"La différence entre le mot juste et le mot presque juste est la même que celle qui existe entre l'éclair de la foudre et la lumière du ver luisant" (Mark Twain)
Bien que secoué par la crise, le marché de l'art contemporain continue encore d'être un terrain très propice à la spéculation, comme un reportage télévisé diffusé le 1er novembre 2009 par la chaîne Arte a malheureusement eu tendance à le faire croire.
Comment les oeuvres d'art contemporaines sont devenues, au tournant des années 2000, des investissements toujours plus juteux, tel a été le sujet de ce reportage qui a axé son propos non pas sur les ventes aux enchères mais sur certains marchands et galeristes faisant la pluie et le beau temps dans un domaine où les achats effectués sans discernement ont longtemps tiré l'ensemble du marché de l'art vers le haut.
On se souviendra que jusqu'au jour même du krach de Wall Street le 15 septembre 2008 qui coïncida notamment avec la vente-record des œuvres de Damien Hirst à Londres, le marché de l'art contemporain était devenu comme une locomotive folle lancée sans freins sur les rails d'unespéculation extatique créée par ces apprentis-sorciers qu'étaient certains milliardaires occidentaux ou asiatiques désireux de se constituer des collections en faisant exploser les prix d'œuvres d'artistes à peine connus une décennie auparavant.
Il suffisait qu'un François Pinault jette son dévolu sur des œuvres de Jeff Koons et d'autres artistes provocateurs pour que le marché s'emballe à travers la frénésie d'autres amateurs argentés qui l'ont suivi dans son sillage sans que personne ne puisse trouver à redire. Au rythme fou des achats effectués et des records enregistrés dans le domaine de l'art contemporain, il ne fallait toutefois pas être devin pour prédire que le marché allait être à l'image de la bulle des secteurs financiers et boursiers qui menaçait d'exploser à tout moment.
Bref, le marché de l'art contemporain a été frappé de plein fouet par la crise économique qui a ravagé la planète à l'automne de 2008 et depuis des mois, les prix n'ont pas cessé de baisser comme on l'a constaté dans les ventes aux enchères et dans les foires quand bien même la Frieze de Londres et la FIAC de Paris ont été porteuses d'un certain espoir de reprise qu'il a fallu néanmoins tempérer étant donné que les ventes réalisées par les exposants ont surtout concerné des œuvres proposées à des prix abordables.
Au vu du reportage d'Arte, on a eu l'impression que les leçons de la crise ont été loin d'être retenues puisque l'enquête menée par le réalisateur Zoran Solomun autour de cinq galeristes en vue, Léo König aux Etats-Unis, Judy Lybke en Allemagne, Lorenz Helbling en Chine, Mihai Pop en Roumanie et Laura Bartlett en Angleterre, a plus que démontré que l'art contemporain était avant tout synonyme de business et non d'une véritable passion pour la peinture ou la sculpture à partager avec des collectionneurs avertis.
L'œil de la caméra qui s'est attardé sur König et Lybke a reflété ainsi une image peu réjouissante de la façon dont ces galeristes ont conçu leur métier axé avant tout sur le fric. Fils d'un conservateur de musée, le jeune König a surtout montré qu'il avait les dents plutôt longues alors que Lybke avec sa bouille de maquignon a fait l'effet d'un camelot vantant des produits falsifiés auprès d'une assemblée de gogos béats d'admiration naïve lors d'un cocktail de présentation d'œuvres d'artistes qu'il fallait selon lui acheter absolument.
Se voyant demander par une dame qui n'aurait probablement pas su faire la différence entre une 2CV et une Rolls s'il fallait payer une œuvre a un certain prix, Libke ne s'est pas gêné de répondre : « Si on vous offrait un cheval, vous le regarderiez à peine alors que si vous deviez le payer, vous l'examineriez avec soin. De plus, il faut qu'une œuvre soit chère pour que cela vous fasse mal (histoire peut-être d'avoir déjà un choc )»
Ensuite, il y a eu ce coup de projecteur en Chine ou en Roumanie où Helbling et Pop sont partis à la recherche des futurs oiseaux rares de l'art contemporain, un voyage suffisamment instructif pour prouver encore qu'il s'agissait surtout de transformer des artistes en purs produits de marketing.
