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Un artiste est en fait un orateur silencieux. C'est plutôt sa peinture qui parle (AD)
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IIème Chapitre
DU SANG, DU SPERME ET UNE BONNE DOSE DE PROVOC
01 Juin 2000 |
Cet article se compose de 2 pages.
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L'art se perd de plus en plus dans un dédale de thèmes saugrenus comme s'il n'existait plus d'idées directrices susceptibles de nous émouvoir à travers le beau ou le mystère, comme si le haut-le-cœur avait remplacé le coup de cœur. Se suicider lors d'un happening représente peut-être pour certains artistes la garantie d'une gloire posthume bien plus évidente que d'aller se pendre anonymement dans une mansarde comme certains de leurs prédécesseurs le firent au XIXe siècle, période au cours de laquelle n'importe quel individu aurait proprement fini à l'asile en se permettant seulement de coller une assiette, des verres et des ustensiles sur une toile. C'est à se demander si Van Gogh n'a pas eu tout faux en se tranchant seul son oreille alors qu'il aurait mieux valu pour lui de se mutiler au beau milieu du Salon des Artistes Français. Là au moins il aurait fait parler de lui encore vivant. Il est vrai que le morbide a semble-t-il été bien payant puisque Van Gogh est devenu le peintre le plus cher du monde par la grâce d'une existence miséreuse et d'une fin tragique qui ont titillé les intervenants du marché de l'art quelques années après sa disparition. Il n'a d'ailleurs pas été le seul à susciter ce genre d'engouement puisque Modigliani, Soutine, Pascin, Basquiat, Haring et d'autres artistes morts tragiquement ont également droit à de belles cotes aujourd'hui. Bienvenue au club ! Si un artiste doit absolument verser dans la folie pour être reconnu où va-t-on ? Il existe certainement d'autres voies où la douceur, comme celle exhalée par Chagall, pourrait avoir sa place. J'en reste persuadé quoique le monde impose maintenant l'obligation d'être connu pour réussir. Si demain Robert de Niro se mettait à peindre, ses toiles se vendraient certainement à des prix dingues ce qui fait que l'idée qu'on se fait actuellement des stars a tendance à fausser le marché. N'est-ce pas Jeff Koons ? En attendant, des petits malins ont compris ce qu'il fallait faire pour vendre au mieux leur salade contemporaine. Un petit coup médiatique par ci, un peu de sauce provocatrice par là et bonjour le succès. Mais qu'attend donc Zinedine Zidane pour peindre des ballons, histoire de marquer avec éclat sa présence au prochain ArtBasel ? Je constate par ricochet que le marché de l'art contemporain, où les hors jeux paraissent si fréquents, manque cruellement d'arbitres sérieux pour distribuer des cartons rouges quand il se doit. A la longue, Warhol va faire figure de pantouflard…
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A peine ai-je fini de mitonner mes réflexions sur l'art contemporain qu'en avalant un sandwich au café, je tombe sur un article du journal «Libération» qui évoque «La provoc» à Oiron (Deux-Sèvres) où a lieu une exposition intitulée «Le Fou Dédoublé». C'est là, dans ce coin plutôt perdu, que des artistes français et russes iconoclastes exposent des œuvres propres à vous retourner l'estomac et où on voit notamment dans une séquence en vidéo un homme pomper son sang dans une seringue qui lui sert de pinceau pour tracer sur une toile blanche le profil d'un visage avant de placer le sien de côté contre son œuvre. On voit cela dans un film titré «auto-portrait», signé Viacheslav Mizine. Un autre film montre l'artiste, le gland en érection sortant du nez d'Andy Warhol qui à la fin éjacule. Du grand art venu de Moscou où cet artiste originaire de Sibérie a exposé ses «créations». De la mièvrerie du socialo-réalisme de l'ère stalinienne on est passé en Russie à l'émergence du n'importe quoi depuis la chute du Mur de Berlin. Oiron accueille ainsi une bande de fous qui mettent à l'honneur l'idiotie comme stratégie contemporaine avec un inventaire propre à défriser les spectateurs. On voit notamment Mizine allongé sur un tas d'ordures ou se recouvrant le visage