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Sur le marché de l'art, les riches bouffent du Bacon, s'allongent devant Freud tout en étant Koons à pleurer
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IIIème Chapitre
LE DERNIER COUP DE J.R
01 Octobre 2000 |
Cet article se compose de 2 pages.
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Jeudi 5 octobre, coup de fil de l'ineffable J. R. Il a deux choses intéressantes à me montrer dont un tableau représentant des fritillaires dans un pot qui pourrait être de Van Gogh. J'essaie d'emblée de tempérer son enthousiasme car j'ai tellement vu d'œuvres attribuées au peintre maudit que j'ai à présent tendance à me montrer toujours dubitatif à chaque fois qu'on me montre une prétendue nouvelle découverte relative à cet artiste. J.R n'en démord cependant pas et m'affirme que son Van Gogh a tout pour être authentique, ce à quoi je ne puis m'empêcher de répondre ironiquement "autant toc." Je consens néanmoins à le rencontrer en soirée du côté de la Place de l'Etoile pour qu'il me soumette sa trouvaille. Il arrive à 18 heures 30 au «Tilsitt», se commande un verre de Sauvignon et me déballe d'abord un Vlaminck à l'accent encore fauviste tout en croyant exciter ma curiosité mais je me mets d'emblée à rigoler. Il s'offusque et s'écrie que cette peinture sur carton toilé a vraiment toutes les apparences d'un Vlaminck. «Vous avez parfaitement raison, mais comme lors d'une de vos prétendues découvertes, votre argument me fait encore immédiatement penser à la pub pour le Canada Dry. Le goût de l'alcool mais en fait de la pure limonade. Je vais vous dire où et quand vous avez acheté ce pastiche», lui dis-je d'un air narquois. «Ah bon ! Un pastiche ?», dit-il d'une voix étonnée. - Très précisément à Houilles dimanche dernier… Surpris, il écarquille les yeux et semble déboussolé mais tente malgré tout de défendre son point de vue. - D'accord, je l'ai acheté à la foire de Houilles. Et puis après, c'est peut-être un Vlaminck après tout… - A d'autres ! Le problème est que je suis passé avant vous et qu'on m'a demandé 40 francs pour cette copie… « - Et alors ? J'ai bien acheté un tableau de la période de Pont Aven d'Emile Bernard pour pareille somme et il était authentique !», s'exclame-t-il un peu offusqué. - Oui mais dans le cas de ce tableau, la femme qui le vendait m'a avoué qu'elle l'avait peint il y a environ 40 ans…. J.R se met à grimacer, manque de recracher sa gorgée de Sauvignon puis cherche alors désespérément une sortie de secours. - Avouez que cette copie est diablement trompeuse, surtout que cette bonne femme ne m'a absolument pas dit qu'elle en était l'auteur.
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Jeudi 5 octobre, coup de fil de l'ineffable J. R. Il a deux choses intéressantes à me montrer dont un tableau représentant des fritillaires dans un pot qui pourrait être de Van Gogh. J'essaie d'emblée de tempérer son enthousiasme car j'ai tellement vu d'œuvres attribuées au peintre maudit que j'ai à présent tendance à me montrer toujours dubitatif à chaque fois qu'on me montre une prétendue nouvelle découverte relative à cet artiste. J.R n'en démord cependant pas et m'affirme que son Van Gogh a tout pour être authentique, ce à quoi je ne puis m'empêcher de répondre ironiquement "autant toc." Je consens néanmoins à le rencontrer en soirée du côté de la Place de l'Etoile pour qu'il me soumette sa trouvaille. Il arrive à 18 heures 30 au «Tilsitt», se commande un verre de Sauvignon et me déballe d'abord un Vlaminck à l'accent encore fauviste tout en croyant exciter ma curiosité mais je me mets d'emblée à rigoler. Il s'offusque et s'écrie que cette peinture sur carton toilé a vraiment toutes les apparences d'un Vlaminck. «Vous avez parfaitement raison, mais comme lors d'une de vos prétendues découvertes, votre