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"Si on approchait des vrais tableaux un miroir, celui-ci devrait se couvrir de buée car les vrais tableaux respirent" (Picasso)
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Nouvelles
LES FANTÔMES DES ARTISTES... Par Adrian Darmon
04 Avril 2007 Catégorie : Nouvelles
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Après avoir déjà passé une bonne heure à admirer des œuvres mirobolantes dans le musée, Albert s'arrêta un instant pour dévorer un Boudin du regard alors que deux gars à l'air malingre, courbés un peu comme ces ânes écrasés sous leurs charges, s'intéressaient goulûment à des toiles de nus et de bacchanales étonnantes. Il remarqua dans leurs yeux une lueur de concupiscence, ce qui aurait eu de quoi rendre un abbé malade, et s'éloigna en pensant encore au Boudin qu'un Boucher n'aurait vraiment pas eu l'idée de peindre. Il se planta ensuite un peu circonspect devant un tableau cubiste en marmonnant à voix basse : « Ce Picasso me braque. Mort aux avant-gardistes ! ».
Il se retourna et pensa que les deux ringards excités par les nus avaient des tronches de forains. « Bof, et puis après ? Dieu a bien d'abord fait Adam de glaise. Tout cela est donc bien léger de ma part », murmura-t-il en s'éloignant avant de marquer une pose et de se dire navré : « c'est un cas moins intéressant pour mon éthique personnelle ».
Le bruit du rot d'un bébé lui fit tourner la tête. Mignon dans sa poussette ressemblant au char d'un carnaval, le bambin se mit à gazouiller à la vue du trio constitué par les deux gars et lui-même alors qu'une femme plutôt flapie, sa robe flottant comme un drapeau au vent, entra dans la salle d'un pas rapide et se heurta à lui. A l'évidence, il la freinait. Il s'excusa un brin penaud tout en s'écartant de son chemin.
Il s'adossa au mur, îlot de sûreté momentané, et regarda tendrement le bébé en susurrant : « Ah mes amis, quel ange ! » puis, submergé par de vieux souvenirs, il se rappela qu'à Toulouse, l'autre écart brutal qu'il avait été obligé de faire dans un musée fut lorsqu'il s'était étalé sur son beau-frère qui s'était retrouvé à demi-écrasé après qu'un gros merdeux l'eût bousculé sans lui demander pardon. Ici, durant cette heure de faible affluence, il pouvait au moins se déplacer sans se faire tamponner par tous ces fanas bigleux ne pigeant rien à la peinture et ayant l'esprit aussi obtus que celui d'un Breton au point de trouver que le Cubisme est gris avant tout et bon pour les fadas libidineux qui tanguent irrémédiablement dans les méandres de l'art moderne.
Il se rappela aussi sa virée à Hambourg. Après avoir passé la nuit dans un night-club, où la tendre Margot guinchait si bien sur un air de java, il s'était rendu au petit matin sur le port en fumant des Reynolds tout en admirant d'un œil enfantin la tour située à l'entrée du fanal. En voyant un pétrolier larguer les amarres coup ci, coup ça, il s'était écrié : « celui-là s'en va tôt ». Puis, pris d'une petite faim, il avait été se rassasier chez l'épicier du coin pour manger sur le pouce un bretzel tout en humant l'odeur suave de miel qui flottait dans la boutique où un vieux rentier polonais lui avait fait la causette et donné à boire du bon vin.
Encore immergé dans ses pensées, il contempla alors un tableau orientaliste plutôt sauvage propre à flanquer une trouille berbère à tout visiteur candide avant de croiser un pompier qui portait ses gants ignifugés. « Bordel, vaudrait mieux ne pas être là s'il y avait le feu, » se dit-il tout en consultant sa montre pour savoir combien de temps il lui restait avant de rejoindre son ami Claude Minc.
Arpentant les salles du musée avec les deux gars le suivant comme des petits chiens, il s'amusa à glisser sur le parquet comme une carpe au ras de l'eau, ce qui amena le gardien à froncer des sourcils. Albert l'ignora et jeta un œil distrait sur une autre toile orientaliste où était représenté un beau narguilé et sur un autre tableau, agricole à souhait avec ses champs aux blés dorés, avant de stopper net devant un groupe de Japonais agglutinés qui, en rangs branlants, écoutaient religieusement les explications de leur guide lesquelles dans son esprit durèrent une éternité. Plus loin, des Indiennes tournaient mécaniquement devant un Raphaël en donnant l'impression de participer à un bal des saris.
Il essaya de lâcher les deux bougres au train mais dut ralentir le pas chaque fois qu'une toile captivait son regard comme celle montrant une fille nantie de profil d'un joli sein, au bain, très ensorceleuse à souhait, ou cette autre représentant une femme jouant de la harpe peinte dans un style redondant.
