la célèbre chanteuse Madonna a fait un détour par le marché Serpette de Saint-Ouen où accompagnée de ses garde du corps elle a acheté pour 15 000 dollars un petit portrait de Lucien Lévy-Dhurmer auprès d'un marchand qui, tellement ravi de sauver son mois, a oublié de lui demander un autographe. Lundi 27 juin à Londres, un député du parti libéral démocrate a suggéré au premier ministre David Cameron de rendre les marbres du Parthénon à la Grèce afin d'aider le pays à surmonter la grave crise financière qu'elle traverse. David Cameron s'est dit opposé au retour des frises conservées depuis deux siècles au British Museum malgré les demandes répétées de la Grèce pour ce faire. D'ailleurs, on se demande comment le gouvernement d'Athènes pourrait préserver ces trésors faute d'argent même si ces frises seraient susceptibles d'attirer plus de touristes au Parthénon.
Dans la matinée, le quotidien "Le Parisien" a rapporté que dans le cadre de leur enquête sur les 271 oeuvres de Picasso détenues par son ancien électricien Pierre Le Guennec, les policiers de l'Office central de lutte contre le trafic des biens culturels (OCBC) s'intéressaient dorénavant de près à la formidable collection de Maurice Bresnu qui avait travaillé en tant que chauffeur du maître entre 1967 et 1973.
Les policiers ont cherché à savoir si Le Guennec, mis en examen pour recel après avoir cherché à faire authentifier ses oeuvres auprès de la famille Picasso, et Bresnu dit "Nounours", qui était son cousin par alliance, n'avaient pas profité d'une quelconque faiblesse de Pablo Picasso pour aller se servir dans ses réserves.
Mis en examen pour recel, Le Guennec, aujourd'hui âgé de 71 ans, a clamé avoir reçu les oeuvres importantes qu'il détient sous forme de cadeau de la part de Jacqueline Roque, la dernière épouse du maître.
L'affaire Le Guennec a donc débouché sur un véritable roman policier avec l'énigme de la collection de Maurice Bresnu constituée de pièces dédicacées mais aussi non signées qui avec son épouse attendit la mort de Jacqueline Picasso en 1986 pour se séparer alors d'œuvres importantes. Devenu l'homme de confiance de Picasso, « Nounours » prit sa retraite en s'installant dans le village de Sérignac (Lot) en 1976 avant de se défaire dix ans plus tard d'une bonne partie de sa collection constituée de quelque 200 oeuvres avec l'aide d'un antiquaire des puces de Saint-Ouen et de divers intermédiaires, dont un expert de l'Hôtel Drouot. « Nounours » parvint ainsi à vendre de nombreuses œuvres à la célèbre galerie Jan Krugier de Genève et à des collectionneurs italiens pour toucher un joli pactole dont il ne profita pas puisqu'il décéda quelques mois plus tard en laissant son magot à sa femme. Cette dernière, décrite comme cupide et acariâtre par des familiers, avait notamment fait venir auprès d'elle sa nièce en lui promettant monts et merveilles sans tenir sa parole jusqu'à son décès en 2008. En 1995, Jacqueline Bresnu avait cédé trois carnets de dessins de Picasso à Beniamino Levi, un marchand italien, en lui affirmant qu'elle ne possédait plus rien du maître, a rapporté « Le Parisien ». Morte sans laisser de testament, Jacqueline Bresnu possédait toutefois encore une trentaine de dessins, céramiques et montres de Picasso, un ensemble qui devait être vendu à Drouot en décembre 2010 en faveur de six héritiers identifiés, dont les époux Le Guennec, une vente qui fut bloquée en raison de l'affaire concernant l'ancien électricien dévoilée quelques semaines plus tôt. Pour la police, il a paru plutôt bizarre que « Nounours » et son cousin aient pu se trouver en possession de près de 500 œuvres de Picasso, un nombre apparemment énorme pour justifier simplement des cadeaux de la part du maître mort à 92 ans. Les soupçons de la police ont été notamment renforcés par les affirmations d'un témoin d'originaire portugaise qui avait travaillé comme employé du couple Bresnu entre 1988 et 1991 puis de Jacqueline Bresnu jusqu'en 1996 lequel a signalé que ses employeurs ne lui avait pas caché avoir volé les œuvres qu'ils possédaient. « J'ai donc travaillé durant huit ans pour les plus grands voleurs de la France contemporaine », se serait-il laissé à dire aux enquêteurs en ajoutant qu'il entendait se porter partie civile pour n'avoir pas reçu ses émoluments de la part de ses employeurs d'après « Le Parisien ». Les collections de Bresnu et Le Guennec ont comporté de nombreuses œuvres de Picasso non signées. Or, selon les familiers du maître, quand ce dernier consentait à offrir une œuvre il y apposait sa signature, l'absence de son paraphe sur un dessin ou une toile constituant pour ceux qui le connaissaient bien une assurance contre le vol. M° Charles-Etienne Gudin, le nouvel avocat de Pierre Le Guennec a souligné pour sa part que Picasso était en guerre contre ses enfants à la fin de sa vie et qu'il s'était vengé d'eux en offrant de nombreuses oeuvres à son client via sa femme Jacqueline. Il a ajouté que celui-ci ne pouvait pas être poursuivi pour recel du fait qu'on ne pouvait être receleur de son propre vol si encore la justice pouvait prouver un quelconque vol d'autant plus qu'il y avait prescription en la matière. Pour les enquêteurs de l'OCBC, la question s'est désormais posée de savoir si Picasso, âgé de 86 ans en 1967, avait pu être sujet à des absences ou des coups de folie pour offrir tant d'œuvres à son chauffeur et à son électricien entré à son service trois ans plus tard ou si profitant de leur position, les deux cousins n'auraient pas abusé de son grand âge pour le spolier allègrement.
A suivre
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