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Pour tout dire, il n'y a parfois rien à dire...
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
Xème Chapitre
VIEUX GRIGOUS
01 Juillet 2001 |
Cet article se compose de 2 pages.
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Vendredi 27 juillet, ouverture tardive du marché aux Puces de Saint-Ouen où il n'y a vraiment rien de valable à chiner. Le mois d'août sera certainement pire. Durant l'après-midi, petite conversation téléphonique avec un courtier en tableaux qui a pris ses quartiers du côté de Saint-Tropez pour l'été. Il m'apprend que François Pinault est en croisière du côté de la Corse et que le temps est superbe. A Paris, il fait lourd et l'orage qui commence à gronder s'apprête à déverser des flots diluviens. Vivement la rentrée ! Samedi 28 juillet, Michael dit «le puits de science» est totalement déconfit. Cela faisait plus de trois ans qu'il avait travaillé comme un entomologiste sur deux dessins faisant pendants qui représentaient le retour du Grand Prix à Longchamp et qui avaient tout pour être de la main d'Edouard Manet. Ses convictions ont été néanmoins balayées en quelques minutes par Daniel Wildenstein qui n'a guère vu la patte de l'artiste dans ces dessins. Et pourtant, il y avait tant d'analogies entre ces croquis et les oeuvres reconnues de l'artiste que tout laissait croire qu'ils étaient authentiques. Seulement voilà, le verdict a été négatif et irréversible car il n'y a qu'une seule autorité au monde pour délivrer un jugement au sujet de Manet. Michael n'en revient toujours pas et a un mal fou à surmonter ce revers d'autant plus qu'il s'est déjà vu refuser récemment quelques autres trouvailles qui lui auraient assuré de beaux jours à l'abri du besoin. En ce qui le concerne, les vacances semblent mal engagées. Déjeunant en compagnie de Chester Fielx, Michael semble vraiment sonné et ne cesse de ruminer cet échec tout en suggérant machinalement que Wildenstein n'aurait peut-être plus de bons yeux. Il n'y a rien d'autre à dire sinon que ce dernier est incontournable, bonne vue ou pas. «Ne t'en fais pas. C'est le propre de tout chineur d'être confronté à des désillusions. Bientôt, tu te rattraperas. C'est sûr ! », lui dit Chester d'un ton compatissant. Dimanche 29 juillet, rencontre au marché Dauphine avec un ponte du marché de l'art qui au fil de notre conversation me raconte quelques anecdotes croustillantes au sujet de certains experts pas très clairs qui ne sont heureusement plus de ce monde. L'un d'eux, avec qui il était souvent en relation et dont le nom rappelait celui d'un fameux fusil jadis utilisé par l'armée française, se permit durant les années 1970 de lui subtiliser sans vergogne un magnifique tableau vénitien signé d'un grand artiste, une œuvre qui vaudrait aujourd'hui dans les 150 millions de francs, qu'il alla derechef vendre à son insu à Londres pour 500 000 FF. Ce vieux grigou d'expert eut bien entendu droit à une satanée séance d'engueulade lorsqu'il revint remettre cette somme ridicule à notre homme qui a toujours conservé en souvenir le cadre de cette huile exceptionnelle.
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Vendredi 27 juillet, ouverture tardive du marché aux Puces de Saint-Ouen où il n'y a vraiment rien de valable à chiner. Le mois d'août sera certainement pire. Durant l'après-midi, petite conversation téléphonique avec un courtier en tableaux qui a pris ses quartiers du côté de Saint-Tropez pour l'été. Il m'apprend que François Pinault est en croisière du côté de la Corse et que le temps est superbe. A Paris, il fait lourd et l'orage qui commence à gronder s'apprête à déverser des flots diluviens. Vivement la rentrée ! Samedi 28 juillet, Michael dit «le puits de science» est totalement déconfit. Cela faisait plus de trois ans qu'il avait travaillé comme un entomologiste sur deux dessins faisant pendants qui représentaient le retour du Grand Prix à Longchamp et qui avaient tout pour être de la main d'Edouard Manet. Ses convictions ont été néanmoins balayées en quelques minutes par Daniel Wildenstein qui n'a guère vu la patte de l'artiste dans ces dessins. Et pourtant, il y avait tant d'analogies entre ces croquis et les oeuvres reconnues de l'artiste que tout laissait croire qu'ils étaient authentiques. Seulement voilà, le verdict a été négatif et irréversible car il n'y a qu'une seule autorité au monde pour délivrer un jugement au sujet de Manet. Michael n'en revient toujours pas et a un mal fou à surmonter ce revers d'autant plus