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"Il n'est en art qu'une seule chose qui vaille celle qu'on peut s'expliquer" (G. Braque)
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Styles époques
Art et histoire par Adrian Darmon
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L'art est dans l'histoire tout comme l'est l'histoire de l'art puisqu'il est lié à un contexte que seule l'histoire peut restituer. Selon l'historien d'art Hubert Damisch, ce que met en forme l'œuvre d'art vient de plusieurs horizons. L'œuvre n'est pas seulement produite par l'histoire, elle induit de l'histoire sous des modes variés et nuancés. Toutefois, concernant les oeuvres d'art, l'histoire ne peut pas tenir de lieu de pensée ni constituer un jugement définitif. Il suffit de prendre la préhistoire en exemple puisque dans ce domaine on ne dispose que de repères archéologiques et techniques sans l'appui d'aucun témoignage écrit ou oral qui nous soit parvenu. Il n'existe donc aucune donnée historique en dépit du fait que les études ont pu se développer sans l'apport de l'histoire. Il y a cependant une histoire sociale de l'art mais plus important est le destin ultérieur de l'œuvre par son action et ses effets qui se sont prolongés jusque dans la culture présente. Il est de fait que l'œuvre d'art garde un sens en dehors de son contexte historique et il serait mal venu de voir les oeuvres d'art avec les yeux des contemporains, de ceux qui en furent les premiers témoins ou les premiers destinataires. De ce fait, interroger une œuvre d'art c'est d'abord être amené à s'interroger sur ce qu'il en est de notre propre regard et se demander comment et pourquoi cette œuvre continue de fonctionner, une fois séparée de son contexte d'origine et qu'elle ne cesse pas de nous interpeller ou de nous ravir. En matière d'art, l'interprétation réussie d'une œuvre implique donc qu'elle soit plus présente que jamais à nos yeux et qu'elle résiste à toutes ces tentatives d'explication qui tendent à la reléguer dans un arrière-plan avec un rapport à l'histoire. Il suffit de comparer l'histoire des arts avec celle des sciences laquelle comporte un enjeu de vérité au niveau de la découverte scientifique. On ne peut tomber dans ce schéma en parlant de l'art qui serait ainsi lié à des critères idéologiques, voire des arbitraires. Il y a des enjeux esthétiques à prendre en compte car l'histoire de l'art est informée par l'esthétique quoique le problème est de savoir si connaître parfaitement une œuvre permet d'en conclure à sa valeur de beauté. On peut également à l'inverse chercher à savoir si l'on peut atteindre à une connaissance parfaite des oeuvres, sans que soit posée la question de la qualité esthétique. Il faut peut-être dire que l'histoire n'est jamais mieux elle-même que quand, loin de se contenter de replacer les oeuvres dans leur contexte d'origine, elle s'efforce de présenter à travers le temps qui les a vus naître, le temps qui les connaît. On se trouve ainsi confronté au besoin de lire une œuvre avec le regard de son temps, indépendamment de l'histoire dont elle fait partie.
En outre, on ne peut négliger certaines grandes ruptures artistiques dans le cours de l'histoire qui ne correspondent pas toujours avec des changements de société mais aux évolutions des artistes en dehors du contexte de l'histoire. Lorsque la peinture à l'huile est apparue, le Moyen Âge n'était pas encore terminé. Lorsque les premiers tableaux de perspective ont commencé à être produits, la Renaissance n'était pas encore une réalité. Lorsque le Caravage a traité du réalisme dans ses oeuvres, les critères en matière de représentation picturale à son époque n'avaient pas encore évolué et son genre tellement révolutionnaire n'a finalement été pleinement reconnu qu'au XIXe siècle. En ce sens, les oeuvres du Caravage ne correspondent pas à l'esprit ou à l'histoire de la fin du XVIe siècle tout comme celles de Van Gogh qui ne se sont pas inscrites dans le mouvement en vogue de la peinture de la fin du XIXe siècle. Incompris à leurs époques, ces deux artistes, tout comme d'autres, sont devenus des légendes de l'histoire de l'art alors qu'aujourd'hui leurs oeuvres nous interpellent tant et qu'on peut les expliquer ou les décortiquer à loisir. L'histoire de l'art sert avant toute chose à dresser une chronologie sans se conformer à un rapport précis avec l'évolution de l'humanité. On le constate avec la préhistoire avec des oeuvres pariétales créées selon une étroite continuité entre 30 000 et 10 000 ans avant J .-C tandis que l'accélération de l'histoire après cette période n'a pas été vraiment synchrone avec l'évolution de l'art. On constate aussi des régressions esthétiques à certaines périodes dues à plusieurs facteurs qui n'ont pas tous un lien avec l'histoire mais plutôt avec la sociologie. L'art durant l'antiquité a dépendu des systèmes en place par les Grecs et les Romains puis par la suite de la puissance progressive de la Chrétienté à partir du IVe siècle jusqu'à ce que les artistes se libèrent progressivement de sa férule pour atteindre une autonomie dans la création. Par la suite, l'art néoclassique a vu le jour avant même l'instauration de l'Empire en France dont le style s'est inscrit dans cette mouvance. L'art impressionniste n'a pas percé durant la seconde moitié du XIXe siècle mais plutôt au début du XXe, soit une quarantaine d'années après son apparition, alors que les historiens l'inscrivent dans l'histoire des années 1880-1890. Quant au Cubisme, on ne pourra pas affirmer qu'il corresponde à la période des années 1910-1920 mais qu'il constitue un mouvement précurseur tant il a été généralement à l'opposé des goûts des individus de cette époque. On peut d'ailleurs mieux appréhender aujourd'hui les oeuvres cubistes créées durant la Première Guerre Mondiale et mieux les interpréter que les contemporains qui les ont vu naître. En conclusion, l'importance de ce qui est réalisé à présent ne peut être totalement compris aujourd'hui alors que demain on pourra la mesurer avec plus d'à-propos. En fait, rares ont été les artistes chez qui on a pu de leur vivant déceler leur génie. Il a fallu la longévité d'un Renoir, d'un Monet, d'un Rodin ou d'un Picasso pour concevoir à temps qu'ils avaient été des pionniers dans leur art mais d'autres ont disparu sans connaître la consécration.
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