Le premier trimestre de 2011 a été conclu par des ventes aux enchères en fanfare pour le marché de l'art français alors que la crise a affecté le moral des ménages mais nullement celui des nantis qui ont spéculé à tout-va à travers l'Hexagone.
Si Christie a engrangé quelque 44 millions d'euros pour la collection du château de Gourdon, un résultat plutôt mitigé en regard des 50 millions espérés, la surprise est venue de province où le groupe Labarbe de Toulouse a adjugé pour 22 millions d'euros, frais compris, une peinture sur soie longue de plus de 22 mètres représentant une parade de l'armée impériale chinoise au 18e siècle qui n'était estimée au mieux qu'à 3 millions d'euros.
Avec cette enchère mirifique, le groupe toulousain a pris provisoirement la 2e place du "top ten" des maisons de vente spécifiquement françaises (Christie's et Sotheby's étant des entités étrangères) grâce à l'appétit vorace d'acheteurs chinois prêts à dépenser des fortunes pour des oeuvres d'art d'origine asiatique.
De son côté, le groupe Gros & Delettrez a déjà assuré en quatre ventes une bonne partie de son C.A pour 2011 en dispersant la collection Paul-Louis Weiller (23,773 millions d'euros) accompagnée de lots d'autres provenance durant la première semaine d'avril pour réaliser un produit total de 29,062 millions d'euros.
La crise qui creuse la dette publique de la France et d'autres pays européens n'a donc eu aucune prise sur un marché d'art rendu euphorique à travers des enchères phénoménales portées sur des pièces rares comme pour ce recueil de poésies chinoises placé distraitement dans une manette de livres divers proposée à un prix de départ de 30 euros lors d'une vente courante à Drouot qui a été adjugée pour 3,8 millions d'euros après une bataille d'enchères entre des amateurs chinois lesquels avaient décelé que ce recueil était de la main de l'empereur Quian Long.
Ces enchères démentielles ont revigoré le marché qui s'est remarquablement remis des effets négatifs de la crise financière et boursière de 2008 mais elles ont masqué un marasme inquiétant au niveau des ventes de pièces de qualité moyenne souvent adjugées en-dessous de leurs estimations, un fait dû d'une part au désintérêt des amateurs dont le pouvoir d'achat a baissé et d'autre part à la désaffection des professionnels dont les chiffres d'affaires ont lourdement chuté depuis trois ans. A ce rythme, les maisons de vente ne baseront plus leurs recettes que sur les dispersions d'oeuvres rares ou de grande qualité, ce qui posera problème vu que leur nombre se réduit progressivement.
La série de vente de la collection Paul-Louis Weiler organisée à Drouot à partir du 6 avril 2011 par le groupe Gros & Delettrez a donc rempli toutes ses promesses avec des enchères qui en moyenne ont plus que triplé les estimations lesquelles ont étépulvérisées en certaines occasions.
Ainsi, un tableau Corneille de La Haye dit Corneille de Lyon (1500/1510 - 1575) représentant un portrait d'homme au béret noir, une huile sur panneau de chêne doublé d'un parquetage d'acajou (17,5 x 13,2 cm) a atteint 490 000 euros sur une estimation haute de 80 000. Une toile de l'école française vers 1720, décrite comme étant de l'entourage d'Antoine Watteau montrant cinq personnages de la comédie italienne (128 x 92 cm) ( Provenance : Vente du comte A. Du Barry, 21 novembre 1774) a culminé à 1 million d'euros sur une estimation haute de 60 000. Le portrait présumé de Mlle Chamisot (79 x 62,5 cm, daté de 1730) par Jean-Marc Nattier (1685-1766) a été adjugé pour 142 000 euros pour doubler largement son estimation basse.
Estimée au mieux à 3000 euros, une huile sur panneau (23 x 17,3 cm) de l'atelier de Frans Van Mieris (17e siècle) a atteint 25 000 euros. Attribué à Fiodor Rokotov (1735 - 1808) un portrait du comte Grigori Grigorievitch Orloff (1734 - 1783) ( Toile de 97 x 75,5 cm) a trouvé preneur pour 280 000 euros sur une estimation haute de 60000 alors qu'une tête en bronze fondue par A. Hébrard d'Emile Antoine Bourdelle (1861-1929) a été vendue pour 17500 euros sur une estimation haute de 3000.
