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Le noir de Soulages a quelque chose de soulageant...
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IIème Chapitre
DES FOUS D'ART COMPLETEMENT DINGUES
01 Juillet 2000 |
Le pire danger qui puisse guetter un fou d'art est de finir par perdre la raison en dépassant le stade du rêve pour atteindre celui du délire incontrôlable. Le 7 juillet 2000, un chineur, artiste lyrique de son état, rend visite aux Puces de Saint-Ouen à un marchand de ses amis, connu pour avoir déniché quelques pièces sublimes ou ayant vraiment paru l'être depuis ces vingt dernières années.
Au cours de leur entretien, le marchand évoque incidemment un tableau sur carton d'un peintre célèbre représentant des pommes qu'il avait présenté au spécialiste de cet artiste à la fin des années 1980 mais que ce dernier avait rejeté. Bref, il se déclare volontiers prêt à se séparer de ce tableau, lassé au bout du compte d'attendre de voir l'expert disparaître de ce monde, une éventualité qui pourrait lui offrir l'occasion de représenter cette œuvre à son successeur avec l'espoir que celui-ci pourrait enfin y voir la patte du maître. Pourtant, l'expert avait au départ offert une somme représentant le dixième du prix que ce tableau, accompagné enfin d'un certificat d'authenticité, aurait atteint dans une vente aux enchères. Cette offre avait était à prendre ou à laisser mais le marchand l'avait jugée ridicule et l'avait refusée. De ce fait, et pour couper l'herbe sous le pied de ce dernier, l'expert avait alors délivré une opinion défavorable en dépit du fait que cette nature morte ressemblait étrangement à celle figurant dans un célèbre intérieur peint par l'artiste en question. Oubliant donc son offre initiale, ce n'était plus à son avis qu'une œuvre réalisée par un peintre travaillant sous l'influence de ce maître. Après avoir écouté cette petite histoire avec attention, le chineur a néanmoins manifesté son profond désir d'examiner ce tableau tout en évoquant l'éventualité d'un échange contre certaines œuvres en sa possession plus une somme d'argent à déterminer. Après avoir pris rendez-vous pour le lendemain. Ce cher homme revient donc voir le marchand, contemple le tableau d'un œil gourmand, puis, manifestant vivement son intérêt, discute du prix et propose dans la foulée une série d'œuvres exécutées par quelques bons peintres en vue d'opérer un échange. Au bout d'un quart d'heure de tractations, l'affaire est conclue mais le marchand tient à l'avertir une nouvelle fois que l'expert en titre a refusé ce tableau qui semblait pourtant être de ce maître dont je tairai le nom, histoire de ne pas mettre d'huile sur le feu. Et puis, ajoute-t-il, si ce n'est pas une œuvre de ce peintre, il peut toujours s'agir de celle d'un excellent artiste dont la cote avoisine les 100 000 FF. Le chineur rentre chez lui tout excité, place son acquisition sur un chevalet, la dévore longuement des yeux avant de l'examiner avec une loupe et une lampe de Wood. Puis, il la retourne dans tous les sens et se met à rêver subitement en imaginant représenter cette oeuvre auprès de l'expert qui, au bout une décennie, aura peut-être oublié son verdict. Le surlendemain, il rencontre un de ses amis qui justement s'apprête à rendre visite à cet expert dans le courant de la semaine. Il lui parle donc de son tableau avec excitation, lui dit que ce spécialiste l'avait déjà vu il y a longtemps mais que sa mémoire pourrait peut-être lui faire maintenant défaut et lui propose donc de le lui confier pour un nouvel examen. L'ami en question va donc voir l'expert mais ce dernier, n'ayant rien perdu de ses facultés mnémoniques malgré son grand âge, informe son interlocuteur qu'il a déjà eu ce tableau entre les mains et que son opinion n'a guère changé. Sauf que cette fois-ci, il oublie toute référence à cet artiste qui travaillait sous l'influence du peintre dont il s'occupe et juge plutôt qu'il s'agit d'une vulgaire croûte simplement bonne à être jetée au feu… La mine déconfite, le chineur est revenu voir le marchand le 15 juillet en lui faisant part de ses griefs mais en omettant d'avouer que, appâté par le fol espoir d'un gain facile réalisé par le biais de cet échange et de quelques espèces, il avait cru naïvement que l'expert lui ferait une offre intéressante en ne se rappelant plus du tout qu'il avait examiné ce tableau quelques années auparavant.
Le marchand lui a tout bonnement répondu qu'il ne fallait tout même pas prendre cet expert pour un idiot et qu'il aurait mieux valu garder l'œuvre sous la main durant encore un bon bout de temps et ce, jusqu'au jour où ce spécialiste inflexible aurait disparu de ce monde pour s'offrir enfin la possibilité d'une chance de la faire authentifier par son successeur car il arrive parfois que des tableaux rejetés naguère par des spécialistes soient aujourd'hui jugés authentiques par d'autres. D'ailleurs, à ce propos, je connais quelques histoires incroyables qui mériteraient un jour d'être contées. En attendant, il y a des rêves qui peuvent coûter cher surtout lorsque par manque de patience on se décide à les interrompre brutalement pour forcer le destin. Un chineur qui pense faire une découverte se doit en priorité de faire des recherches afin de se constituer un dossier avant d'aller consulter un expert. Et dans le cas d'une oeuvre qui a déjà été refusée, il convient de prendre son temps, de faire des études approfondies à son sujet puis d'attendre le moment propice pour se décider à la représenter. Seulement voilà, ce brave chineur, qui d'ordinaire semble plutôt d'un naturel prudent, s'est vu subitement tout beau avant l'heure pour retomber ensuite de haut...
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