La famille du galeriste parisien Paul Rosenberg a mené depuis plus de 65 ans une longue quête pour retrouver des dizaines de chefs d'oeuvre pillés par les nazis lors de l'occupation de la France entre 1940 et 1944 alors que ce dernier avait fui le pays pour se réfugier aux Etats-Unis.
Le quotidien "The New York Times" a rapporté le 26 avril 2013 comment le lieutenant des Forces françaises libres Alexandre Rosenberg était arrivé près de Paris en août 1944 pour bloquer un train de marchandises en partance pour l'Allemagne où il trouva des soldats allemands qu'il fit capturer avant de découvrir que ceux-ci étaient chargés de la garde de plusieurs caisses contenant des sculptures, des dessins et des tableaux de maîtres signés notamment de Cézanne, Renoir, Braque ou Picasso pour avoir alors la surprise de constater que ceux-ci avaient en grande partie appartenu à son père Paul, l'un des plus grands marchands d'art de l'avant-guerre.
Depuis ce fameux jour, la famille Rosenberg n'a eu de cesse de rechercher activement les centaines d'oeuvres volées au galeriste par les nazis en parvenant de temps à autre à en récupérer quelques unes.
Le mois dernier, leur traque a mené les héritiers Rosenberg jusqu'en Norvège et plus précisément au Henie Onstad Arts Center fondé par la célèbre championne olympique de patinage Sonja Henie et son mari où ils ont retrouvé un Matisse possédé par ce musée depuis 45 ans.
La collection des Rosenberg ne représente toutefois qu'une infime part iedes quelque 100,000 oeuvres d'art volées par les nazis et représentant une valeur globale de plus de 10 milliards d'euros qui restent à retrouver de par le monde mais rares ont été ceux à avoir pu reconstituer le patrimoine perdu de leurs parents, au contraire de cette famille qui elle est parvenu à réunir suffisamment de documents pour en retrouver les pièces manquantes.
Les Rosenberg ont surveillé attentivement les ventes aux enchères organisées à travers la planète tout en n'hésitant pas à racheter des oeuvres disparues ou à s'appuyer sur Interpol pour se faire restituer celles qui ont été retrouvées dans des musées. Jusqu'à ce jour, ils ont pu en récupérer environ 340 sur les 400 manquantes.
Leur longue campagne a été plutôt couronnée de succès, ce qui leur a valu d'être loués par le Holocaust Art Restitution Project qui a indiqué que celle-ci devrait servir d'exemple à ceux qui tentent de retrouver les oeuvres d'art volées à leurs familles durant la Seconde Guerre Mondiale.
Il ne faut cependant pas croire que l'entreprise de récupération des Rosenberg a été chose aisée du fait des obstacles bureaucratiques ou juridiques auxquels ils ont été souvent confrontés malgré l'adhésion de nombreux pays aux conventions internationales servant à enjoindre la restitution des oeuvres volées à leurs légitimes propriétaires.
La qualité des oeuvres de la collection de Paul Rosenberg pillée par les nazis a certes aidé ses héritiers à détecter celles qui sont réapparu au grand jour sans compter qu'ils ont eu à leur disposition d'importants moyens financiers et des archives bien documentées pour alors les récupérer, Paul Rosenberg ayant pris l'heureuse initiative de transférer à l'étranger une partie de celles-ci avant l'invasion allemande de 1940.
Réfugié à New York dès la défaite, le marchand avait pu en outre poursuivre son activité en ouvrant à Manhattan une galerie qui ne ferma qu'en 1987 après la mort de son fils Alexandre, Elaine, la veuve de ce dernier demeurant encore dans la maison qui l'abritait et où elle emploie un archiviste à plein temps pour s'occuper de quelque 250 000 documents retraçant la carrière de la dynastie Rosenberg lesquels ont grandement servi à établir la provenance d'oeuvres aujourd'hui récupérées.