Un Rhyton en forme de queue de dragon, vase long wei gong sculpté à partir d'un galet de jade vert fortement marqué de brun-rouille a été adjugé pour 1,6 million d'euros alors qu'une plaque ronde en jade néphrite blanc légèrement céladonné avec inclusions de rouille, décorée de Bodhidharma entouré d'une frise de caractères et au revers d'une inscription bouddhique de 56 caractères. Chine, XIXème siècle (Diam : 15,5 cm) a été catapultée à 150 000 euros sur une estimation haute de 5000.
Une coupe rectangulaire à coins arrondis en jade néphrite vert clair décorée aux quatre angles de tiges de feuilles de lotus encadrant deux boutons de lotus. Chine, Marque sigillaire en deux caractères de Qianlong Haut ( 4,8 cm ; Larg : 13 cm ; Prof : 9,5 cm) a atteint 90 000 euros tandis qu'une coupe en jade blanc légèrement céladonné, gravée de huit frises de motifs géométriques différents et ornée de deux anses en forme de masques de taotie. Chine, Epoque Jiaqing (1796-1820) (Haut : 6 cm ; Diam : 15,5 cm) a trouvé preneur à 150 000 euros.
Une grande coupe d'époque Qianlong (1736-1795) à bec verseur en jade néphrite vert clair avec deux anses formées de lingzhi retenant des anneaux a doublé son estimation pour atteindre 810 000 euros au marteau. Sur le dessus, formant anse, est simulé un grand pendentif constitué d'une pierre sonore attachée à un motif formé du caractère fu en cursive, et retenant, par une cordelette, une plaque présentant deux caractères xi accolés. La panse est sculptée de deux motifs formés de chauves-souris et lingzhi. Chine (18,2 x 23,2 cm) La présence des symboles de longévité que sont les chauves-souris et le champignon lingzhi, le caractère fu « bonheur », la pierre sonore, insigne de la justice et de la perfection, et surtout le caractère shuang xi, « double joie », ont clairement indiqué que cette coupe fut offerte comme cadeau de mariage.
Une grande coupe carrée chinoise d'époque Jiaqing (1796-1820) (19,3 x 19,3 cm) aux angles fortement lobés en jade néphrite blanc légèrement céladonné, ornée aux angles de quatre papillons retenant des anneaux, et sur le pourtour de huit dragons séparés par des caractères shou, longévité, reposant sur quatre petits pieds a été adjugée pour 300 000 euros.
Une grande coupe libatoire chinoise de la fin du XVIIIe ou du début du XIXe siècle en corne de rhinocéros blonde sculptée des Baxian parmi des érables et de grands lingzhi, champignons de longévité, la partie basse, plus foncée décorée d'un personnage tenant une hallebarde pourchassant des dragons à corps de poissons près d'une divinité dans un coquillage accompagnée de deux diablotins parmi les flots avec un socle en bois sculpté de lingzhi (Haut : 20,5 cm ; Larg : 19,7 cm) a culminé à 1,1 million d'euros sur une estimation haute de 50000 euros.
Ayant figuré un temps dans la collection du maréchal Ney, un rare et important plat rond ( Chine, dynastie Yuan, 14e siècle) à bord contourné en porcelaine blanche à décor en bleu sous couverte au centre d'un bananier sur un rocher, deux rochers entourés de bambous, melons et lotus dans un médaillon circulaire ; l'aile décorée de branches de pivoines portant huit fleurs en relief présentées sous différents angles et réservées en blanc sur fond de vagues stylisées en bleu, le bord décoré de vagues écumantes ; au revers une guirlande continue de fleurs de lotus et feuillage, la base et le talon laissés en biscuit (Diam. 48 cm, hauteur 8,5 cm) a été propulsé à 2,3 millions d'euros.
Deux compotiers de la manufacture de Gardner (Moscou) du 18e siècle en forme de feuilles du service de l'ordre de Saint Georges, à décor polychrome au naturel en plusieurs tons de verts de feuilles imbriquées, le centre décoré de l'insigne de l'ordre de Saint Georges entouré du ruban de l'ordre sur lequel s'enroule une guirlande de feuillage ( Longueur : 29 cm) ont été vendus pour 125 000 euros.
