L'annonce faite dans l'édition du 7 février 2013 du magazine « Paris-Match » de la découverte du visage de la femme censé appartenir à « L'origine du Monde », le tableau le plus célèbre de Gustave Courbet, a fait sensation et engendré comme on s'y attendait une polémique qui a enflammé les spécialistes du marché de l'art.
Pour ces derniers, l'histoire paraît belle mais elle ne tient pas pour diverses raisons. Déjà ce serait une sacrée ineptie de prétendre que « La Femme au perroquet », un tableau peint par Courbet en 1866 et aujourd'hui au Metropolitan Museum de New York, serait un nu académique par rapport à « L'Origine du Monde » réalisé la même année qui a été maintenant présenté comme une autre version finalement réduite. Quant à l'affirmation selon laquelle Courbet aurait accepté de le vendre selon un autre cadrage au collectionneur turc Khalil Bey, celle-ci a de quoi être risible.
Selon, Philippe Dagen, historien d'art et chroniqueur au journal « Le Monde », aucun des contemporains ayant vu l'oeuvre - Maxime Du Camp surtout – n'avait dit mot d'une telle opération sans compter que Khalil-Bey aurait-il accepté d'emporter un morceau et non l'œuvre entière.
Là, il y a peut-être matière à débattre si on prend en considération le fait que Courbet n'aurait peut-être pas souhaité vendre la toile au collectionneur avec en évidence le visage de sa maîtresse Johanna Heffernan pour alors courir le risque d'être poursuivi en justice en étant accusé d'avoir diffusé une œuvre pornographique. On peut aussi émettre l'hypothèse que face à un tableau montrant le visage et les bras levés du modèle, Khalil Bey ait lui-même décidé de couper la toile en estimant que ceux-ci rendaient l'œuvre bien moins érotique que la représentation de ce ventre et ce bas ventre offerts pleinement au regard du spectateur.
Il n'en reste pas moins que la conviction du découvreur du tableau a reçu l'adhésion de Jean-Jacques Fernier, l'expert de Courbet, sauf que Philippe Dagen a signalé que ses avis avaient été souvent contestés.
Il y a néanmoins les indices matériels semblant indiquer que ce portrait et « L'Origine du Monde » avaient été peints avec les mêmes pigments et sur le même genre de toile –utilisés en fait par nombre de peintres de l'époque- mais plusieurs spécialistes de la peinture du XIXe siècle ont estimé que cela ne leur paraissait guère suffisant d'autant plus que la réunion des photographies des deux tableaux ont laissé apparaître entre eux des dissonances stylistiques et des erreurs manifestes.
De plus, « Paris-Match » semble s'être fourvoyé en indiquant que l'étude partielle de « La Femme au Perroquet » n'avait pas été retrouvée alors qu'elle figurait dans la rétrospective Courbet organisée en 2007 au Grand Palais, surtout que la tête qui y est montrée diffère sacrément de celle du soi-disant portrait de « L'Origine du Monde » qui aurait été retrouvé. En outre, lors de cette exposition au cours de laquelle « L'Origine du Monde » fut aussi exposée, il n'y avait eu nulle mention du fait qu'elle aurait été découpée surtout que son format de 46 x 55 cm était similaire à celui de « La Réflexion » de 1864, de « La Femme aux Dahlias » de 1871-72 et d'autres natures mortes peintes par Courbet.
Le plus ennuyeux dans cette affaire réside dans la reconstitution de la prétendue intégralité de la toile, Dagen signalant qu'il n'y avait nul besoin d'être un anatomiste pour voir que, pour que ces épaules soient attachées à cette poitrine et ce ventre, il aurait fallu des seins très bas ou une gorge très haute ainsi qu'une colonne vertébrale allongée à la manière du modèle du « Bain Turc » de Ingres vu que le modèle de « L'Origine du monde » est à demi couché vers la droite alors que le cou et le visage du tableau prétendument réapparus sont tournés vers la gauche, ce qui confine à une hérésie picturale.
