Ce ne fut donc pas mû par un quelconque penchant antisémite qu'il essaya d'inciter le régime de Pétain à entériner ses projets avant de se montrer déçu d'être en butte aux atermoiements de l'administration en place, ce qui l'amena à écrire le 18 septembre 1940 à son épouse : « Vichy me fait vichier »
Au bout d'un an d'attente vaine, il pensa alors contacter le Général de Gaulle lequel lui permit plus tard d'exprimer largement ses talents d'architecte en France.
Pour éviter donc toute polémique, la banque UBS, qui avait retenu l'image de ce dernier pour communiquer un message à ses clients, a préféré ne plus l'utiliser pour sa campagne publicitaire.
En attendant, pour Pierre Frey, professeur d'histoire de l'architecture à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, Le Corbusier ne fut rien moins qu'un "théoricien radical et un antisémite violent." d'autant plus que dans des lettres écrites durant les années 1920, l'architecte avait été jusqu'à dire que «Le petit Juif sera bien un jour dominé. Je dis petit Juif, parce qu'ici ils commandent, ils pétaradent et font la roue et que leurs papas ont à peu près absorbé toute l'industrie locale…»
L'écrivain Daniel de Roulet s'est également intéressé aux motifs qui avaient poussé Le Corbusier à se rendre à Vichy au début des années 1940 après s'être étonné de découvrir qu'il y avait établi son agence à l'Hôtel Carlton pour servir directement le maréchal Pétain, chef d'un Etat français à la botte des hitlériens.
Selon de Roulet, Le Corbusier avait manifesté dans de nombreuses lettres son admiration pour le nouveau régime tout en critiquant ceux qui voulaient libérer la France pour ajouter qu'en racontant à ses anciens collègues architectesce qu'il avait découvert au sujet sa biographie, ceux-ci l'avaient prié avec insistance de ne pas leur enlever leurs illusions.
« Au début de cette année, je suis entré par hasard, rue de Seine à Paris, dans une galerie qui exposait des toiles de Corbu en faisant remarquer au propriétaire des lieux que les tableaux de 1942 avaient sûrement été peints à Vichy pour me voir entendre de ne pas le dire trop haut. Il le savait, mais se désolait de cette vérité qui pouvait faire chuter la valeur de ses collections. Il n'a pas hésité à préciser : «Comprenez-moi bien, je sais que c'est un paradoxe, mais il y a là un trop gros enjeu économique. Si on insiste encore, la cote de Le Corbusier va s'effondrer. Ceux qui ont acheté ses oeuvres ou ses immeubles à prix d'or seront ruinés.», a souligné l'écrivain.
Logeant à l'hôtel Queen's à Vichy, Le Corbusier avait bien cru que son heure était enfin arrivée lorsqu'en mars 1941, l'adjoint du chef de cabinet de Pétain lui avait laissé entrevoir que ce dernier allait lui commander d'importants travaux d'urbanisme
Selon de Roulet, les écrits de Le Corbusier à cette époque sont "insupportables d'opportunisme et de cynisme." Alors que son cousin et associé Pierre Jeanneret avait rejoint la Résistance à Grenoble, celui-ci avait pendant presque deux ans organisé son travail et tissé ses contacts sur place à Vichy avant de revenir dans son atelier à Paris, non pas pour s'éloigner du travail avec les nazis, mais pour construire dans la forêt de Fontainebleau des baraquements dont le mode d'emploi avait été publié par le gouvernement de Vichy afin de résoudre d'urgence le problème des populations déplacées.
Le 28 mars 1942, Le Corbusier avait écrit à sa mère : « J'ai fait mes adieux à Vichy, aux gens qui m'ont aidé, apprécié ma ténacité enragée. Adieux pleins d'une amitié réconfortante, d'une confiance dans l'avenir... Pour finir : Tout cet effort sera épaulé par une organisation d'hommes que je suis autorisé à rassembler sur un plan bien catégorique,pour former un véritable milieu actif... cordonnier sera maître chez lui. Voila ma petite maman ce que je puis te dire aujourd'hui après tant de mois d'attente. Ce qui plus est : mes ennemis s'effondrent. Et chose bizarre, sauf les dates, tout cela était dans mon horoscope de 1937.»
Pour de Roulet, Le Corbusier ne fut donc pas un "collabo occasionnel " puisqu'il appelait de ses vœux l'ordre nouveau en allant jusqu'à écrire : « Hitler peut couronner sa vie par une oeuvre grandiose : l'aménagement de l'Europe. »
Après la guerre, Le Corbusier se fit rapidement fort d'oublier le passé en allant chez Léon Blum en compagnie d'André Gide puis en écrivant à Mendès-France sitôt que celui-ci fut porté à la présidence du Conseil pour profiter ensuite du coup d'Etat de mai 1958 pour faire intervenir André Malraux en sa faveur en demandant de la part du général De Gaulle un passe-droit pour construire l'ambassade de France à Brasilia.
Finalement, comme tant d'autres individus de son époque, Le Corbusier ne s'inquiéta nullement du sort des juifs durant la Seconde Guerre Mondiale en pensant avant tout à sa propre carrière quitte à s'allier avec le diable pour manifester ainsi une attitude plutôt déplorable qui incitera peut-être la Banque nationale suisse à orner son prochain billet de dix francs de l'effigie d'une figure historique au passé moins sulfureux.
Il n'en demeure pas moins qu'en dépit de son comportement marqué par un profond égoïsme, Le Corbusier restera dans l'histoire comme un des plus grands architectes, urbanistes et peintres du XXe siècle.
Adrian Darmon