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Banane flambée, crème brûlée ou fouettée, oeufs battus en neige, etc... L'alimentation devrait porter plainte pour maltraitance de la part des humains (AD)
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
VIIIème Chapitre
AMSTERDAM DE PETITE VERTU…
01 Mai 2001 |
Escapade hors de France et lèche-vitrines (c'est le cas de le dire) à Amsterdam ce mardi 8 mai après une escale à Anvers où lors d'une halte chez Ginotti, un grand spécialiste de l'horlogerie de collection, j'ai été émerveillé par une extraordinaire montre en platine à tourbillon signée de F.P Journe, un génie de la mécanique de précision. Cette superbe pièce de collection m'a été proposée pour un prix d'environ 400 000 FF, une somme qui me met d'emblée hors jeu. Dommage… Visite obligée au Stedelijk Museum et coup de foudre brutal pour Karel Appel puisque voilà que je fonds subitement en larmes devant un triptyque intitulé «Arbre et Nuages» de 1990, une sensation incroyable comparable à celle seulement éprouvée jusqu'à présent devant les œuvres de Rembrandt, l'unique artiste qui m'ait fait pleurer sans raison. Sur le coup, je me mets à comprendre que le maître du mouvement CoBRA s'avère être un virtuose et un magicien de la couleur, un poète à la fois lyrique et agressif, un artificier hors pair pour faire exploser les tonalités là où il faut.
Bref, ce bougre d'artiste hollandais m'a drôlement remué sur l'instant mais après être sorti du musée, ma nouvelle félicité s'est quelque peu atténuée en me promenant en ville, puisque je me suis aperçu que les œuvres de Appel se trouvaient carrément à la pelle dans plusieurs galeries d'art. Appel au peuple, Appel à témoin, Appel à tarte, Appel strudel, Appel de la forêt, cour d'Appel, Appel-mêle, l'artiste chéri d'Amsterdam a plutôt tendance à se transformer en Appeldam. Bien que happé par Appel, j'ai cependant regretté au passage qu'il ait été si prolifique et aussi malheureusement inégal dans sa production. Finalement, mes plus belles larmes restent réservées pour Rembrandt, de loin mon peintre préféré.
N'empêche, ce que j'ai pu ressentir pour les œuvres d'Appel montrées au musée a été proprement stupéfiant et ce, sans nul besoin d'une séance de fumette dans un de ces fameux coffee-shops amstellodamois afin de pouvoir planer face aux grands formats ébouriffants de ce digne héritier d'Appelles, le peintre favori d'Alexandre le Grand. Le spectacle des œuvres de Malévitch et de Mondrian, intenses et historiques par leur modernité, aura été un autre moment sublime vécu au Stedelijk. De quoi rester coi devant ces chefs d'œuvre de l'avant-garde du XXe siècle et indécis quant à savoir lequel de ces deux peintres est le plus important bien que le Russe semble avoir été plus audacieux dans sa démarche. Visite au Musée Van Gogh (prononcez Van Rore) pour admirer des toiles pathétiques et audacieuses de ce cher Vincent qui n'eut guère la chance de devenir mythique de son vivant. Le pauvre homme se retournerait dans sa tombe en apprenant de quelle manière on l'encense aujourd'hui.
J'avoue que l'hommage incroyable qu'on rend aujourd'hui à Van Gogh est dérangeant mais c'est l'occasion de redécouvrir ses évolutions à partir de 1885 après qu'il eut produit des tableaux sombres et misérabilistes montrant surtout des paysans et surtout de retenir les influences subies, notamment celles de Millet, Daubigny, Gauguin, Cézanne ou Monet.
Le moment fort pour les visiteurs me paraît être l'envolée de ce tourmenté de Vincent vers les couleurs éclatantes et libérées à partir d'un tableau réalisé lors de son passage à Anvers peu avant son arrivée à Paris. Les tableaux de la période qui va de 1885 à la mort de l'artiste représentent alors tous un superbe régal pour les yeux, comme cette toile montrant deux personnages dans un jardin, peinte dans la région parisienne avant les oeuvres produites à Pont Aven ou à Arles où Van Gogh sombra progressivement dans la folie pour finir ensuite par se suicider à Auvers en se demandant peut-être s'il n'avait pas fait fausse route. Un autre moment sublime a été l'exposition consacrée aux Impressionnistes au sous-sol du musée avec des œuvres magistrales de Monet ou Degas. Un plaisir rare, une dégustation de premier choix pour le regard et une bonne dose de palpitations devant chaque tableau. De quoi se saouler pour le reste du mois de mai. Le soir, promenade dans le quartier chaud de la ville que je baptiserai volontiers du nom d'Amsterdam de petite vertu. Des vitrines à perte de vue dans des rues longeant les canaux à quelques mètres de maisons bourgeoises où les habitants se font un honneur d'étaler leurs trésors devant leurs fenêtres sans trop craindre de susciter les convoitises de gens mal intentionnés. Il y a là quelque chose de déroutant et de malsain à voir ces filles pratiquement nues se déhanchant de façon obscène dans ces cages vitrées sous le halo de néons rouges blafards tout en aguichant les passant à coups de clins d'œil immédiatement traduisibles. Des Ghanéennes, des Nigérianes, des Hollandaises, des Indonésiennes ou encore des filles de l'Est qui, elles, paraissent avoir tout juste dix-huit ans. Il y en a pour tous les goûts mais le spectacle semble particulièrement dérangeant. Aujourd'hui, la légendaire Amsterdam du XVIIe siècle ne semble plus être qu'une vague et lointaine suggestion qui cependant se matérialise parfois dans quelques quartiers avec ces tintements des cloches des églises qui rythment des heures plutôt indolentes. Certaines rues sont désertes toute la journée alors que d'autres, notamment près de la gare, des musées et des centres commerciaux, grouillent de monde. Par moments, on a vraiment l'impression de revenir 300 ans en arrière mais le plus souvent on est rappelé aux réalités d'aujourd'hui avec ces dealers et ces junkies qui hantent certains endroits et ces nombreux types de tous âges qui fument un pétard assis nonchalamment à la terrasse d'un café, ce qui fait qu'Amsterdam est comme plusieurs cités en une, propre à certains endroits et sale ailleurs, suant parfois l'urine dans quelques ruelles. Mercredi 9 mai, visite à l'Amstelkring, une maison du XVIIe siècle qui abritait en fait une église cachée à la vue de tous suite à l'Edit de 1661 interdisant la pratique au grand jour du culte catholique. Une plongée garantie dans le XVIIe siècle avec ces pièces restées en l'état, ces tableaux de de Witte et d'autres peintres comme van der Werff, ces escaliers vertigineux, ces dédales de couloirs et ces dallages de marbre noir et blanc qui nous font un instant revivre le passé glorieux de la ville de Rembrandt. Détour au marché aux puces de Waterloo Plein, mais on ne trouve malheureusement que de la drouille à perte de vue, avant de repartir en promenade dans la rue des antiquaires de la rue Spiegel où les prix affichés ont de quoi dissuader et dégoûter n'importe quel chineur prêt à acheter quelque chose coûte que coûte. Après des kilomètres de marche incessante qui ont eu de quoi me raidir les mollets et les cuisses, retour vers la France avec un arrêt à Bruxelles pour un dîner sur la Grand-Place, un lieu merveilleux qui manque à Paris depuis l'incendie de l'Hôtel de Ville en 1871 et la destruction de maisons qui l'entouraient pour percer la rue de Rivoli et déplacer au passage la Tour Saint-Jacques.
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