On pourrait néanmoins être amené à croire que ce reportage n'aura finalement pas offert une vue précise de l'état du marché contemporain en se concentrant abusivement sur des galeristes aux méthodes pour le moins outrancières mais non, il a procuré en fait une vision plutôt large de ce qui a continué à se faire depuis des années.
J'en veux pour preuve un e-mail reçu cette semaine saluant les activités de la galerie « Ricart Gallery Miami» fondée en 2008 par Caroline Herail,Arno Valere et Martial Ricart autours « d'une même passion » : l'Art. Tous les trois ayant eu un parcours « lié à l'industrie du marché de l'art » (Cité dans le texte) et d'ajouter que ceux-ci ont abordé l'art comme un investissement à travers les œuvres (peintures, sculptures et photographies) d'artistes internationaux contemporains, établis et émergents pour proposer à leurs clients la vente et l'achat d'œuvres d'art à travers le marché secondaire, les ventes aux enchères et les conseils en achats d'art, Martial Ricart s'occupant de l'acquisition et de la vente d'œuvres d'artistes établis avec « cette conception nouvelle, abordée avec franchise, de l'art comme investissement.
Tout cela pour expliquer qu'il existe trois façons d'acheter une œuvre d'art, la plus répandue étant celle où « on achète une pièce avec l'objectif principal de décorer, comme on le ferait en achetant une lampe, un miroir ou un mobilier à des prix très raisonnables et dont la valeur marchande n'augmentera probablement pas avec le temps. Seule la valeur sentimentale pouvant croître. La seconde étant l'achat de pièces de maîtres déjà connus … et qui ont atteint 100% de leur valeur. Ce qui constitue un placement qui permet de diversifier son patrimoine, sa valeur fluctuant généralement avec l'économie. Et enfin, il y a les achats qualifiés d'investissement où on recherche des artistes qui sont en train de se faire une place dans le marche de l'art – choisis par un musée, sélectionnés par une galerie de renommée internationale, acquis par un collectionneur d'une certaine influence – mais il faut savoir que ces artistes représentent seulement 1 à 2% du marché global. Il est donc vrai que l'art peut être considéré comme un investissement mais il reste très limité dans son choix. »
Quant à Caroline Hérail, présentée comme passionnée par la nouveauté et le contact avec les artistes, celle-ci est sans cesse à la recherche de nouveaux talents prometteurs, son jugement permettant de décider si l'artiste peut ou non entrer dans le cadre esthétique et commercial de la galerie.
Bref, concernant la conception du métier de galeriste spécialisé en art contemporain, on ne peut donc être plus clair sauf que cette façon de voir repose quelque peu sur du parti pris et écarte toute notion relative au talent réel d'un artiste et de la pérennité de ses œuvres sur le marché étant donné que sa carrière entre peu en ligne de compte.
On est loin des pratiques ayant cours dans le domaine de l'art moderne qui voulaient que la réputation d'un artiste soit établie selon son parcours et la qualité de son œuvre puisque désormais il suffit de dénicher un créateur à peine entraîné au sortir des Beaux-Arts et dénué d'un apprentissage assez long pour en faire un étalon sur le champ de courses du marché de l'art contemporain. Ainsi donc, la vague de spéculation qui a fini par devenir un tsunami qui a failli engloutir ce domaine risque de se répéter par la faute de galeristes acharnés à transformer des bourrins en purs-sangs.
Il serait donc temps de remettre les points sur les i pour rappeler aux béotiens attirés par l'art contemporain qu'on ne peut pas devenir un Picasso du jour au lendemain et que pour ne pas s'offrir de nouvelles désillusions, les acteurs du marché feraient bien une fois pour toutes de s'inspirer de ceux qui vendent de l'art ancien ou moderne en sélectionnant avant tout sur des artistes reconnus et des œuvres de qualité.