Mardi 14 septembre 2010, inauguration de la 25e
Biennale des Antiquaires, un événement réputé marquer le signal du
retour des affaires pour un marché de l'art encore assez vaillant mais
toujours aussi fragile face à la crise qui a submergé la planète depuis
maintenant deux ans.
Sous
la nef du Grand Palais, on pénètre ici dans un monde vraiment à part
où déferle un torrent tumultueux de visiteurs guindés exhalant un
snobisme assaisonné à toutes sauces pour avoir l'impression de plonger
250 ans en arrière et de se retrouver parmi une cohorte de courtisans
venus saluer le roi. La France n'ayant plus de monarchie depuis 162
ans, la Biennale a eu néanmoins l'honneur d'accueillir l'ancien
Président de la République Jacques Chirac venu conférer un certain
cachet à cette manifestation qui a paru plutôt allégée par rapport aux
précédentes éditions.
Difficile
de respirer dans cette atmosphère terriblement mondaine, parfois rance
jusqu'à donner le haut le cœur à tout individu n'ayant pas cédé à
l'imposture de passer pour ce qu'il n'est pas et faire croire que les
tableaux de maîtres et rares objets d'art n'auraient été faits que pour
diffuser un parfum contagieux de vanité crasse.
Dans
cette ambiance aussi irréelle où les exposants ont fait assaut
d'amabilité mais également de flagornerie pour séduire d'éventuels
acheteurs triés sur le volet, les connaisseurs ont eu quelque mal à
circuler en toute décontraction pour admirer certaines pièces sublimes
sélectionnées afin de magnifier cette manifestation prestigieuse qui par
instants a semblé placée sous le signe du Botox, ce poison béni par
toute nana mûre friquée désireuse de se dérider au propre comme au
figuré en cherchant à retrouver une seconde jeunesse, un peu à l'image
de certains tableaux vieux de 300 ans et plus exposés ici et là qui ont
semblé tout droit sortis des ateliers de leurs auteurs.
Prenant
des airs de défilé de mode avec un va et vient de ravissantes
créatures perchées sur des talons aiguilles propres à leur faire
tricoter la laine de la moquette des allées, la Biennale a fait la nique
à la crise en offrant de splendides buffets aux pique-assiettes
dédaigneux des Picasso exposés alentour qui n'ont certes pas fait la
fine bouche pour dévorer goulûment des petits fours savamment concoctés pour l'occasion.
Si le champagne a coulé grandement à flots, l'art du 18e
siècle, qui autrefois portait bien haut les couleurs de la Biennale, a
paru aussi tari que le lac Baïkal avec seulement une poignée de ses
grands spécialistes présents au rendez-vous, tels Aaron, Steinitz,
Kraemer, Perrin et Léage alors que Gismondi s'est senti l'âme d'un
avant-gardiste en mêlant peu savamment l'ancien et le moderne sur son
stand.
Peinant
toujours à atteindre le niveau de la foire de Maastricht, la Biennale a
paru finalement assez pauvre en pièces vraiment exceptionnelles, un
signe de raréfaction déjà constaté depuis ces dernières années dans les
salles de vente.
On aura quand même pu admirer chez Deydier une rare épée niellée d'or datant d'environ 2500 ans ayant vraisemblablement appartenu à un monarque chinois, quelques belles sculptures africaines chez Dulon, un Camille Pissarro toutefois tardif représentant
le Quai Malaquais chez Richard Green, deux belles sculptures de
Jacques Lipchitz datant 1916 et 1918, l'une en bronze et l'autre
pierre, à la Marlborough Gallery, quelques superbes œuvres sur papier
d'Egon Schiele, George Grosz, Alfred Kubin ou Gustav Klimt chez Richard
Nagy de Londres, un séduisant portrait de jeune femme par Renoir et un
remarquable tableau de Nicolas Régnier montrant des joueurs de cartes
chez Robilant + Voena, un nu accroupi inachevé de Bonnard, un Lautrec
néanmoins un peu vide et un Degas potable chez Schmit, des bronzes des
années 1910 par Bugatti et d'après Degas à la Sladmore Gallery, un
Chirico malheureusement un peu sombre chez Tornabuoni Art, un beau
torse grec en bronze datant d'environ 2200 ans chez Axel Vervoordt, un
portrait de femme par Greuze un peu rigide chez Adam Williams de New
York et enfin quelques beaux livres chez Vrain qui aurait pu être
lui-même un personnage de Balzac auquel il a rendu hommage en présentant
un exemplaire de « Béatrix ou les Amours forcés » recouvert de 663 corrections autographes.
Impression
mitigée chez de Jonckheere avec quelques Brueghel plutôt moyens en
terme de qualité et loin d'avoir la beauté des bolides que ce cher Bruxellois
collectionne, chez L&M Arts de New York qui a présenté un Mark
Rothko verdâtre et un de Kooning plutôt pisseux, chez La Béraudière
avec un Soutine de sous-catégorie ou à la Galerie Krugier avec une « Tête de femme désespérée » de Picasso qui a paru si désespérante à l'œil et une sculpture d'Alberto Giacometti, « Femme de Venise »,
devenue incidemment le désespoir des héritiers de Jan Krugier après
qu'une courtière parisienne dotée d'un appétit de requin soit venue
saborder en juin dernier une transaction privée qui était sur le point
d'aboutir.
Par
contre, pas d'impression du tout chez Stoppenbach & Delestre de
Londres qui a confondu la Biennale avec un Salon de second plan alors
qu'on a regretté le recul manifeste du 18e siècle et les
absences remarquées de grands marchands spécialisés dans la Haute Epoque
ou la Renaissance, tels Neuese ou Ladrière. Au final, la Biennale a
paru avoir bien besoin de Botox sinon d'un lifting poussé pour retrouver
son visage d'antan.