Diffusé prochainement sur les écrans, "Goltzius et la Compagnie du Pélican", le dernier film de Peter Greenaway sera vraisemblablement salué comme un chef d'oeuvre tant par les dialogues, la reconstitution historique et l'inventivité de ce réalisateur anglais féru de peinture.
Grandiose, baroque, ébouriffant, osé, théâtral, provocant, raffiné, obscène, anticonformiste, déroutant, intriguant, blasphématoire, décapant, imprévu ou sanglant, les qualificatifs ne manquent pas pour qualifier cette reconstitution historique revue et corrigée par Greenaway.
Ce dernier a ainsi eu l'idée de raconter un épisode de la vie de l'artiste néerlandais Hendrick Goltzius, fils de Jan II Goltzius né en 1558 et mort en 1616, un peintre et graveur connu pour ses nombreuses planches relatives à la Bible et à la mythologie et qui, influencé par les manièristes italiens, voyagea en 1590 et 1591 en Allemagne et en Italie en ayant mille aventures avant d'avoir la révélation des antiques romains.
Pour ce film, Greenaway a imaginé un Goltzius désireux d'ouvrir une imprimerie pour éditer des livres illustrés d'oeuvres érotiques allant solliciter le pseudo Margrave d'Alsace pour obtenir son soutien financier en lui promettant en échange un ouvrage extraordinaire sur les histoires de l'Ancien Testament regroupant les contes érotiques de l'Ancien Testament pour en jouer six des plus fameux avec sa troupe du Pélican devant sa cour.
Né en 1942, Greenaway qui s'est d'abord orienté vers la peinture a toujours été fasciné par les peintres au point de leur consacrer de nombreux films, d'abord en 1982 avec "Meurtre dans un Jardin anglais" où un peintre chargé d'exécuter le portrait d'une aristocrate paie de sa vie le fait d'avoir couché avec elle, puis plus tard en 2008 avec "La Ronde de Nuit" de Rembrandt qui raconte le couronnement et le début de la chute de l'artiste.
Avec son Goltzius tourné dans un style très shakespearien où les acteurs évoluent comme un théâtre élizabetain en utilisant un langage propre à la fin du 16e siècle, Greenaway aborde crûment le thème du sexe et de la mort tout en instillant dans son oeuvre des débats théologiques ultrasensibles entre un rabbin, un prédicateur protestant et un représentant de l'église catholique qui sont amenés à juger ses interprétations érotiques de certains épisodes bibliques dont on pressent qu'elles se termineront mal.
Greenaway a ainsi mis le doigt sur l'hypocrisie et le double jeu que suscite le respect de la religion en partant de l'histoire d'Adam et Eve pour passer par celles de Loth et ses filles, de David et Bethsabée, de la femme de Potiphar et de Joseph, de Samon et Dalila pour finir avec Salomé qui symbolise la nécrophilie, le tout émaillé de scènes où la pornographie atteint des sommets étonnamment artistiques.
En attendant, Greenaway s'est sublimé pour nous offrir un film aux multiples facettes où le spectateur plongé quatre siècles en arrière est interpellé par la nature intemporelle de ses semblables qui peuvent se montrer émouvants, tendres, idiots, naïfs, pervers, fanatiques et odieux qui, face à leurs incertitudes, pour se retrouver sans cesse à la recherche d'eux-mêmes tout en s'étant longtemps soumis aux codes de la Bible pour établir leur ligne de conduite.
Ayant choisi le parti de tourner dans une ancienne gare de triage en Croatie, Greenaway a créé une étrange atmosphère pour son film joué par des acteurs qui se sont donnés à fond pour leurs rôles comme l'étonnant Ramsey Nasr, un poète hollandais qui campe un Goltzius extraordinaire, F. Murray Abrahams, impérial en Margrave ou Lars Eidinger, sublime dans la peau de l'auteur promis au sacrifice à cause des épisodes qu'il met en scène. Un film a voir absolument et aussi à revoir pour en saisir toutes ses subtilités.
Adrian Darmon