Affairés sur le chantier de la construction de la Tour Monparnasse depuis sept heures du matin en ce mois d'avril, Gonçalvo, Nunio et Pedro avaient poursuivi à un train d'enfer le creusement des fondations du futur édifice malgré la pluie qui tombait sans discontinuer depuis la veille.
Vers neuf heures, ayant heurté quelque chose de solide avec sa pelleteuse, Gonçalvo avait coupé le contact pour aller voir de quoi il retournait. Sous l'averse, il constata qu'il avait brisé une sorte de baignoire en pierre contenant des poteries avant que son regard ne fut attiré par quelque chose de brillant.
Il se pencha dans la boue, s'accroupit et tendit la main pour saisir ce qui l'avait intrigué avant de rester un instant interdit en enlevant lentement la couche de terre recouvrant sa trouvaille qui s'avérait être une mince couronne d'or finement ciselée de feuilles et de traits réguliers. Il la caressa machinalement en se demandant s'il ne rêvait pas avant de tressaillir et de faire brusquement un signe de croix en apercevant un crâne et des ossements humains au milieu des débris qu'il avait provoqués.
Il se mit subitement à trembler de tous ses membres puis tomba subitement sur son séant et balbutia quelques mots en portugais en invoquant alors la Vierge Marie.
A quelques mètres de là, Nunio et Pedro crurent que Gonçalvo avait eu un malaise en le voyant prostré, le cul planté dans la boue. Ils stoppèrent alors leur moteur pour se précipiter à l'aide de leur collègue et lorsqu'ils s'approchèrent de lui, ils sursautèrent en découvrant ce qu'il tenait à la main.
Eux aussi eurent un mouvement de recul en apercevant les ossements à leurs pieds avant de soulever Gonçalvo par les aisselles pour le relever et lui demander comment il avait fait cette trouvaille.
« Ah les copains ! Je crois qu'il y a un trésor ici ! », lâcha-t-il éberlué en essayant de reprendre son souffle.
Ils se regardèrent alors à la manière de conspirateurs puis se retournèrent pour scruter avec inquiétude les environs pour se rendre enfin compte que personne n'avait surpris leur manège.
Les trois hommes se concertèrent à voix basse pour décider de ce qu'il convenait de faire puis s'affairèrent rapidement parmi les débris avant que d'autres ouvriers ne puissent découvrir leur étrange manège.
Pris d'une indicible frénésie, Nunio plongea la main dans une jarre en terre cuite renversée au fond du sarcophage brisé et étouffa un cri en retirant une poignée de pièces d'or alors que Pedro ne fut pas en reste en se saisissant à son tour d'une statuette en bronze et d'un collier fait de boules d'or qui affleuraient dans la boue.
Excité comme un gosse par cette récolte miraculeuse, Gonçalvo se rendit compte qu'il n'avait rien pour l'emballer et l'emmener discrètement. Il se mit à paniquer durant quelques secondes avant d'avoir l'idée d'enlever sa veste pour y mettre ce butin et d'ordonner à Pedro d'aller vite chercher une pelle pour creuser autour des débris du sarcophage. Au bout d'un quart d'heure, les trois hommes firent ainsi le ménage en trouvant encore quelques objets en bronze et des pièces d'or avant de décider d'effacer illico toute trace du site archéologique gallo-romain sur lequel ils étaient tombés.
Trempés jusqu'à l'os, ils retournèrent à leurs pelleteuse et continuèrent à creuser comme si de rien n'était jusqu'aux environs de midi et reprirent leur travail jusqu'à la fin de leur service avant de se retrouver vers 16 heures dans un café de l'avenue du Maine pour décider ce qu'ils allaient faire de ce trésor constitué de divers objets, de la couronne, des bijoux et des quelque 300 pièces d'or et de bronze qu'ils avaient transposés dans un sac au moment de quitter le chantier.
« Et maintenant ? », demanda Pedro d'un ton inquiet à Gonçalvo après que chacun eût commandé une bière alors que dehors, la pluie n'avait pas cessé de tomber comme pour leur rappeler que 2000 ans plus tôt, les Gaulois craignaient dans de pareilles circonstances que le ciel ne leur tombât sur la tête.
- Maintenant ? Il va falloir se montrer prudent et trouver le moyen d'écouler ce qu'on a trouvé sans que personne ne le sâche.
Nunio se balança nerveusement sur sa chaise avant de se risquer à dire qu'il connaissait un voisin qui collectionnait des pièces anciennes et que ce dernier pouvait lui donner des tuyaux concernant les monnaies découvertes sur le chantier. Pedro se mit à surenchérir en suggérant d'aller voir des antiquaires.
