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Un faussaire ne verse que dans la contre-vérité en donnant à ses créations des faux airs d'authenticité...
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IVème Chapitre
MIEUX VAUT LIOTARD QUE JAMAIS…
01 Décembre 2000 |
Cet article se compose de 2 pages.
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Mardi 19 décembre, je fais un crochet par Drouot pour visiter les expositions organisées pour les ventes du lendemain. Salle 1, je repère dans une vitrine une miniature sur ivoire représentant un jeune homme en perruque, plutôt insolée avec un verre de protection terriblement sale. Elle est sertie au milieu d'une marie-louise dans un cadre en bois du XVIII e siècle et comporte un cartouche sur lequel est inscrit : «Henry Benedict Stuart peint par J.E Liotard 1738». J'écarquille les yeux et sursaute. Serait-ce bien une œuvre de Liotard ? Je me penche alors sur la vitrine plate, y colle mon nez et examine longuement la miniature, à peine visible sous ce verre dégueulasse. A n'en pas douter, il s'agit bien d'un travail de la main du célèbre artiste suisse au style réaliste si séduisant, exécuté certainement à Rome durant son séjour en Italie entre 1736 et 1738. Il avait rencontré à Florence Sir William Ponsonby, un Lord anglais qu'il accompagna ensuite en Turquie et avait peint dans la Ville Eternelle le portrait de ce jeune Stuart (1725-1807) qui devint plus tard cardinal d'York. Voilà qui est diablement excitant d'autant que le catalogue de l'étude Briest ne mentionne qu'une timide estimation entre 2000 et 3000 FF pour cette miniature, l'expert s'étant apparemment abstenu de l'attribuer fermement à Liotard. Là, ça vaut vraiment le coup d'assister à la vente, bien que je me doute qu'un petit malin aura probablement constaté qu'il n'y a aucune commune mesure entre l'estimation et le prix qu'elle atteindra. Rentré chez moi, je me rue sur mes bouquins de miniatures et découvre que Liotard a effectivement peint le portrait de Henry Stuart en 1738. Il est donc fort possible que cette miniature soit celle mentionnée dans le Schidlof, le dictionnaire des miniaturistes considéré comme la bible des collectionneurs. Je prends alors la décision d'aller assister à la vente histoire de voir si cette miniature en état très moyen fera moins de dix mille francs, auquel cas je me l'offrirais comme cadeau de Noël. Mercredi 20 décembre. Je suis à Drouot pour le lot N° 290, la fameuse miniature qui serait de Liotard. La salle est comble et je repère instantanément un collectionneur lillois, qui a toujours l'habitude de minauder et de marchander lorsqu'il s'agit d'acheter au marché aux Puces, ainsi que le copain de l'expert de Christie's qui envoie d'habitude des «sous-marins» acheter des miniatures pour son compte. Ils attendent patiemment le passage de ce lot et mon espoir d'emporter le morceau est d'ores et déjà enterré car c'est bien pour celui-ci qu'ils sont venus et certainement pas pour les autres miniatures qui ne présentent aucun intérêt. M° Briest démarre les enchères à 1500 FF, une misère si on considère qu'une bonne miniature de Liotard vaut tous les jours plus de 250 000 FF. Les doigts se lèvent immédiatement et au bout de trente secondes on en est déjà à dix mille. C'est le collectionneur lillois et un courtier parisien placé au fond de la salle qui mènent la danse, où plutôt qui tirent des salves répétées d'enchères puisqu'on parvient rapidement à cinquante mille puis à quatre vingt mille francs.