qu'il s'est déjà vu refuser récemment quelques autres trouvailles qui lui auraient assuré de beaux jours à l'abri du besoin. En ce qui le concerne, les vacances semblent mal engagées. Déjeunant en compagnie de Chester Fielx, Michael semble vraiment sonné et ne cesse de ruminer cet échec tout en suggérant machinalement que Wildenstein n'aurait peut-être plus de bons yeux. Il n'y a rien d'autre à dire sinon que ce dernier est incontournable, bonne vue ou pas. «Ne t'en fais pas. C'est le propre de tout chineur d'être confronté à des désillusions. Bientôt, tu te rattraperas. C'est sûr ! », lui dit Chester d'un ton compatissant. Dimanche 29 juillet, rencontre au marché Dauphine avec un ponte du marché de l'art qui au fil de notre conversation me raconte quelques anecdotes croustillantes au sujet de certains experts pas très clairs qui ne sont heureusement plus de ce monde. L'un d'eux, avec qui il était souvent en relation et dont le nom rappelait celui d'un fameux fusil jadis utilisé par l'armée française, se permit durant les années 1970 de lui subtiliser sans vergogne un magnifique tableau vénitien signé d'un grand artiste, une œuvre qui vaudrait aujourd'hui dans les 150 millions de francs, qu'il alla derechef vendre à son insu à Londres pour 500 000 FF. Ce vieux grigou d'expert eut bien entendu droit à une satanée séance d'engueulade lorsqu'il revint remettre cette somme ridicule à notre homme qui a toujours conservé en souvenir le cadre de cette huile exceptionnelle.
Cet expert n'en était pas d'ailleurs à son premier coup tordu puisque à la même époque, il avait vendu aux enchères une œuvre de Poussin pour le compte d'un chineur qui, lorsque le tableau fut revendu cinq fois plus cher en vente quelques mois plus tard, découvrit avec stupeur que ce monsieur pas très honnête en était le vendeur… Peu avare de confidences, le marchand me narre ensuite en détail les frasques de cet autre expert spécialisé en tableaux modernes qui passa ses dernières années à émettre sans honte des certificats d'authenticité pour des œuvres douteuses en échange de certaines sommes qu'il refilait à ses bonnes une fois qu'elles acceptaient de se mettre nues devant lui. Sacré vieux satyre ! Je me permets d'ajouter que cet expert en vue eut une attitude peu honorable lors de l'occupation allemande et qu'il fut étroitement mêlé à un vol de tableaux provenant d'une grande collection durant les années 1960. Il n'en reste pas moins que les casseroles qu'il traînait derrière lui ne l'empêchèrent nullement de continuer à faire autorité sur certains peintres jusqu'à sa mort… Toujours aussi volubile, mon interlocuteur évoque également d'Alexandre Ananoff, l'expert de Boucher aujourd'hui déconsidéré, et un certain M. de B., un personnage redoutable et honni qui inonda le marché de nombreux faux durant plusieurs années. Ce dernier fit notamment croire qu'il était en possession d'un exceptionnel modello de Vinci qu'il essaya de fourguer pour plusieurs dizaines millions de francs mais au vu de la somme demandée, il ne parvint pas à attraper un quelconque gogo dans ses filets. Les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Hier Michael pleurait, aujourd'hui il jubile comme un môme découvrant son cadeau de Noël après avoir chiné aux Puces de Saint-Ouen un tableau peint par un grand peintre impressionniste américain. Jean qui rit et Jean qui pleure, voilà à quoi peut s'identifier tout bon chineur. Il n'y a en réalité pas de loi pour faire des découvertes sinon avoir de la chance et du flair et à cette occasion, Michael a eu du nez en déchiffrant d'emblée la signature illisible de cet artiste aujourd'hui très recherché. Finalement, les vacances se présentent sous de meilleurs auspices. Comme quoi, il ne faut jamais désespérer… Dîner avec Chester Fielx qui me révèle qu'un des membres du Club des Rêveurs Anonymes de Drouot (CRAD) a découvert une terre cuite de Gauguin qui serait sur le point d'être reconnue authentique par l'Institut Wildenstein. Un déjeuner rassemblant les membres du CRAD pourrait bien avoir lieu à la rentrée au restaurant «Le Petit Riche» pour fêter l'événement. Affaire à suivre... En attendant, Chester repart au Luxembourg puisqu'il n'y a plus rien à chiner à Paris puis il ira se reposer dans le Midi avant d'aller hanter la foire de Lille le premier dimanche de septembre. Trouvera-t-il un nouvel autoportrait de Corot parmi les quelque 10 000 participants de cette gigantesque manifestation ? Ce serait là plutôt incroyable.
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