Deux coupes de la manufacture de Gardner vers 1777 en forme de feuille de vigne du service de l'ordre de Saint Georges, à décor polychrome au naturel en plusieurs tons de verts, le centre décoré de l'insigne de l'ordre de Saint Georges entouré du ruban de l'ordre sur lequel s'enroule une guirlande de feuillage, le bord ajouré simulant des branches( Longueur : 29 cm) ont quant à elles atteint 145 000 euros
Un secrétaire droit estampillé de Léonard Boudin, reçu maître en 1761) en bois de placage marqueté d'instruments de musique, draperies et bouquets de fleurs, les montants à pans coupés à décor de grecques ouvrant en partie basse, par deux vantaux découvrant un casier et trois tiroirs et, en partie haute, par un abattant surmonté d'un tiroir. L'abattant découvrant neuf petits tiroirs surmontés d'un casier dont le fond dissimule une cache secrète avec une riche ornementation de bronzes ciselés et dorés à décor de frises de postes, grecques, baguettes d'encadrement à fond amati, médaillons, feuilles d'acanthe et pieds griffes (Largeur 98 cm, Hauteur 139 cm, Prof. 47 cm) a été vendu pour 190 000 euros.
Attribuée à Jacques Dubois, une commode galbée d'époque Louis XV dite «à la Harant» ou «à la Harenc», en bois laqué or sur fond noir dans le goût chinois de personnages, pagodes et animaux, les pieds cambrés ouvrant en façade, par deux tiroirs sans traverse et, sur les côtés, par deux vantaux avec une belle et importante ornementation de bronzes ciselés et dorés à décor de rocailles feuillagées (Hauteur : 90 cm Largeur : 130 cm Profondeur : 62 cm) a été enlevée pour 330 000 euros.
Une commode à ressaut d'époque Transition estampillée de Jean-Henri Riesener, reçu maître en 1768, en placage d'amarante et d'acajou blond marqueté en feuilles, le ressaut à décor de losanges, ouvrant par deux tiroirs sans traverse surmontés d'un rang de trois tiroirs. Les pieds cambrés avec une belle ornementation de bronzes ciselés et dorés, le tiroir supérieur à décor de frise feuillagée ajourée chiffrée NP (Philippe de Noailles), le tablier à feuilles d'acanthe, les poignées de tirage à marguerite et noeuds de ruban, les chutes en consoles à feuilles d'acanthe, les sabots en forme de pattes de lion ( Hauteur : 92 cm Largeur : 152 cm Profondeur : 62 cm) a trouvé preneur pour 520 000 euros.
Un bureau plat attribué à l'atelier des Boulle (vers 1730-1735) de forme mouvementée en placage alterné de bois satiné et amarante, ouvrant par trois tiroirs en ceinture, les pieds cambrés avec une importante ornementation de bronzes ciselés et dorés à décor de mascarons rayonnants au centre des côtés, de têtes de faune au sommet des pieds, de motifs feuillagés à l'extrémité des pieds et sur les poignées de tirage, de croissants feuillagés et fleuris sur les décrochements de la ceinture, et de baguettes d'encadrement, le plateau bordé d'une lingotière en laiton mouluré et garni de cuir vert foncé patiné( Hauteur : 80 cm Largeur : 162 cm Profondeur : 82 cm) a été adjugé pour 340 000 euros.