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Mardi 19 décembre, je fais un crochet par Drouot pour visiter les expositions organisées pour les ventes du lendemain. Salle 1, je repère dans une vitrine une miniature sur ivoire représentant un jeune homme en perruque, plutôt insolée avec un verre de protection terriblement sale. Elle est sertie au milieu d'une marie-louise dans un cadre en bois du XVIII e siècle et comporte un cartouche sur lequel est inscrit : «Henry Benedict Stuart peint par J.E Liotard 1738». J'écarquille les yeux et sursaute. Serait-ce bien une œuvre de Liotard ? Je me penche alors sur la vitrine plate, y colle mon nez et examine longuement la miniature, à peine visible sous ce verre dégueulasse. A n'en pas douter, il s'agit bien d'un travail de la main du célèbre artiste suisse au style réaliste si séduisant, exécuté certainement à Rome durant son séjour en Italie entre 1736 et 1738. Il avait rencontré à Florence Sir William Ponsonby, un Lord anglais qu'il accompagna ensuite en Turquie et avait peint dans la Ville Eternelle le portrait de ce jeune Stuart (1725-1807) qui devint plus tard cardinal d'York. Voilà qui est diablement excitant d'autant que le catalogue de l'étude Briest ne mentionne qu'une timide estimation entre 2000 et 3000 FF pour cette miniature, l'expert s'étant apparemment abstenu de l'attribuer fermement à Liotard. Là, ça vaut vraiment le coup d'assister à la vente, bien que je me doute qu'un petit malin aura probablement constaté qu'il n'y a aucune commune mesure entre l'estimation et le prix qu'elle atteindra. Rentré chez moi, je me rue sur mes bouquins de miniatures et découvre que Liotard a effectivement peint le portrait de Henry Stuart en 1738. Il est donc fort possible que cette miniature soit celle mentionnée dans le Schidlof, le dictionnaire des miniaturistes considéré comme la bible des collectionneurs. Je prends alors la décision d'aller assister à la vente histoire de voir si cette miniature en état très moyen fera moins de dix mille francs, auquel cas je me l'offrirais comme cadeau de Noël. Mercredi 20 décembre. Je suis à Drouot pour le lot N° 290, la fameuse miniature qui serait de Liotard. La salle est comble et je repère instantanément un collectionneur lillois, qui a toujours l'habitude de minauder et de marchander lorsqu'il s'agit d'acheter au marché aux Puces, ainsi que le copain de l'expert de Christie's qui envoie d'habitude des «sous-marins» acheter des miniatures pour son compte. Ils attendent patiemment le passage de ce lot et mon espoir d'emporter le morceau est d'ores et déjà enterré car c'est bien pour celui-ci qu'ils sont venus et certainement pas pour les autres miniatures qui ne présentent aucun intérêt. M° Briest démarre les enchères à 1500 FF, une misère si on considère qu'une bonne miniature de Liotard vaut tous les jours plus de 250 000 FF. Les doigts se lèvent immédiatement et au bout de trente secondes on en est déjà à dix mille. C'est le collectionneur lillois et un courtier parisien placé au fond de la salle qui mènent la danse, où plutôt qui tirent des salves répétées d'enchères puisqu'on parvient rapidement à cinquante mille puis à quatre vingt mille francs.
Le Lillois, tellement casse-pied avec les marchands du marché aux Puces, qui trouve toujours trop cher ce qu'on lui propose, jette son doigt en l'air avec frénésie pour passer à cent mille. A partir de là, il s'inquiète et tourne un regard désemparé vers le fond de la salle. Il me fixe alors subitement d'un œil torve et comme je suis placé à côté de celui qui est engagé dans ce duel d'enchères, il doit probablement penser que je suis son tourmenteur du moment. Le Lillois s'obstine encore à cent dix mille, puis à cent vingt mille mais là, il dodeline de la tête, devient cramoisi et paraît essoufflé. Il tente un dernier baroud à cent vingt et un mille en faisant une grimace de dépit mais mon voisin surenchérit de mille francs et emporte finalement le morceau. Morale de l'histoire : l'expert ne s'est pas mouillé pour ce lot tandis que le commissaire-priseur a pris les gens pour des idiots en démarrant les enchères à 1500 francs car des amateurs venus à la visite de la veille avaient dû certainement donner à l'étude des ordres supérieurs à dix mille francs. Alors, pourquoi cette technique contestable qui consiste à faire commencer les enchères à des prix aussi ridicules ? Tout simplement pour maintenir l'illusion que le lot concerné pourrait être adjugé pour une somme modeste, ce qui pousse un maximum de gens à venir à la salle le jour de la vente. Résultat : on perd plus d'une heure à attendre le passage du lot qu'on désire acheter et quand on s'aperçoit que l'enchère finale est près de cent fois supérieure à l'estimation, on peste d'avoir été un gogo et souvent, pour ne pas avoir l'impression d'avoir perdu son temps, on cherche à acquérir un autre lot afin de ne pas repartir les mains vides. Ce genre d'histoire est devenu une habitude à Drouot. La veille, une nature morte a été vendue pour 600 000 FF alors que les enchères n'avaient démarré qu'à 3000. Ainsi, cette volonté de ne pas prendre de risques est souvent volontaire de la part des études et à ce jeu-là, les commissaires-priseurs français sont des rois… Cela leur permet de prétendre que c'est la salle qui fait les prix mais ils oublient parfois que ce sont les vendeurs qui sont soumis à une terrible loi du hasard en voyant leurs lots estimés pour rien avant une vacation. Concernant la miniature de Liotard, le cédant pourra toujours croire avoir eu une belle surprise au bout du compte. Mais si cette miniature n'avait été vendue que pour 5 000 FF en l'absence d'amateurs susceptibles de se douter qu'il s'agissait d'une œuvre authentique de l'artiste genevois, le vendeur aurait été salement lésé. Conclusion : il est nettement préférable pour un vendeur que son objet bénéficie d'une forte estimation qui protégera ses intérêts car même si celui-ci n'atteint pas son prix de réserve, il sera au moins fixé au sujet de sa véritable valeur.
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