Le journal d'un fou d'art

Vendredi 16 janvier 2009, petit tour matinal au marché aux Puces de Saint-Ouen transformé depuis des semaines en véritable nécropole des brocanteurs après des semaines de disette. Les rares brocanteurs qui ont ouvert leurs stands en ce matin bien humide, n'ont pu que se lamenter sur leur triste sort en signalant que leur mince espoir de vendre au moins quelque chose était de sortir quelques pièces rares mises chez eux à l'abri en prévision de leurs vieux jours.

"J'avais mis de côté la crème de ce que j'avais chiné durant des années dans le but de border ma retraite mais ce que j'ai en boutique étant devenu invendable, j'ai dû me résoudre à sortir ce que j'avais de mieux dans l'espoir de faire enfin des ventes en sachant que je vais faire des sacrifices sur les prix", a souligné un marchand du marché Paul Bert, ce à quoi son voisin lui a répondu que logé à la même enseigne, il allait devoir mettre en vente un magnifique tableau de Jackson Pollock, un projet problématique du fait qu'il n'y a plus d'expert patenté pour cet artiste et qu'en conséquence, une maison de vente n'a estimé prudemment cette oeuvre monumentale qu'à environ 300 000 euros alors que muni d'un certificat d'authenticité, son estimation dépasserait les 15 millions. "Je vais être obligé de vendre ce Pollock à contrecoeur car je ne fais plus rien depuis des semaines mais rien ne dit qu'il sera adjugé sans ce fameux certificat", a-t-il ajouté un brin inquiet.

Samedi 17 janvier 2009, discussion avec un brocanteur du marché de Vanves spécialisé dans les tableaux anciens. Lui aussi n'a plus fait de recette depuiis trois semaines pour se retrouver finalement à court de liquidités et dans l'incapacité de pouvoir payer l'intégralité d'un tableau du XIVe siècle réservé auprès d'un collectionneur. Trouver des clients en cette période de crise qui a tant semé le doute dans les esprits est devenu un problème lancinant d'autant plus que les brocanteurs ont été de plus en plus nombreux à éprouver des difficultés pour faire face à leurs charges au point de devoir puiser dans leurs réserves pour ne pas couler.

Petit tour sur E-Bay où un annonceur basé à Bruxelles a mis en vente un soi-disant autoportrait de Vincent Van Gogh. Prix de départ: 8 millions d'euros, pas moins et ce, sans certificat d'authenticité. Affublé du pseudo de bizounours, le vendeur a fixé la fin des enchères au 24 janvier et si jamais un acheteur se manifestait, celui-ci aurait à payer 5000 euros de frais d'envoi, ce qui finalement serait une paille en regard du prix d'adjudication. Il y a eu fort à parier que ce cher bizounours aura passé sept jours à attendre en vain une enchère pour son autoportrait de Van Gogh montré les cheveux en bataille et arborant une mine déterminée propre à le faire ressembler au cycliste Rick Van Looy avant le départ de Paris-Roubaix. Il est vrai que l'artiste maudit connut l'enfer des pavés des Flandres en essayant, de porter la bonne parole de l'Evangile, à pied et non à vélo, aux mineurs qui le prirent carrément pour un illuminé. Pour le reste, le dénommé bizounours, aura eu certainement le droit quant à lui d'endosser le maillot jaune des vendeurs déjantés d'E-Bay...

Autre prétendu Van Gogh sur le site de vente, cette fois-ci un paysage avec une chaumière signé Vincent dont le vendeur américain a précisé devoir s'en séparer pour cause de problèmes financiers- la crise a donc bien fait des ravages outre-Atlantique- tout en le proposant à un faible prix de départ, ce qui lui a permis d'enregistrer quelques enchères de rêveurs pour atteindre 1150 dollars à trois jours de la fin de la vente. Là, le dernier enchérisseur aura eu au moins la certitude de n'avoir pas affolé les compteurs en déboursant une somme de seulement 4 chiffres pour s'offrir la croûte d'un de ces redoutables envahisseurs de la planète art qui a eu le chic de plagier le pauvre M. Vincent avec un pinceau bizarrement tordu.

On aurait pu croire que la crise servirait enfin à mettre un terme à certains excès sur le marché de l'art mais ce Van Gogh bizarre proposé à un prix démentiel de 8 millions d'euros a prouvé qu'il n'a en rien été et pour en rajouter une couche, il y a eu en soirée une vente aux enchères organisée à Saint-Pétersbourg au cours de laquelle a été vendu à une galerie locale pour la somme folle de 860 000 euros un tableau représentant la fenêtre d'une maison décorée d'un drapeau ukrainien, peint en un quart d'heure par Vladimir Poutine, plus connu pour sa politique brutale et son art des intrigues.

Ainsi, la gloire artistique de Poutine a subitement dépassé celle d'Adolf Hitler auquel une galerie berlinoise aurait dû contre vents et marées offrir un contrat dans les années 1910, ce qui aurait évité au monde de vivre ses heures les plus sombres 30 années plus tard. Certes, Poutine a été encore bien loin de dépasser le tristement célèbre Führer dans l'horreur mais tenter de faire de lui une icône de l'art  aurait de quoi montrer au passage que la crise n'a aucunement empêché le monde de marcher sur la tête.

Il y avait déjà eu Néron pour se proclamer artiste mais maintenant d'autres leaders pourraient se décider à suivre l'exemple de Poutine histoire déjà de se faire une cagnotte pour leur retraite. On se demanderait alors pourquoi Sarkozy ne ferait pas usage à son tour des tubes pour colorier des toiles d'autant plus que son épouse ne s'est pas privée de continuer à en sortir dans le domaine de la musique...