| | Citation |
| | |
|
Un conquérant se prend pour un con qui s'adore...
|
|
|
|
Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IVème Chapitre
DROUOT AU PLUS HAUT
01 Décembre 2000 |
Cet article se compose de 2 pages.
1
2
|
Bonne nouvelle, Drouot a amélioré ses ventes d'art en l'an 2000 avec un produit total de 3,55 milliards de francs, soit une augmentation de 14% par rapport à 1999. Ce résultat est toutefois bien loin d'égaler ceux enregistrés par les mastodontes des ventes que sont Christie's et Sotheby's et l'on se pose maintenant la question de savoir s'il ne s'agit pas du dernier feu d'artifice tiré par les ommissaires-priseurs parisiens avant la réforme de leur profession qui permettra aux maisons anglo-saxonnes d'organiser des ventes à Paris. Par ailleurs, les indicateurs économiques ont été plutôt mauvais au dernier trimestre de l'an 2000 et les analystes craignent une récession aux Etats-Unis. Celle-ci pourrait de ce fait entraîner une baisse de l'activité du marché de l'art lequel a été en grande partie dopé par les bons résultats boursiers enregistrés jusqu'à l'été dernier. Il va sans dire qu'une débandade guettera les commissaires-priseurs au moment de cette fameuse réforme alors que certains d'entre eux, notamment PIASA, Tajan ou Poulain-Le Fur, n'ont pas attendu le naufrage de la grande barque de Drouot pour prendre les devants en nouant des partenariats avec les grandes maisons de vente que sont Christie's, Sotheby's ou Phillips. A la fin de 2001 donc, on risquera de ne plus évoquer pour Drouot un produit de ventes en augmentation du fait que près de la moitié des études auront peut-être disparu, à moins que celles qui resteront en place seront parvenues à s'organiser entre-temps pour maintenir le cap mais en attendant, les locaux de Drouot subiront des transformations qui freineront probablement le rythme des ventes. On peut noter également que la moyenne d'âge des commissaires-priseurs a plutôt tendance à augmenter puisque la plupart ont plus d'une vingtaine d'années d'activité derrière eux, ce qui signifie tout bêtement que la profession verse dans la catégorie des pré-retraités et qu'elle ne bénéficie pas d'un apport suffisant de sang neuf. Pour l'instant néanmoins, les vieux de la vieille tiennent bien le coup mais dans une dizaine d'années, ils seront bien moins nombreux à pouvoir manier le marteau tandis que la réforme aura surtout bénéficié à des entités commerciales organisées à l'anglo-saxonne et dont les méthodes de travail seront bien plus agressives que celles, vraiment plus classiques, des commissaires-priseurs actuels. Les vieux briscards qui auront rejoint ces sociétés devront s'adapter à leurs conceptions du métier et revoir quelque peu leur copie tandis que les jeunes seront obligés de changer immédiatement de costume pour répondre aux demandes de leurs nouveaux employeurs. Voilà donc de sacrés changements en perspective… Je n'ai mis les pieds à Drouot qu'une dizaine de fois durant l'année après avoir ressenti depuis belle lurette que les bonnes surprises devenaient trop rares en ce lieu qui ressemble de plus en plus à un casino. On y vient pour s'offrir le lot qu'on convoite et on se retrouve pris dans une spirale d'enchères qui nous fait dépasser la limite du raisonnable. Souvent, on en ressort alors avec la sensation d'avoir été frustré lorsqu'on a rien pu acheter ou avec le sentiment d'avoir fait une connerie si on a acquis un truc payé au double du prix qu'on s'était fixé. Il fut un temps où on réalisait de superbes affaires à Drouot. Je veux parler de la période entre 1965 et 1985 jusqu'au moment où la «Gazette de l'Hôtel Drouot» s'étoffa, où les commissaires-priseurs daignèrent enfin faire de la publicité et où de nombreux guides sur les divers domaines de l'art furent publiés pour permettre aux amateurs de parfaire leurs connaissances et d'avoir une meilleure idée des prix de l'art.