« Nunio, vas-y mais ne montre à ton voisin qu'une seule pièce pour lui demander ce qu'elle vaut et à qui on peut la vendre. Quant aux antiquaires, on verra », rétorqua Gonçalvo.
A la table d'à côté, un homme affublé d'un imperméable qui lisait son journal n'avait pas perdu un seul mot de la conversation entre les trois ouvriers. Après avoir attendu le moment opportun pour y mettre son grain de sel, il posa son quotidien près de la tasse de café qu'il avait siroté et s'adressa à eux en arborant un sourire en coin.
« Excusez-moi d'être indiscret mais je peux peut-être vous aider au sujet de ce dont vous parlez», leur déclara-t-il à mi-voix tout en mordillant distraitement une branche de ses lunettes.
Gonçalvo sursauta sur sa chaise et avala de travers sa gorgée de bière alors que Nunio et Pedro sentirent leur pouls s'accélérer en se regardant d'un air médusé.
« C'est que…Enfin… », bredouilla Gonçalvo, décontenancé comme un imbécile pris sur le fait après un mauvais coup.
« Soyez rassurés, je ne suis pas de la police. Vous pouvez me faire confiance. Toute cette histoire restera donc entre nous », ajouta l'homme en se caressant le menton.
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Gonçalvo se mordit les lèvres en se rendant compte que le choix de ce café n'avait guère été judicieux pour discuter de ce trésor en toute quiétude. Que faire ? Il interrogea ses collègues du regard et ceux-ci, terriblement gênés aux entournures, baissèrent alors la tête en dirigeant leurs yeux vers le sac posé par terre pour lui signifier qu'il n'y avait pas d'autre chose à faire que de l'entrouvrir et montrer son contenu à cet étranger qui les soumettait ainsi à sa volonté.
Grimaçant comme un voleur pris en flagrant délit, Gonçalvo se pencha en hésitant et ouvrit le sac posé à ses pieds devant l'homme qui écarquilla les yeux.
- Bigre ! En voilà une trouvaille !
L'homme plongea alors la main dans le sac et palpa avidement son contenu en lançant un regard en biais en direction des trois compères qui semblaient figés comme des statues.
Il retira la couronne du sac et la contempla d'un air avide. « Combien ? », demanda-t-il.
« Combien ? Euh… Je ne sais pas. C'est quand même de l'or », répondit Gonçalvo en tremblant.
« Hum… Ca doit peser dans les 200 grammes. Dans les 40 balles le gramme, ça ferait huit mille, ça vous irait ? », lâcha-t-il en posant l'objet sur ses genoux sans le quitter des yeux.
Huit mille… Ca représentait grosso-modo plus de cinq mois de salaire. Gonçalvo respira profondément et leva les yeux au plafond tout en essayant de réfléchir avant de sentir le pied de Pedro se poser lourdement sur le sien.
- 8 000, c'est une bonne offre, non ? Tiens, je vous donne aussi 7 000 pour 50 pièces d'or. C'est pratiquement le prix du cours du Napoléon. Ca fera donc 15 000 , que je peux vous régler en espèces dès demain matin. Alors ?
« C'est que… Enfin, on ne sait pas... Qu'en pensez-vous ? », murmura Gonçalvo en se retournant vers Pedro et Nunio qui se grattaient les cheveux d'un air perplexe.
« Allons… Vous croyez que vous trouverez comme ça des acheteurs prêts à vous donner du liquide sans vous demander d'où viennent ces objets ? J'en doute », ajouta l'homme d'un ton péremptoire.
« Euh, en effet… Mais il faut qu'on réfléchisse », déclara Pedro qui sembla sur la défensive alors que Nunio s'arracha alors nerveusement un poil de son nez en le prenant entre son index et son pouce tout en essayant de remettre de l'ordre dans sa tête.
« Il vous faut réfléchir ? Plus le temps va passer et plus vous risquerez des ennuis. Tenez, en plus de mon offre, je peux vous aider à écouler le reste pour vous permettre d'être plus tranquilles », déclara leur interlocuteur avant d'ajouter qu'ils feraient certainement une bonne affaire au passage.
Celui-ci prit une cigarette, la mit entre ses lèvres, l'alluma puis ferma les yeux et en tira une longue bouffée en attendant impatiemment leur réponse.
« Vous pouvez nous aider à écouler tout ça ? », demanda Gonçalvo tout en se frottant le front d'un air dubitatif.
« Je dois vous dire que vous avez de la chance. Je m'y connais un peu en pièces d'or et dans ce genre de babioles. En moins de quinze jours, vous aurez de quoi vous mettre pas mal d'argent dans les poches », lui répondit-il en sentant instinctivement qu'il avait bien ferré les trois compères.