« Faut trier, sinon je vais louper mon rendez-vous, » s'exclama-t-il en jetant encore un œil sur sa « Tissot » tout en jouant machinalement avec ses clés. Il eut alors une pensée émue pour tous ces peintres morts et ressuscités par la grâce de leurs œuvres. Passant devant une fenêtre, il remarqua une corneille sur le rebord. L'oiseau était occupé à se servir rageusement de son bec, manipulé comme une lame pour nettoyer ses plumes.
Il poursuivit sa visite en pensant qu'il aurait aimé faire carrière comme conservateur de musée au lieu de faire médecine et de se consacrer aux enfants en devenant pédiatre. Certes, il avait pignon sur rue après avoir eu droit à des articles élogieux du Figaro mais à son avis, le beau était surtout dans l'art et certainement pas dans les gémissements des mômes.
Il contourna un buste de César qui n'avait rien d'un bronze innocent, majestueusement placé près d'une scène de l'histoire de Télémaque et d'une toile montrant l'attaque de Jéricho par les armées de Josué, puis emprunta une allée où il ne résista pas à l'appel d'admirer d'autres tableaux, comme cette descente de la Croix qui lui tira des larmes d'émotion. « Tout ça me botte », se dit-il intérieurement en regrettant d'avoir à accélérer le pas.
Pour examiner tous ces tableaux et les comprendre, les visiteurs se devaient d'avoir un savant dictionnaire, pensa-t-il tout en admettant que les visites guidées et les appareils audios leur étaient grandement bénéfiques. Il fallait donc être un abonné des musées comme lui pour bien appréhender les œuvres qui s'offraient à son regard. Mais qu'importe, l'essentiel était déjà de les admirer sans avoir le bourdon.
Il vérifia l'heure à nouveau et pressa le pas en ne voulant pas s'éterniser pour rêver là. Qu'est ce qu'il lui avait pris de donner rendez-vous si tôt à Claude ? Il pesta alors contre l'interdiction de se servir d'un téléphone portable dans un musée mais admit en même temps que l'autoriser eût été une hérésie. Cela aurait été comme une masure barrant l'entrée du Château de Versailles, pensa-t-il tout en esquissant un sourire. Laissant bien du monde de côté, il avisa la sortie du musée mais dut ralentir, bloqué par une masse compacte de touristes. « Ah les limaces, ça cale au portillon », se lamenta-t-il en se retrouvant serré entre deux Tchèques pas pressés de se barrer.
Une fois dehors, le froid le fit immédiatement grelotter. Il vit des chats plein la rue filant devant un car accidenté devant lequel titubait un romano ivre dont l'alcoolémie était vraisemblablement au taux dix fois supérieur à la normale. Il aperçut enfin au loin son ami. « Voilà Minc ! », s'écria-t-il en se mettant à courir face au vent. Goguenard, il héla son copain. Mais Claude, gelé d'avoir tant attendu à la manière de Sœur Anne, lui fit la gueule. « Ca fait un bail que je t'attends. Tu tombes pile pour que je me défoule. Je peux dire que tu m'agasses. J'aurais pu amener ma Remington pour ne pas rester les doigts engourdis. Breu… Gelé jusqu'à l'os, je suis. Et quelle explication vais-je obtenir ? », exigea-t-il en s'armant toutefois de patience.
Se sentant obligé de se faire pardonner, Albert l'entraîna dans un bar italien où flottait l'odeur d'un divin cigare. Il se fit verser une Stella et offrit à Claude un verre de marc pour le réchauffer. Puis, pour faire les choses en grand, il l'invita ensuite chez Sacco, un restaurant situé juste à coté. Il commanda une lotte à l'américaine et Claude des œufs au bacon pour se mettre en appétit avant de se servir au buffet. A un moment, ce dernier se mit à rire.
-Quoi donc ?
« Ta mayonnaise a une drôle de couleur. Ca tire sur le Vert merdeux… Ce n'est plus Mayo, c'est Vert onaise », lâcha Claude en pouffant.
« Vraiment, parfois t'es niais , c'est la fenêtre qui réfléchit le vert des arbres dessus. Vois-tu le rayon de soleil le nimber ce vert ?Sois gentil, esquive la bêtise et finis plutôt ton repas à l'eau. T'as vraiment l'air d'un maréchal banni», lui répondit-il d'un ton agacé tout en levant son verre.
« Albert hola ! Qu'est ce ça signifie ? », lui demanda Claude.
