Avec plus de 731 millions de dollars enregistrés les 8 et 9 mai 2012 à New York à l'occasion de trois jours de ventes d'art d'après-guerre et contemporain, du jamais vu, le marché de l'art est devenu l'arène de joutes flamboyantes entre les plus riches des amateurs et ce, malgré la crise économique qui a continué à sévir aux quatre coins du globe.
C'est à se demander quand les enchères records s'arrêteront tant le marché s'est emballé sous l'effet d'une intense vague de spéculation engendrée par des collectionneurs milliardaires transformés en ogres affamés prêts à payer des sommes folles pour des œuvres considérées comme légendaires, à l'image du « Cri » d'Edvard Munch acquis il y a une dizaine de jours pour le prix faramineux de 120 millions de dollars, le montant le plus jamais élevé atteint pour une œuvre d'art, d'une composition de Mark Rothko payée 86,8 millions de dollars, un nouveau record pour une œuvre d'art d'après-guerre, du tableau titré « Sleeping Girl » de Roy Lichtenstein adjugé pour 44,9 millions de dollars ou d'une œuvre de Francis Bacon acquise pour le même prix.
Bref, Christie's a engrangé plus de 465 millions de dollars de ventes en trois sessions tandis que Sotheby's a totalisé de son côté 266,6 millions de dollars pour donner le tournis aux analystes du marché qui n'auraient jamais imaginé prédire de tels scores avant cette série de ventes.
La boulimie affichée par les acheteurs n'a pas manqué de susciter des interrogations pour essayer de comprendre pourquoi le marché de l'art est resté à l'abri des turbulences pour mieux même devenir un eldorado alors que le monde a été confronté à une récession galopante.
Tandis que les places boursières et financiers vacillent de semaine en semaine, le marché de l'art continue de se porter comme un charme en accumulant des records et en enregistrant au passage une hausse soutenue de cotes pour de nombreux artistes, à croire que les œuvres d'art valent bien plus que des lingots d'or ou des diamants et qu'elles pourraient se substituer aux matières premières dont le monde a cruellement besoin.
Seulement voilà, perssonne n'osera prétendre que des œuvres d'art achetées à coups de millions de dollars puissent avoir un quelconque rôle à jouer dans l'économie mondiale et pour les sept milliards d'individus de la planète sinon qu'à satisfaire l'ego d'une légion d'amateurs forte d'à peine 300 nababs sans compter que dans le cas d'une récession pire que celle qui suivit le krach de Wall Street en 1929, elles perdraient une bonne part de leur valeur.
Les amateurs qui ne connaissent pas de frein à leurs dépenses ont certes des raisons de croire que placer leur argent dans des œuvres d'art représente un moyen adéquat de préserver leurs avoirs sauf qu'on n'a jamais pu faire tourner l'économie avec celles-ci alors qu'elles ne valent leur prix qu'au moment de leur revente, nonobstant le fait qu'il est nécessaire d'attendre plusieurs années pour en tirer un réel profit.
De fait, une œuvre d'art n'a donc qu'une valeur sur le papier en ne pouvant être transformable en argent sonnant et trébuchant que par la grâce d'une vente. Finalement, les vendeurs d'œuvres conservées dans leurs collections depuis plus d'une vingtaine d'années sont à coup sûr les véritables gagnants d'aujourd'hui alors que leurs acheteurs risqueront d'être les perdants de demain tout en ayant toutefois pu s'offrir une fantastique publicité à bon compte via l'acquisition de pièces à des prix défiant l'entendement.
Il va de soi que les acheteurs d'œuvres recherchées demeurent peu affectés par les désordres économiques et financiers mondiaux actuels sauf que si la crise économique devait aller en s'aggravant, ils risqueraient de voir le marché s'effondrer à son tour faute d'un nombre suffisant d'acteurs qui seraient parvenus à la surmonter.
Il reste que le marché de l'art s'est de plus en plus scindé en deux avec d'un côté, le haut du panier réunissant les 300 acheteurs les plus riches de la planète qui le maintiennent au pinacle et de l'autre, un secteur plombé par un marasme constant où le pourcentage global des pièces vendues atteint à peine 30% avec des amateurs confrontés à une perte progressive de leur pouvoir d'achat et des galeries désormais à bout de souffle avec des stocks monstrueux d'invendus.
En conclusion, le marché de l'art est devenu un sanctuaire protégé par 300 Spartiates forts de leur impressionnante puissance financière alors que le reste du monde assiste éberlué à leurs folles joutes d'enchères propres à les faire passer pour des dieux mythiques d'un nouvel Olympe sauf que le mythe pourrait bien finir par déboucher sur une cruelle illusion pour ces gladiateurs d'une autre planète qui ont dénaturé sans vergogne la valeur de l'argent alors que plus de deux milliards de terriens ont moins de deux euros par jour pour survivre et que plusieurs pays sont à présent au bord de la révolution. A méditer.
Adrian Darmon