de mouches ou de vers tandis que le Russe Oleg Kouline se montre dans des photographies en hommes-chien, nu avec un collier ou bien en train de mordre des spectateurs. Le Français Delmotte, quant à lui, se barde de tranches de lard (ou peut-être de l'art) sur la figure. Pourtant, cette folie est régulée et contrôlée même si cette exposition a quelque peu tendance à susciter la répugnance ; ce qui n'empêche pas certains visiteurs de se réjouir de l'organisation d'une exposition internationale à Oiron. Maintenant, il reste à savoir si les artistes présents à cette manifestation parviendront à faire parler d'eux à un autre niveau. En fait, les Mizine, Kouline et compagnie n'ont rien inventé puisque depuis les années 1960, certains artistes ont été parfois plus loin qu'eux dans le genre morbide. On a bien vu un artiste autrichien s'amputer le bras au dessus d'une toile blanche lors d'un happening et se vider de son sang, on a bien vu également d'autres adeptes de la provoc s'enduire d'excréments et se rouler à même leurs toiles et pas mal d'autres choses encore. On ne s'étonnera donc pas de voir passer en vente le 28 juin chez Christie's une photographie de Larry Clark montrant une jeune femme nue, les cuisses bien écartées, en train de sucer goulûment le pénis d'un partenaire pensif. Une «œuvre» estimée entre 15 000 et 20 000 FF, ou encore quelques clichés osés de Nobuyoshi Araki ou de Nan Goldin qui pourraient atteindre 50 000 FF. Le «Porn'art» devient de plus en plus à la mode tout comme le «Macabre'art», notamment avec ces photos peu ragoûtantes de cadavres prises par Andrès Serrano dans des morgues.
L'art se perd de plus en plus dans un dédale de thèmes saugrenus comme s'il n'existait plus d'idées directrices susceptibles de nous émouvoir à travers le beau ou le mystère, comme si le haut-le-cœur avait remplacé le coup de cœur. Se suicider lors d'un happening représente peut-être pour certains artistes la garantie d'une gloire posthume bien plus évidente que d'aller se pendre anonymement dans une mansarde comme certains de leurs prédécesseurs le firent au XIXe siècle, période au cours de laquelle n'importe quel individu aurait proprement fini à l'asile en se permettant seulement de coller une assiette, des verres et des ustensiles sur une toile. C'est à se demander si Van Gogh n'a pas eu tout faux en se tranchant seul son oreille alors qu'il aurait mieux valu pour lui de se mutiler au beau milieu du Salon des Artistes Français. Là au moins il aurait fait parler de lui encore vivant. Il est vrai que le morbide a semble-t-il été bien payant puisque Van Gogh est devenu le peintre le plus cher du monde par la grâce d'une existence miséreuse et d'une fin tragique qui ont titillé les intervenants du marché de l'art quelques années après sa disparition. Il n'a d'ailleurs pas été le seul à susciter ce genre d'engouement puisque Modigliani, Soutine, Pascin, Basquiat, Haring et d'autres artistes morts tragiquement ont également droit à de belles cotes aujourd'hui. Bienvenue au club ! Si un artiste doit absolument verser dans la folie pour être reconnu où va-t-on ? Il existe certainement d'autres voies où la douceur, comme celle exhalée par Chagall, pourrait avoir sa place. J'en reste persuadé quoique le monde impose maintenant l'obligation d'être connu pour réussir. Si demain Robert de Niro se mettait à peindre, ses toiles se vendraient certainement à des prix dingues ce qui fait que l'idée qu'on se fait actuellement des stars a tendance à fausser le marché. N'est-ce pas Jeff Koons ? En attendant, des petits malins ont compris ce qu'il fallait faire pour vendre au mieux leur salade contemporaine. Un petit coup médiatique par ci, un peu de sauce provocatrice par là et bonjour le succès. Mais qu'attend donc Zinedine Zidane pour peindre des ballons, histoire de marquer avec éclat sa présence au prochain ArtBasel ? Je constate par ricochet que le marché de l'art contemporain, où les hors jeux paraissent si fréquents, manque cruellement d'arbitres sérieux pour distribuer des cartons rouges quand il se doit. A la longue, Warhol va faire figure de pantouflard…
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