« Combien ? », se risqua à demander Pedro.
« Voyons un peu », dit l'homme qui se sentait désormais maître de la situation. Il se pencha en avant et farfouilla rapidement dans le sac en brassant les monnaies et les objets. Hochant la tête, il se releva, se pinça les joues avec sa main droite, prit un stylo de la poche intérieure de sa veste et se mit à aligner des chiffres sur son journal. Les mâchoires serrées, Gonçalvo, Pedro et Nunio le regardèrent ainsi faire en attendant fébrilement le résultat de cette opération.
L'homme additionna les chiffres inscrits sur son journal et posa brutalement son stylo en s'étirant.
« Eh bien, ça fera dans les 70 000 francs, peut-être un peu plus », annonça-t-il en attendant avec impatience leur réaction.
« Madre … 70 000 », susurra Pedro en lançant un regard de connivence vers ses deux compères.
Gonçalvo fronça les sourcils puis, le coude posé sur la table, se prit la tête dans sa main droite en dodelinant puis en baragouinant en portugais devant l'homme qui le regardait attentivement.
« Euh… J'aurais préféré 75 000. Vous comprenez, ça fera 25 000 par tête de pipe. Ce serait plus convenable », s'aventura-t-il à répondre.
« Ah, je vois. Vous, vous êtes un dur en affaires ! », rétorqua l'homme en éclatant de rire.
- Va donc pour 75 000 mais pas d'embrouilles, hein ? Vous parliez de voir un voisin ? Oubliez-le ! Il faut que tout se passe dans la discrétion. Tope là ?
« Tope là », lâcha Gonçalvo tout en lui proposant de réaliser leur première transaction le lendemain à midi, c'est à dire à l'heure de la pose.
Ce qui fut dit fut fait. L'homme fut exact au même endroit et leur remit discrètement une enveloppe contenant les 15 000 francs pour leur première transaction. Sentant qu'il devait les mettre en confiance, il leur demanda alors de se faire seulement confier 50 pièces d'or pour les vendre avant d'en prendre 50 autres une fois ce lot payé et ainsi de suite.
Il alla ensuite faire un tour du côté de la rue de Richelieu et de la rue Vivienne où il vendit une dizaine de monnaies gallo-romaines pour 22 000 francs en prétendant aux marchands contactés qu'elles provenaient d'un héritage. Puis, il revint voir les trois ouvriers pour leur remettre une somme de 10 000 francs et comme convenu, ceux-ci lui confièrent alors un autre lot de pièces.
L'homme passa ainsi une quinzaine de jours à écouler une bonne partie de leur trésor auprès de marchands et de quelques collectionneurs amateurs mis dans la confidence en récoltant au total plus de 400 000 francs. Après avoir donné les 75 000 francs promis à Gonçalvo, Pedro et Nunio, il se mit en rapport avec un antiquaire qui lui offrit un peu plus de 100 000 francs pour la couronne et divers objets qui restaient. Ce prix lui sembla ridicule mais, peu désireux de commettre un faux-pas en les conservant trop longtemps, il préféra se débarrasser de ces objets sans trop discuter.
Ravi d'avoir blousé les découvreurs de ce trésor, l'hommene manqua pas de remercier la providence pour lui avoir permis de les rencontrer et d'empocher sur leur dos plus de 400 000 francs, une somme plutôt rondelle à l'époque.
Les services archéologiques de la Ville de Paris ne surent rien de la fabuleuse découverte de trésor gaulois à l'endroit où fut érigée la Tour Montparnasse et furent ainsi privés de l'immense bonheur d'identifier le personnage enterré là et de retracer une partie de l'histoire de Lutèce.
Si les milieux officiels restèrent dans l'ignorance, la rumeur alla toutefois bon train du fait que l'homme qui mit la main sur ce trésor céda à l'envie d'évoquer les conditions de cette trouvaille auprès de certains amateurs lorsqu'il leur vendirent certaines des monnaies trouvées par les trois ouvriers.
* Cette histoire, racontée sous forme de nouvelle, est authentique (elle m'a été racontée par un vieux chineur il y a 20 ans) sauf que les protagonistes ont été inventés et les événements imaginés. En fait, les ouvriers et leur chef d'équipe travaillant sur le chantier prirent probablement la décision de se partager le butin avant de l'écouler en douce en préférant ne pas révéler la présence de ce trésor pour éviter l'arrêt des travaux durant plusieurs semaines au profit d'une campagne de fouilles, ce qui aurait considérablement retardé la construction de la tour.