argument me fait encore immédiatement penser à la pub pour le Canada Dry. Le goût de l'alcool mais en fait de la pure limonade. Je vais vous dire où et quand vous avez acheté ce pastiche», lui dis-je d'un air narquois. «Ah bon ! Un pastiche ?», dit-il d'une voix étonnée. - Très précisément à Houilles dimanche dernier… Surpris, il écarquille les yeux et semble déboussolé mais tente malgré tout de défendre son point de vue. - D'accord, je l'ai acheté à la foire de Houilles. Et puis après, c'est peut-être un Vlaminck après tout… - A d'autres ! Le problème est que je suis passé avant vous et qu'on m'a demandé 40 francs pour cette copie… « - Et alors ? J'ai bien acheté un tableau de la période de Pont Aven d'Emile Bernard pour pareille somme et il était authentique !», s'exclame-t-il un peu offusqué. - Oui mais dans le cas de ce tableau, la femme qui le vendait m'a avoué qu'elle l'avait peint il y a environ 40 ans…. J.R se met à grimacer, manque de recracher sa gorgée de Sauvignon puis cherche alors désespérément une sortie de secours. - Avouez que cette copie est diablement trompeuse, surtout que cette bonne femme ne m'a absolument pas dit qu'elle en était l'auteur.
- C'est une grosse erreur de votre part. Tout chineur se doit toujours de tirer les vers du nez de celui ou celle qui lui vend un truc qui lui paraît excitant. Retenez au moins la leçon… Bougonnant, il sort enfin son Van Gogh d'un sac en plastique. Un petit tableau étonnant au premier abord qui me laisse d'abord bouche bée. Trop beau pour y croire. Je l'examine attentivement tout en me disant que ce satané J.R a encore trouvé le moyen de dénicher la perle rare mais soudainement, je me rends compte en le retournant qu'il a été marouflé sur une toile récente fixée sur un châssis neuf. Voyant ma perplexité, J.R s'empresse de m'expliquer que le propriétaire de cette toile l'a détachée de son support en carton pour la coller sur cette toile infâme. Je retourne à nouveau le tableau et constate alors qu'une grossière restauration a été effectuée en plein centre et que le pâté de peinture étalée à cet endroit ressemble à une grosse verrue au milieu d'un nez. «Oui, c'est dommage. Le propriétaire en décollant la toile d'origine n'a malheureusement pas pu détacher cette partie et l'a arrachée», dit-il d'une voix navrée. - C'est un travail de gougnafier. Que voulez-vous que je vous dise ? La touche de Van Gogh semble bien là mais cette restauration me dissuade de vous dire que cette toile est authentique. Et même si je m'avançais dans mon opinion, il resterait au comité Van Gogh de donner son avis et 999 fois sur mille, c'est niet. Désolé… Alors que je lui suggère de remballer sa trouvaille, J.R soupire et m'avoue que de toute manière, le propriétaire de cette toile désire s'en défaire à un prix qui est loin d'être raisonnable. - Vous n'avez rien d'autre ? Il sourit d'un air entendu et me sort de son sac un collage qu'il me met dans les mains tout en semblant impatient d'attendre ma réaction. Je sursaute littéralement en voyant en bas à droite la signature de Kurt Schwitters. Là, je n'ai pratiquement pas de doute quant à l'authenticité de ce collage. Sacré J.R, comment a-t-il fait pour dégoter une pièce pareille ? «A Houilles encore, dans un carton à dessins littéralement caché derrière un tas de casseroles. A 50 balles, ça valait la peine», me susurre-t-il. Evidemment, à ce prix-là, il n'avait pas à se priver mais il lui reste encore à obtenir un certificat d'authenticité avant de le céder à quelqu'un pour une somme bien inférieure à celle qu'il pourrait espérer s'il ne vivait pas à la manière d'un clandestin. Mais comme il est toujours à court d'argent, il finira bien entendu par le céder rapidement au plus offrant afin de subvenir à ses besoins. Histoire sans fin…
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