Une unité de Scotland Yard chargée de surveiller les «publications obscènes» a obtenu du musée Tate Modern de retirer de son exposition intitulée "Pop Life" un cliché de la star Brooke Shields, montrée nue et maquillée outrageusement alors qu'elle n'avait que dix ans.
Ce cliché montrant la future star nue dans une baignoire avait été pris en 1975 par le photographe Gary Gross qui à la fin des années 1990 avait cédé ses droits à l'artiste Richard Prince. Ce dernier photographia alors le portrait, l'affubla d'un nouveau nom en le titrant "Spiritual America" avant d'en faire une oeuvre recherchée mais dès lors, la photographie commença à semer le trouble.
C'est en vertu de la «loi sur les Publications obscènes» de 1959 l'amenant à considérer que ce cliché pouvait dépraver ou corrompre le public que Scotland Yard a décidé de le faire retirer de l'exposition de la Tate Modern d'autant plus que son côté choquant avait déjà fait scandale
Lors de la réalisation de cette photographie, la mère de la jeune Brooke Shields avait touché 450 dollars pour en céder les droits à Gary Gross qui la fit ensuite publier dans divers magazines sans que son caractère pédophile ait été une seule fois évoqué. Toutefois, devenue une star de cinéma avec son rôle dans «La Petite» de Louis Malle (1978) puis dans «Le Lagon bleu» (1980), Brooke Shields tenta de récupérer ses droits sur le portrait en saisissant la justice américaine laquelle jugea toutefois en 1983 que la photographie n'avait rien de provoquant quoique montrer une jeune fille pubère nue et outrageusement fardée dans une baignoire n'ait en rien été comparable à la photographie d'une enfant maquillée à l'occasion d'un Mardi-Gras.
En 2008, cette photo fut même exposée au musée Guggenheim de New York et au Musée de l'Elysée à Lausanne avant d'être montrée à la Bnf en mars 2009 sans pour cela provoquer une quelconque controverse. Néanmoins, il convient de rappeler que certaines oeuvres jugées comme étant de caractère violent ou pornographique ou encore comme susceptible de porter atteinte à la dignité humaine ont déjà été retirées de diverses expositions organisées en France, notamment en 2006 à Nice concernant une interprétation par l'artiste Gilles Traquini du tableau de Gustave Courbet "L'Origine du Monde" alors qu'au même moment, l'organisateur d'une exposition controversée sur des enfants intitulée "Présumés innocents" qui s'était tenue à Bordeaux en 2000 était mis en examen pour avoir montré des images à caractère obscène. Par ailleurs, la police avait fait retirer de la FIAC en 2008 des photos de l'artiste russe Oleg Kulik le représentant nu avec des animaux.
Déjà très agité concernant la littérature, le débat s'est brutalement rallumé depuis trois ans dans le domaine de l'art lorsqu'il s'est agi de savoir où se situait la frontière du permissible après que les artistes aient fini par aller de plus en plus loin dans la provocation. Les ligues de protection de l'enfance ont donc saisi là l'occasion d'y mettre un frein en dénonçant le caractère pédophile d'oeuvres montrant des mineurs dans des postures jugées dégradantes.
Il y va ainsi de la liberté de créer mais le tour de vis donné aux moeurs d'une société soumise à des contrôles accrus, qu'ils soient sécuritaires ou autres, a finalement eu pour effet de ramener cette dernière au niveau de la morale qui prévalait sous l'ère victorienne d'autant plus que les campagnes de dénonciation n'ont seulement pas visé les images d'enfants considérées comme obscènes mais aussi encore les femmes montrées d'une façon humiliante ou les handicapés et les animaux dont les images seraient critiquables sans parler des caricatures moquant les religions comme on l'a constaté récemment avec les dessins humoristiques sur Mahomet qui ont enflammé le monde musulman.
En conclusion, les interdictions sans cesse plus nombreuses ont de quoi pourrir la vie des artistes mais les outrances de certains d'entre eux ne manquent pas en retour de susciter des vagues d'indignation. Néanmoins, si on en n'y prend pas garde, l'accumulation insensée des interdictions finira par réduire le libre-arbitre dont dispose chaque individu au risque de déboucher sur des formes intolérables de dictature propres à mettre en cage la liberté de créer et de penser.
Adrian Darmon