« Un, deux trois, ce n'est pas une pique à sauter en l'air. Simplement je trinque, espèce de rigolo au crâne accessoirement vide que Freud aurait peut-être aimé examiner», lâcha-t-il en se marrant….
Adrian Darmon
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Après avoir déjà passé une bonne heure à admirer des œuvres mirobolantes dans le musée, Albert s'arrêta un instant pour dévorer un Boudin du regard alors que deux gars à l'air malingre, courbés un peu comme ces ânes écrasés sous leurs charges, s'intéressaient goulûment à des toiles de nus et de bacchanales étonnantes. Il remarqua dans leurs yeux une lueur de concupiscence, ce qui aurait eu de quoi rendre un abbé malade, et s'éloigna en pensant encore au Boudin qu'un Boucher n'aurait vraiment pas eu l'idée de peindre. Il se planta ensuite un peu circonspect devant un tableau cubiste en marmonnant à voix basse : « Ce Picasso me braque. Mort aux avant-gardistes ! ».
Il se retourna et pensa que les deux ringards excités par les nus avaient des tronches de forains. « Bof, et puis après ? Dieu a bien d'abord fait Adam de glaise. Tout cela est donc bien léger de ma part », murmura-t-il en s'éloignant avant de marquer une pose et de se dire navré : « c'est un cas moins intéressant pour mon éthique personnelle ».
Le bruit du rot d'un bébé lui fit tourner la tête. Mignon dans sa poussette ressemblant au char d'un carnaval, le bambin se mit à gazouiller à la vue du trio constitué par les deux gars et lui-même alors qu'une femme plutôt flapie, sa robe flottant comme un drapeau au vent, entra dans la salle d'un pas rapide et se heurta à lui. A l'évidence, il la freinait. Il s'excusa un brin penaud tout en s'écartant de son chemin.
Il s'adossa au mur, îlot de sûreté momentané, et regarda tendrement le bébé en susurrant : « Ah mes amis, quel ange ! » puis, submergé par de vieux souvenirs, il se rappela qu'à Toulouse, l'autre écart brutal qu'il avait été obligé de faire dans un musée fut lorsqu'il s'était étalé sur son beau-frère qui s'était retrouvé à demi-écrasé après qu'un gros merdeux l'eût bousculé sans lui demander pardon. Ici, durant cette heure de faible affluence, il pouvait au moins se déplacer sans se faire tamponner par tous ces fanas bigleux ne pigeant rien à la peinture et ayant l'esprit aussi obtus que celui d'un Breton au point de trouver que le Cubisme est gris avant tout et bon pour les fadas libidineux qui tanguent irrémédiablement dans les méandres de l'art moderne.
Il se rappela aussi sa virée à Hambourg. Après avoir passé la nuit dans un night-club, où la tendre Margot guinchait si bien sur un air de java, il s'était rendu au petit matin sur le port en fumant des Reynolds tout en admirant d'un œil enfantin la tour située à l'entrée du fanal. En voyant un pétrolier larguer les amarres coup ci, coup ça, il s'était écrié : « celui-là s'en va tôt ». Puis, pris d'une petite faim, il avait été se rassasier chez l'épicier du coin pour manger sur le pouce un bretzel tout en humant l'odeur suave de miel qui flottait dans la boutique où un vieux rentier polonais lui avait fait la causette et donné à boire du bon vin.
Encore immergé dans ses pensées, il contempla alors un tableau orientaliste plutôt sauvage propre à flanquer une trouille berbère à tout visiteur candide avant de croiser un pompier qui portait ses gants ignifugés. « Bordel, vaudrait mieux ne pas être là s'il y avait le feu, » se dit-il tout en consultant sa montre pour savoir combien de temps il lui restait avant de rejoindre son ami Claude Minc.
Arpentant les salles du musée avec les deux gars le suivant comme des petits chiens, il s'amusa à glisser sur le parquet comme une carpe au ras de l'eau, ce qui amena le gardien à froncer des sourcils. Albert l'ignora et jeta un œil distrait sur une autre toile orientaliste où était représenté un beau narguilé et sur un autre tableau, agricole à souhait avec ses champs aux blés dorés, avant de stopper net devant un groupe de Japonais agglutinés qui, en rangs branlants, écoutaient religieusement les explications de leur guide lesquelles dans son esprit durèrent une éternité. Plus loin, des Indiennes tournaient mécaniquement devant un Raphaël en donnant l'impression de participer à un bal des saris.
Il essaya de lâcher les deux bougres au train mais dut ralentir le pas chaque fois qu'une toile captivait son regard comme celle montrant une fille nantie de profil d'un joli sein, au bain, très ensorceleuse à souhait, ou cette autre représentant une femme jouant de la harpe peinte dans un style redondant.