Maintenant, il s'agit de convaincre le Henie Onstad Arts Center de rendre le Matisse qui appartenait à Paul Rosenberg qui avait fait de sa luxueuse galerie du 21 de la rue La Boétie un lieu très prisé des amateurs d'oeuvres de Cézanne, Monet, Rodin, Picasso, Matisse ou Modigliani avant son départ pour New York dès le printemps de 1940 mais, n'ayant pas le temps d'emmener avec lui une bonne partie de sa collection, il dut la mettre à l'abri dans le coffre d'une banque de Bordeaux.
Alexandre Rosenberg eut l'incroyable chance de récupérer près de 400 oeuvres en interceptant le train N° 40 044 près de Paris, un fait d'armes dont fut inspiré le film "Le Train" avec Burt Lancaster réalisé en 1964 mais le reliquat de la collection restait à retrouver. Quelques semaines après la fin de la guerre, Paul Rosenberg revint à Paris pour se faire restituer celles qui avaient été entreposées par les nazis au Musée du Jeu de Paume avant leur transfert en Allemagne puis il se rendit en Suisse récupérer des toiles achetées par des collectionneurs peu regardants sur leur provenance.
Paul Rosenberg se battit bec et ongles pour récupérer ce qui lui avait été volé tout en enregistrant parfois des déconvenues comme en 1959 lorsqu'il retrouva un Matisse chez un collectionneur du sud de la France mais il perdit son procès qu'il lui avait intenté en découvrant que le juge qui avait délivré le verdict en sa défaveur était son propre frère...
En 1971, en cherchant à récupérer une oeuvre de Degas titrée "Deux Danseuses", son fils Alexandre se vit forcé de le racheter aux héritiers de celui qui en était devenu propriétaire dans des conditions plus que troubles. Il eut néanmoins plus de chance en récupérant en 1974 une oeuvre de Georges Braque, "Table avec paquet de tabac" détenue par Josée de Chambrun, la fille de l'ancien Premier ministre Pierre Laval exécuté à la Libération pour actes de collaboration avec l'ennemi qu'il avait reconnue dans le catalogue d'une vente aux enchères organisée à Paris, où il arriva sur les lieux en compagnie de la police pour la saisir.
Les Rosenberg ont pu étendre leurs recherches au milieu des années 1990 grâce à la publication de plusieurs livres sur les crimes commis par les nazis, ce qui leur permit de récupérer en 1999 une "Odalisque" de Matisse auprès du Musée de Seattle après que la petite-fille du couple qui avait offert cette toile à cette institution l'eût repérée deux ans plus tôt dans le livre d'Hector Feliciano "Le Musée disparu". Il fallut cependant qu'ils aillent jusqu'à faire un procès au musée pour finalement obtenir la restitution de cette oeuvre.
Ils purent aussi récupérer auprès du Musée des Beaux-Arts de Normandie des "Nymphéas" de Claude Monet volé par les nazis et entré dans la collection du ministre des Affaires étrangères du IIIe Reich Joachim von Ribbentrop grâce au site Art Loss Register qui confirma sa provenance au moment où cette toile fut prêtée au Musée de Boston. Le tableau avait été récupéré par la France après la défaite de l'Allemagne en 1945 mais n'ayant pu identifier son propriétaire, l'Administration l'avait mis en dépôt à ce musée.
L'été dernier, la famille a eu la surprise de découvrir un tableau de Matisse titré " Femme en bleu devant la cheminée" au Centre Pompidou alors qu'il était prêté par le Henie Onstad Arts Center dont les responsables se sont désormais attelés à retracer la provenance de 18 autres oeuvres acquises par cette institution sans toutefois accepter de rendre celle-ci immédiatement.
Le "New York Times" a indiqué que pour les autres oeuvres restant à retrouver par les Rosenberg, il faudra vraisemblablement attendre la venue d'une autre génération vu les obstacles qu'ils auront à surmonter pour les récupérer.