150 000 euros ont été obtenus pour une table à jeux multiples et de trictrac d'époque Transition de Brice Peridiez, reçu maître en 1764, de forme rectangulaire, en bois de placage marqueté de cubes dans des réserves à filets d'encadrement à grecques, les pieds cambrés. Le dessus, réversible et marqueté d'un jeu de loterie à aiguille mobile en laiton, découvre un trictrac. La façade à glissière découvre six plateaux mobiles garnis, au recto et au verso, de planches gravées représentant des jeux de société : 1- Jeu de France/Jeu du Monde, daté 1645 2- Tableau chronologique de l'Histoire Universelle/ Voyage curieux par les villes... de France 3- Jeu des fortifications/gravure du revers manquante 4- Jeu de la conversation/gravure du revers manquante 5- Nouveau jeu chronologique et historique des rois de France/gravure du revers manquante 6- Nouveau jeu des vertus récompensées et des vices punis, daté 1753/Nouveau jeu de l'hymen daté 1753. ( Hauteur : 78 cm Largeur : 82 cm Profondeur : 60,5 cm)
Une très rare terrine couverte du 18e siècle avec sa doublure et son présentoir provenant du second service du duc de Saxe-Teschen a été adjugée pour 290 000 euros alors qu'un vase impérial chinois en jade vert daté de 1785 surnommé "longwei gong" (rython en forme de dragon) a été vendu pour 1,6 million d'euros.
Estimée 5000 euros, une plaque du 19e siècle en jade néphrite blanc légèrement céladonné avec inclusion de rouille (Diam 15,5 cm) montrant le Bodhidharma cerclé d'une frise de caractères, le revers avec une inscrption bouddhique à 56 caractères a fusé à 150 000 euros.
Au chapitre des livres et manuscrits, un livre d'Heures à l'usage de Rome dites "heures de Petau", un manuscrit orné de 16 miniatures en forme de médaillons de 6,5 cm de diamètre attribuées à Jean Poyet, actif entre 1490 et 1520, avec une reliure de Duru de 1856 en maroquin tabac aux armes de la famille Rothschild a fait valser les enchères jusqu'à 2 millions d'euros alors qu'un livre d'heures de Claude de France (1499-1525) de l'atelier du Maître de Claude de France (entre 1515 et 1517), un manuscrit sur vélin de 121 feuillets (8,4 x 5,5 cm) illustré de 15 miniatures à pleine page et de 12 miniatures accompagnant le calendrier avec une reliure anglaise en maroquin bleu foncé a été vendu pour 2,610 millions d'euros (frais compris).
Une toile d'Albert Cuyp (1620-1691) représentant la Traite au bord de la rivière (93 x 119 cm) a séduit un amateur pour 780 000 euros alors qu'un tableau de Cornelis de Vos (1584?-1651) montrant un portrait de femme entourée de ses trois enfants (140 x 120 cm) a été adjugé pour 230 000 euros alors que d'autres enchères supérieures à 100 000 euros ont été enregistrées pour des pièces d'argenterie et des meubles durant ces 4 journées de vacations.
On le constate, le marché s'est emballé au niveau des ventes de pièces exceptionnelles, surtout celles provenant de Chine qui suscitent des enchères astronomiques, mais il est très loin d'être performant pour celles d'oeuvres de qualité moyenne alors que les antiquaires ont continué pour la plupart à souffrir de la crise. Bref, le marché du haut de gamme se porte comme un charme sauf qu'il est soutenu à travers la planète par quelque 150 très riches acheteurs dont la fortune personnelle dépasse le milliard d'euros. En conclusion, la balance penche dangereusement d'un côté grâce à une spéculation effrénée de la part des amateurs chinois alors qu'en pleine expansion économique il y a vingt ans, elle était nettement plus équilibrée grâce à un volume conséquent de ventes d'objets et d'oeuvres de qualité moyenne, ce qui permettait alors aux professionnels d'être très actifs dans les salles de vente pour renouveler leurs stocks, ce qui n'est plus le cas désormais puisque ceux-ci ont été obligés de faire le dos rond face à une crise qui n'a pas cessé de s'amplifier. On se retrouve ainsi confronté à une situation préoccupante un peu comme dans le cas des gros groupes pétroliers qui pour leur part engrangent de gros bénéfices avec l'augmentation du prix du baril, ce qui a eu pour effet de forcer les automobilistes à rouler moins jusqu'à les menacer de laisser leurs véhicules la plupart du temps au garage lorsque le litre de super aura atteint la barre des deux euros. A la longue, le marché de l'art ne vivra plus qu'à travers les achats des amateurs millionnaires d'autant plus que les amateurs des classes moyennes, déjà confrontés à une baisse de leur pouvoir d'achat, se sont détournés des antiquités pour porter leurs goûts vers le design ou l'art contemporain.