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Dieu fut à l'origine du monde. Courbet la peignit...
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IXème Chapitre
LE RETOUR INOPINE DE J.R…
01 Mai 2001 |
Cet article se compose de 3 pages.
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Comme je m'en doutais, J.R ne s'était pas vraiment volatilisé à Dallas ou ailleurs depuis la mi-janvier. En réalité, ne trouvant rien de valable à chiner, il avait hiberné à Paris en se faisant le plus discret possible afin de ne pas tomber sur un de ces nombreux créanciers désireux de lui administrer une bonne correction. Il a suffi que je pense à lui pour recevoir dans la foulée un coup de fil de sa part. S'il m'appelle c'est qu'il a justement dû trouver quelque chose. C'est le cas puisqu'il m'annonce avoir mis la main sur une étude représentant un vanneur qu'il pense être de la main de Jean-François Millet, pas moins. Il me demande si je connais un moyen de faire reconnaître sa trouvaille tout en m'avouant avoir déjà contacté un grand marchand qui lui a fait savoir que son étude paraissait intéressante. Je lui réponds qu'il ferait mieux de s'en remettre à ce marchand plutôt que de s'adresser à moi du fait que je n'ai certainement pas de meilleurs contacts que ce dernier pour parvenir à une authentification de cette prétendue étude. Le bougre me raconte alors qu'il préfère avoir affaire à quelqu'un avec qui il partagerait les bénéfices de la revente de son tableau une fois authentifié si celui-ci pouvait lui consentir une avance. J'imagine d'emblée l'astuce concoctée par ce roublard qui espère ainsi récolter quelques billets pour tenir le coup quelques jours tout en se doutant bien que sa trouvaille n'est en fait qu'une vulgaire pompe. Ne manquant pas de culot en la circonstance, J.R me prend pour un idiot en pensant me voir appeler un collectionneur qui pourrait être appâté par sa proposition et le secourir par la même occasion. «Désolé, je ne suis guère disposé à vous venir en aide car je subodore à l'avance que votre fameuse étude n'est rien moins qu'un infâme pastiche», lui dis-je d'un ton narquois. Il proteste au bout du fil et jure ses grands dieux que sa découverte vaut la peine d'être examinée tout en affirmant que son œil ne l'a jamais trompé et de me rappeler alors le coup réalisé avec son tableau d'Emile Bernard, acheté une misère et revendu comme authentique. Je me rends compte au bout de quelques minutes qu'il n'a rien perdu de son incroyable bagout pour faire passer des vessies pour des lanternes. N'ayant pas de temps à perdre avec lui, je tente alors de l'envoyer proprement balader. J.R ne se laisse néanmoins pas démonter et insiste lourdement pour venir me voir afin de me soumettre cette «étude» de Millet. Vaincu par son insistance, je lui annonce lui accorder cinq minutes, pas plus, pour le recevoir tout en lui rappelant que je ne connais personne susceptible de le dépanner. Apparemment, il n'a que faire de ma réponse puisqu'il déboule une heure plus tard dans mon bureau avec son petit tableau sous le bras.
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Comme je m'en doutais, J.R ne s'était pas vraiment volatilisé à Dallas ou ailleurs depuis la mi-janvier. En réalité, ne trouvant rien de valable à chiner, il avait hiberné à Paris en se faisant le plus discret possible afin de ne pas tomber sur un de ces nombreux créanciers désireux de lui administrer une bonne correction. Il a suffi que je pense à lui pour recevoir dans la foulée un coup de fil de sa part. S'il m'appelle c'est qu'il a justement dû trouver quelque chose. C'est le cas puisqu'il m'annonce avoir mis la main sur une étude représentant un vanneur qu'il pense être de la main de Jean-François Millet, pas moins. Il me demande si je connais un moyen de faire reconnaître sa trouvaille tout en m'avouant avoir déjà contacté un grand marchand qui lui a fait savoir que son étude paraissait intéressante. Je lui réponds qu'il ferait mieux de s'en remettre à ce marchand plutôt que de s'adresser à moi du fait que je n'ai certainement pas de meilleurs contacts que ce dernier pour parvenir à une authentification de cette prétendue étude. Le bougre me raconte alors qu'il préfère avoir affaire à quelqu'un avec qui il partagerait les bénéfices de la revente de son tableau une fois authentifié si celui-ci pouvait lui consentir une avance. J'imagine d'emblée l'astuce concoctée par ce roublard qui espère ainsi récolter quelques billets pour tenir le coup quelques jours tout en se doutant bien que sa trouvaille n'est en fait qu'une vulgaire pompe. Ne manquant pas de culot en la circonstance, J.R me prend pour un idiot en pensant me voir appeler un collectionneur qui pourrait être appâté par sa proposition et le secourir par la même occasion. «Désolé, je ne suis guère disposé à vous venir en aide car je subodore à l'avance que votre fameuse étude n'est rien moins qu'un infâme pastiche», lui dis-je d'un ton narquois. Il proteste au bout du fil et jure ses grands dieux que sa découverte vaut la peine d'être examinée tout en affirmant que son œil ne l'a jamais trompé et de me rappeler alors le coup réalisé avec son tableau d'Emile Bernard, acheté une misère et revendu comme authentique. Je me rends compte au bout de quelques minutes qu'il n'a rien perdu de son incroyable bagout pour faire passer des vessies pour des lanternes. N'ayant pas de temps à perdre avec lui, je tente alors de l'envoyer proprement balader. J.R ne se laisse néanmoins pas démonter et insiste lourdement pour venir me voir afin de me soumettre cette «étude» de Millet. Vaincu par son insistance, je lui annonce lui accorder cinq minutes, pas plus, pour le recevoir tout en lui rappelant que je ne connais personne susceptible de le dépanner. Apparemment, il n'a que faire de ma réponse puisqu'il déboule une heure plus tard dans mon bureau avec son petit tableau sous le bras.