|
|
Bonne nouvelle, Drouot a amélioré ses ventes d'art en l'an 2000 avec un produit total de 3,55 milliards de francs, soit une augmentation de 14% par rapport à 1999. Ce résultat est toutefois bien loin d'égaler ceux enregistrés par les mastodontes des ventes que sont Christie's et Sotheby's et l'on se pose maintenant la question de savoir s'il ne s'agit pas du dernier feu d'artifice tiré par les ommissaires-priseurs parisiens avant la réforme de leur profession qui permettra aux maisons anglo-saxonnes d'organiser des ventes à Paris. Par ailleurs, les indicateurs économiques ont été plutôt mauvais au dernier trimestre de l'an 2000 et les analystes craignent une récession aux Etats-Unis. Celle-ci pourrait de ce fait entraîner une baisse de l'activité du marché de l'art lequel a été en grande partie dopé par les bons résultats boursiers enregistrés jusqu'à l'été dernier. Il va sans dire qu'une débandade guettera les commissaires-priseurs au moment de cette fameuse réforme alors que certains d'entre eux, notamment PIASA, Tajan ou Poulain-Le Fur, n'ont pas attendu le naufrage de la grande barque de Drouot pour prendre les devants en nouant des partenariats avec les grandes maisons de vente que sont Christie's, Sotheby's ou Phillips. A la fin de 2001 donc, on risquera de ne plus évoquer pour Drouot un produit de ventes en augmentation du fait que près de la moitié des études auront peut-être disparu, à moins que celles qui resteront en place seront parvenues à s'organiser entre-temps pour maintenir le cap mais en attendant, les locaux de Drouot subiront des transformations qui freineront probablement le rythme des ventes. On peut noter également que la moyenne d'âge des commissaires-priseurs a plutôt tendance à augmenter puisque la plupart ont plus d'une vingtaine d'années d'activité derrière eux, ce qui signifie tout bêtement que la profession verse dans la catégorie des pré-retraités et qu'elle ne bénéficie pas d'un apport suffisant de sang neuf. Pour l'instant néanmoins, les vieux de la vieille tiennent bien le coup mais dans une dizaine d'années, ils seront bien moins nombreux à pouvoir manier le marteau tandis que la réforme aura surtout bénéficié à des entités commerciales organisées à l'anglo-saxonne et dont les méthodes de travail seront bien plus agressives que celles, vraiment plus classiques, des commissaires-priseurs actuels. Les vieux briscards qui auront rejoint ces sociétés devront s'adapter à leurs conceptions du métier et revoir quelque peu leur copie tandis que les jeunes seront obligés de changer immédiatement de costume pour répondre aux demandes de leurs nouveaux employeurs. Voilà donc de sacrés changements en perspective… Je n'ai mis les pieds à Drouot qu'une dizaine de fois durant l'année après avoir ressenti depuis belle lurette que les bonnes surprises devenaient trop rares en ce lieu qui ressemble de plus en plus à un casino. On y vient pour s'offrir le lot qu'on convoite et on se retrouve pris dans une spirale d'enchères qui nous fait dépasser la limite du raisonnable. Souvent, on en ressort alors avec la sensation d'avoir été frustré lorsqu'on a rien pu acheter ou avec le sentiment d'avoir fait une connerie si on a acquis un truc payé au double du prix qu'on s'était fixé. Il fut un temps où on réalisait de superbes affaires à Drouot. Je veux parler de la période entre 1965 et 1985 jusqu'au moment où la «Gazette de l'Hôtel Drouot» s'étoffa, où les commissaires-priseurs daignèrent enfin faire de la publicité et où de nombreux guides sur les divers domaines de l'art furent publiés pour permettre aux amateurs de parfaire leurs connaissances et d'avoir une meilleure idée des prix de l'art.
Ensuite, on a pris conscience que le réservoir des œuvres d'art s'était diablement tari et que les bonnes pièces étaient devenues alors plus difficiles à trouver, ce qui a fait que les prix ont grimpé dans tous les domaines et que l'on se rabat maintenant sur l'art contemporain où les enchères sont de plus en plus conséquentes. Voilà pourquoi les amateurs sont aujourd'hui comme des affamés mais à tout prendre, il vaut mieux acheter chez des brocanteurs, dans des foires et dans les marchés aux puces qu'à Drouot où l'on assiste à de véritables bagarres d'enchères propres à susciter des crises de nerfs. Il n'en reste pas moins qu'il est devenu plus difficile de trouver de bonnes choses aux Puces de Saint-Ouen depuis que les marchands ont fini par comprendre que leurs confrères venaient avant tout le vendredi matin pour les égorger. Ce samedi 30 décembre, un marchand de Paul Bert me révèle ainsi qu'il met désormais en salle de vente tout ce qu'il trouve de «bandant» dans des adresses. «Les acheteurs du vendredi sont là pour faire un coup. Après avoir appris qu'une verseuse japonaise que j'avais vendue pour trois fois rien au déballage a fait trente briques en vente, j'ai décidé de ne plus amener de marchandise exceptionnelle aux Puces», me dit-il d'un air entendu. Le marchand ajoute qu'un jour il a déballé un pare-feu de Brandt pour lequel on ne lui avait offert que 20 000 FF alors qu'en l'ayant mis en vente, il atteignit 150 000 FF. Une autre fois, ce fut une table Art Déco qu'il faillit vendre pour des prunes avant de se décider à la passer à Drouot où elle fut adjugée pour 200 000 FF. «Tiens, un jour, j'ai amené un meuble strasbourgeois du XVIIIe et ces clowns sont venus s'agglutiner autour pour finalement me le dénigrer. Pendant qu'ils discutaillaient en trouvant que telle ou telle pièce semblait rapportée, un marchand belge est venu me trouver pour me demander ce que j'en voulais. Je lui ai répondu : 80 000 et il m'en a offert 65 000. J'ai accepté et dit aux autres que le meuble était vendu. Eh bien, tu ne le croiras pas, ceux-ci ont couru derrière le Belge pour lui racheter ce meuble !», me dit-il en rigolant. «Une autre fois, j'ai amené un meuble-vitrine du XVIIIe siècle qu'un marchand de Serpette a voulu voir au fond de ma camionnette. Il s'est montré intéressé mais en lui annonçant que j'en désirais 10 000 FF, il s'est mis à me dire qu'il pensait que ce meuble était bidouillé. Je lui ai alors répondu qu'il n 'était pas question de baisser le prix, bidouillé ou pas. Le lendemain, en téléphonant à ma femme, je me suis appuyé sur le meuble et j'ai remarqué alors qu'il portait au dos une grosse estampille. J'ai brutalement interrompu ma conversation pour l'examiner de plus près. Il s'agissait de celle de Bircklé, un grand ébéniste du XVIIIe ; ce qui signifiait que ce meuble était finalement nature… La semaine d'après, un marchand m'a offert 35 000 FF pour ce meuble que j'ai donc revendu en faisant un bénéfice inespéré. Je te le répète, ceux qui prennent les stands d'assaut le vendredi matin sont tous des vautours et je ne suis pas le seul ici à avoir décidé de mettre le meilleur de ma marchandise dans les salles de vente», me souligne-t-il d'un air plus que satisfait.
|
|