Croire ainsi que la version osée du tableau de « La Femme au Perroquet » ne serait qu'un hommage rendu par Courbet à Ingres dont « Le Bain Turc » appartenait à Khalil Bey ne serait rien moins qu'une plaisanterie, a affirmé Philippe Dagen.
D'autres spécialistes, notamment Hubert Duchemin, découvreur d'œuvres perdues de Girodet ou Delacroix, ont estimé que les conclusions publiées dans « Paris-Match » n'étaient que des foutaises surtout que le style nerveux de Courbet était étrangement absent de ce portrait trop bien brossé et que la reconstitution du puzzle imaginé par son possesseur n'était ainsi guère convaincante.
De son côté, la direction du Musée d'Orsay est sortie de son devoir de réserve, la direction en réfutant l'hypothèse tendant à prouver l'existence d'un morceau de tableau complémentaire à "L'Origine du Monde" en soulignant qu'elle était fantaisiste alors qu'il était admis que le tableau était une composition achevée et en aucun cas le fragment d'une oeuvre plus grande.
Les responsables du musée ont ajouté que si certaines zones d'ombre subsistaient dans son historique, il était cependant bien certain selon les témoignages du XIXe siècle que le tableau visible chez Khalil-Bey, son premier propriétaire et probable commanditaire, était bien une femme nue sans pieds et sans tête.
Ils ont cru aussi bon de signaler que les éléments relatifs à la technique de l'œuvre étudiée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France après l'acquisition du tableau par le musée d'Orsay n'avaient révélé que des données très habituellement observées sur les toiles des peintres de cette époque et que la seule description objective que l'on pouvait faire du support original était qu'on était en présence d'une toile assez fine et de tissage simple, dont la trame comporte des irrégularités observables sur la plupart des tableaux de cette époque. "L'Origine du monde" présente par conséquent des caractéristiques techniques tout à fait communes que l'on retrouve sur des centaines de toiles contemporaines.
L'opinion de la direction du Musée d'Orsay devrait donc clore tout débat quoiqu'il soit souvent difficile de déterminer où se trouve la vérité. Celle du découvreur de ce tableau a paru séduisante au point de convaincre Fernier mais aussi de déranger ses détracteurs dont les opinions sont pertinentes mais s'agissant de la vérité, on sait depuis des lustres que celle qui a été défendue par certains a été combattue avec rage par d'autres. Ainsi va le monde, depuis son origine.
Il n'en reste pas moins que le fait d'apprendre que « L'Origine du Monde » ne serait pas l'œuvre connue jusqu'à aujourd'hui a eu de quoi perturber le monde de l'art tant la représentation de ce ventre et de ce bas-ventre montrés d'une manière sulfureuse a suscité une terrible fascination pour l'interdit mais aussi la honte de fantasmer offert ouvertement au regard au point d'inciter son dernier propriétaire, le psychanalyste Jacques Lacan, à dissimuler le tableau derrière un cache coulissant sur lequel son beau-frère avait peint une œuvre érotique d'inspiration surréaliste. Savoir désormais que celui-ci ne serait qu'un fragment ôterait en grande partie le propos voulu par Courbet ainsi que le plus que profond érotisme de l'oeuvre depuis qu'elle est exposés au Musée d'Orsay. En fin de compte, nombreux sont ceux qui désirent tellement qu'il soit comme on l'a contemplé jusqu'à présent qu'ils refusent avec force d'accepter l'hypothèse d'une version plus grande de 120 x 100 cm face à laquelle le spectateur serait à l'évidence moins hypnotisé par ce sexe de femme alanguie considéré immédiatement dans sa version connue comme le thème central de cette œuvre plus que libidineuse. Mais à moins d'un retournement improbable, le Musée d'Orsay a parlé, ce qui revient à dire que tout débat est désormais inutile.
Adrian Darmon