Il ne me suffit que de quelques secondes pour lui dire que son étude n'est rien d'autre que de la merdouille , une opinion qui le met bien entendu immédiatement en rogne. «Je ne suis pas d'accord avec vous. Ce n'est pas ce que pensait le marchand qui voulait s'occuper sérieusement de cette étude», me répond-il furibond. «Mon cher, il fallait lui laisser le soin de se débrouiller avec votre découverte car en ce qui me concerne, je ne suis pas d'avis qu'elle vaille la peine d'être soumise au spécialiste de Millet lequel me prendrait pour un guignol, tout comme n'importe quelle personne qui serait tentée de vous aider», lui dis-je en lui signalant au passage que les cinq minutes que je lui ai accordées sont sur le point de se terminer. Je le vois devenir cramoisi et s'agiter en silence alors que je me lève de mon fauteuil pour le raccompagner sur le pas de la porte. Soudain, il se retourne vivement et me lâche qu'il a un Van Gogh à vendre. Pas possible… Son précieux petit autoportrait qu'il n'a jamais voulu me montrer ? Que nenni ! Non, une œuvre exécutée à Arles dûment répertoriée dont il affirme avoir l'exclusivité pour la vente. «Je suis mandaté par un riche collectionneur pour vendre ce tableau important. Si vous connaissez quelqu'un qui soit disposé à l'acheter pour 80 millions FF, il y a une belle commission à la clé,» me dit-il d'un ton sérieux. Voilà de quoi piquer ma curiosité, surtout que je le considère comme un va-nus pieds et que je me demande alors comment il a pu faire pour capter la confiance d'un riche collectionneur. Pour me convaincre qu'il a bien été chargé de vendre ce Van Gogh, il me donne le numéro sous lequel il est inscrit au catalogue raisonné de l'œuvre de cet artiste et m'indique que le tableau peut être visible chez le collectionneur en question sous 48 heures. Sur le coup, je trouve l'occasion vraiment belle pour vérifier ses dires et lui annonce que je vais appeler illico un crack du courtage en tableaux surnommé «Colt» afin de voir si ce dernier pouvait être à même lui trouver un acheteur. Les yeux de J.R s'allument tandis que j'appelle le courtier qui me répond tout de go qu'il a effectivement des clients pour des œuvres de Van Gogh mais à l'énoncé du titre du tableau, celui-ci se met à rire au bout du fil et m'annonce qu'il s'agit d'un tuyau percé. Bref, ce tableau a été proposé partout sans succès à Paris et je pige enfin comment J.R a pu se trouver sur les rangs pour s'occuper d'une toile finalement invendable. - Décidément, vous êtes impayable !
J.R se met à protester malgré la réponse sans appel du courtier et jure que ce Van Gogh est un pur chef d'œuvre. - Proposé et refusé quarante fois. Ce tableau est plutôt grillé mon cher… Ma répartie le rend subitement nerveux et l'amène à me dire en désespoir de cause que le courtier que j'ai contacté n'est qu'un imbécile. - Un imbécile qui a l'habitude de négocier des tableaux maîtres qui se vendent à plusieurs millions de dollars ? J'aimerai bien être dans sa peau au lieu de m'échiner à pondre des articles sur l'art qui ne me rapportent que la satisfaction de transmettre ma passion… Il m'aura fallu dix autres bonnes minutes pour foutre dehors cet incorrigible casse-pieds qui a cependant le talent d'être un bon chineur et finira sûrement par dénicher quelque chose de valable un de ces quatre matins….
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