Samedi 11 août 2001, les chineurs qui sont restés à Paris n'ont vraiment guère d'opportunités pour partir à la chasse au trésor. Il ne reste que quelques foires minables et les marchés de Vanves et de Saint-Ouen à hanter en cette période de l'année et les trouvailles ne peuvent être que très rares. Certains peuvent cependant avoir la main heureuse comme J.R qui a acheté pour une bouchée de pain un pastel représentant des fleurs signé Monet. Cet insatiable avaleur de kilomètres est intimement persuadé d'avoir fait un coup mais je lui donne une chance sur mille pour parvenir à faire authentifier sa découverte vu que Claude Monet a produit peu de natures mortes et que l'expert en charge du catalogue raisonné de son œuvre n'est autre que Daniel Wildenstein lequel n'est guère enclin à délivrer facilement des certificats d'authentification.
L'ennui avec J.R est que celui-ci est sans cesse convaincu d'avoir mis la main sur des œuvres authentiques même lorsqu'elles sont à des kilomètres de ressembler à celles produites par le maître à qui il pense avoir affaire. Il faut ainsi se mettre à chaque fois en quatre pour lui prouver qu'il est complètement à côté de la plaque.
N'empêche, il faut reconnaître que parfois il est dans le vrai. Connaissant cet énergumène depuis plus d'une quinzaine d'années, j'ai constaté qu'il avait visé dans le mille une fois sur trente et qu'il a eu à son crédit plus d'une vingtaine de découvertes depuis 1985. Cela représente grosso-modo un score de près de 7 millions de francs puisque parmi celles-ci il y a eu un dessin de Toulouse-Lautrec, une aquarelle Gauguin, une huile d'Emile Bernard, une toile de Marquet et quelques œuvres de peintres cotés sans oublier celles qu'il a gardées en réserve, dont ce petit autoportrait de Van Gogh qui pourrait s'avérer authentique au bout du compte.
C'est la journée des natures mortes puisque «Dédé de Montreuil» a déniché au marché de Vanves une superbe œuvre d'un artiste nabi dont il a eu le tort de se défaire immédiatement en faveur de «Dodo La Marmotte» qui jubile maintenant à l'idée d'avoir un Vuillard ou un Bonnard en sa possession. Ce dernier n'a d'ailleurs pas manqué de m'appeler pour m'annoncer tout excité qu'il avait acquis un chef d'œuvre.
«Après m'avoir vendu cette toile, Dédé s'est ravisé et a tenté de me payer le double de ce que j'avais donné pour la récupérer», me dit-il en ajoutant que cette huile est proprement époustouflante, ce qui reste à voir…
Décidément, «Dédé» ne changera pas. Dès qu'il fait une découverte, il semble complètement saisi de panique et s'en débarrasse au profit du premier venu comme si elle allait lui exploser à la figure.
Toutes les belles trouvailles qu'il a faites lui ont échappé sans exception et la liste devient exagérément longue au point que je me demande s'il n'y a pas un mythe propre à «Dédé» qui ne serait ni plus ni moins qu'un genre de Prométhée moderne, faiseur de découvertes ayant arraché à l'anonymat des œuvres considérées à jamais perdues et qui serait condamné à ne pas en profiter. Quel Héraclès viendra le délivrer?
De nombreux chefs d'œuvre lui ont ainsi échappé comme ce tableau du Douanier Rousseau ou cet autre de Monet représentant des peupliers sans oublier d'autres pièces importantes vendues pour trois fois rien à d'autres chineurs qui ne manquent pas de s'activer comme des vautours autour de lui.
Rien ne dit cependant qu'il a commis une énorme bourde en cédant sa dernière trouvaille à «Dodo La Marmotte» qui de son côté a le don d'accumuler des centaines de tableaux qui sont des merveilles à ses yeux alors qu'elles ne valent généralement pas tripette.
Chez lui, le ratio d'une chance d'authentification se limite à un modeste pourcentage de un pour trois cents. Un rapide calcul permet de situer son gain à pratiquement zéro puisque si on considère qu'il a payé 3000 FF en moyenne pour chacune des œuvres sans intérêt qu'il a entssées chez lui, il faudrait qu'il parvienne à revendre à plus d'un million de francs une trouvaille enfin authentifiée. Finalement, il se situe là au niveau d'un joueur du loto qui achète d'un coup des centaines de milliers de billets pour espérer gagner le gros lot.