« Faut trier, sinon je vais louper mon rendez-vous, » s'exclama-t-il en jetant encore un œil sur sa « Tissot » tout en jouant machinalement avec ses clés. Il eut alors une pensée émue pour tous ces peintres morts et ressuscités par la grâce de leurs œuvres. Passant devant une fenêtre, il remarqua une corneille sur le rebord. L'oiseau était occupé à se servir rageusement de son bec, manipulé comme une lame pour nettoyer ses plumes.
Il poursuivit sa visite en pensant qu'il aurait aimé faire carrière comme conservateur de musée au lieu de faire médecine et de se consacrer aux enfants en devenant pédiatre. Certes, il avait pignon sur rue après avoir eu droit à des articles élogieux du Figaro mais à son avis, le beau était surtout dans l'art et certainement pas dans les gémissements des mômes.
Il contourna un buste de César qui n'avait rien d'un bronze innocent, majestueusement placé près d'une scène de l'histoire de Télémaque et d'une toile montrant l'attaque de Jéricho par les armées de Josué, puis emprunta une allée où il ne résista pas à l'appel d'admirer d'autres tableaux, comme cette descente de la Croix qui lui tira des larmes d'émotion. « Tout ça me botte », se dit-il intérieurement en regrettant d'avoir à accélérer le pas.
Pour examiner tous ces tableaux et les comprendre, les visiteurs se devaient d'avoir un savant dictionnaire, pensa-t-il tout en admettant que les visites guidées et les appareils audios leur étaient grandement bénéfiques. Il fallait donc être un abonné des musées comme lui pour bien appréhender les œuvres qui s'offraient à son regard. Mais qu'importe, l'essentiel était déjà de les admirer sans avoir le bourdon.
Il vérifia l'heure à nouveau et pressa le pas en ne voulant pas s'éterniser pour rêver là. Qu'est ce qu'il lui avait pris de donner rendez-vous si tôt à Claude ? Il pesta alors contre l'interdiction de se servir d'un téléphone portable dans un musée mais admit en même temps que l'autoriser eût été une hérésie. Cela aurait été comme une masure barrant l'entrée du Château de Versailles, pensa-t-il tout en esquissant un sourire. Laissant bien du monde de côté, il avisa la sortie du musée mais dut ralentir, bloqué par une masse compacte de touristes. « Ah les limaces, ça cale au portillon », se lamenta-t-il en se retrouvant serré entre deux Tchèques pas pressés de se barrer.
Une fois dehors, le froid le fit immédiatement grelotter. Il vit des chats plein la rue filant devant un car accidenté devant lequel titubait un romano ivre dont l'alcoolémie était vraisemblablement au taux dix fois supérieur à la normale. Il aperçut enfin au loin son ami. « Voilà Minc ! », s'écria-t-il en se mettant à courir face au vent. Goguenard, il héla son copain. Mais Claude, gelé d'avoir tant attendu à la manière de Sœur Anne, lui fit la gueule. « Ca fait un bail que je t'attends. Tu tombes pile pour que je me défoule. Je peux dire que tu m'agasses. J'aurais pu amener ma Remington pour ne pas rester les doigts engourdis. Breu… Gelé jusqu'à l'os, je suis. Et quelle explication vais-je obtenir ? », exigea-t-il en s'armant toutefois de patience.
Se sentant obligé de se faire pardonner, Albert l'entraîna dans un bar italien où flottait l'odeur d'un divin cigare. Il se fit verser une Stella et offrit à Claude un verre de marc pour le réchauffer. Puis, pour faire les choses en grand, il l'invita ensuite chez Sacco, un restaurant situé juste à coté. Il commanda une lotte à l'américaine et Claude des œufs au bacon pour se mettre en appétit avant de se servir au buffet. A un moment, ce dernier se mit à rire.
-Quoi donc ?
« Ta mayonnaise a une drôle de couleur. Ca tire sur le Vert merdeux… Ce n'est plus Mayo, c'est Vert onaise », lâcha Claude en pouffant.
« Vraiment, parfois t'es niais , c'est la fenêtre qui réfléchit le vert des arbres dessus. Vois-tu le rayon de soleil le nimber ce vert ?Sois gentil, esquive la bêtise et finis plutôt ton repas à l'eau. T'as vraiment l'air d'un maréchal banni», lui répondit-il d'un ton agacé tout en levant son verre.
« Albert hola ! Qu'est ce ça signifie ? », lui demanda Claude.
« Un, deux trois, ce n'est pas une pique à sauter en l'air. Simplement je trinque, espèce de rigolo au crâne accessoirement vide que Freud aurait peut-être aimé examiner», lâcha-t-il en se marrant….
Adrian Darmon
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