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Ne rien dire, c'est se taire. Se taire, c'est passer la vérité sous silence... (A.D)
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
XXIIIème Chapitre
Dérapages
01 Avril 2005 |
Cet article se compose de 4 pages.
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Autre dérapage, cette fois au détriment du patrimoine, la vente aux enchères le 14 mai 2005 dans le Maryland des archives personnelles du peintre Renoir, notamment ses certificats de naissance et de mariage, des lettres écrites à sa femme, à des amis ou des marchands, ses notes concernant ses oeuvres et ses ventes, ses albums de photographies, sa Légion d'honneur, ses lunettes, des dessins et plus de 50 plaques lithographiques originales, en tout quelque 135 lots estimés au total à environ 350 000 dollars. Fondée en 1994, la petite maison de vente Hantman, située à Rockville dans la banlieue de Washington, s'est donc retrouvée sous les feux de l'actualité du marché grâce à ces archives qui appartenaient à Paul Renoir, un des trois petits-fils du maître de l'Impressionnisme. Fils de Claude dit "Coco", le plus jeune enfant du peintre, Paul Renoir était parti vivre aux Etats-Unis à la fin des années 1990 à la suite de problèmes avec le fisc. Ayant subitement eu à faire face à une levée de boucliers de la part de plusieurs défenseurs du patrimoine français, la directrice de Hantman's a expliqué que Paul Renoir, mort au début de l'année 2005, avait confié cette collection à la vente en 2004 et qu'elle avait quand même pris la peine d'alerter des musées de l'Hexagone pour les inciter à l'acheter. L'affaire a fait grand bruit à Paris alors que selon le journal "Le Figaro", le Quai d'Orsay aurait souhaité garder le secret afin de ne pas faire trop monter les enchères durant la vente pour permettre ainsi au Musée d'Orsay de jouer sa carte. Le ram-dam fait autour de cette vacation aura désormais attiré tous les amateurs de souvenirs qui n'auront pas résisté à l'envie de s'offrir les reliques de Renoir et surtout ces plaques lithographiques dont quelques petits malins pourraient se servir pour diffuser des retirages illictes sur le marché. Samedi 14 mai 2005, un dénommé Nicolas Flamel, peintre de son état, s'est offert le luxe de mettre en vente une de ses œuvres sur le site E-Bay pour la somme incroyable de 210 000 euros. Mort en 1418, le célèbre Nicolas Flamel, juré à l'Université de Paris, était réputé pouvoir transmuer le plomb en or. Le petit farceur qui s'est affublé de son nom a ainsi pensé pouvoir faire de même avec sa croûte. A ce tarif là, aucun gogo n'aura mordu à l'hameçon mais en attendant, ce Nicolas Flamel bis mais de pacotille se sera offert une belle tranche de pub tout en ayant pris le risque de recevoir une demande d'explication de la part des agents du fisc qui surfent de plus en plus sur E-Bay pour traquer ceux qui font du commerce en chambre. Vu son style de peinture, mélange de tout et rien, on doute que le sieur Flamel fera des flammes dans le milieu de l'art, surtout sans l'aide d'un galeriste faiseur de miracles. N'est pas Warhol ou Koons qui veut car tout artiste qui désire atteindre la célébrité se doit avant tout de travailler à fond les techniques de la persuasion. Menant sa tribu de collaborateurs au doigt et à la baguette tel le gourou d'une secte, Warhol avait su admirablement y faire pour séduire Leo Castelli et l'hypnotiser au point que ce pape de l'art contemporain se retrouva transformé comme un toutou cédant à ses caprices de star. Certes, Andy avait des idées géniales et un art consommé pour les appliquer et les transformer en œuvres mythiques. Mais pour ce faire, il avait d'abord débroussaillé le terrain pour devenir incontournable en régnant sur le New York branché. A Paris, il aurait fallu être un Edern Hallier de l'art pour remuer les choses et peut-être qu'Yves Klein serait parvenu à atteindre la stature de Warhol s'il n'était pas mort trop tôt. En tout cas, Klein était un as de la communication et un roi du happening qui savait étonner les foules en allant jusqu'à faire se rouler sur des toiles des filles nues couvertes de peinture fraîche. Jusqu'à présent, aucun artiste français ayant le don d'aller dans la démesure n'a été apte lui succéder. Too bad. Paris s'est avachi en devenant has-been, Saint-Germain-des-Prés a encore plus vieilli que Denise René tout en perdant de son âme et les musées de la capitale attirent plus les étrangers que les autochtones. Résultat: la France est de plus en plus à la traîne dans le domaine de l'art contemporain. Vendredi 20 mai 2005, les brocanteurs du marché aux Puces de Saint-Ouen ont continué à manger leur pain noir comme leurs aînés après la crise pétrolière de 1973. Toujours pas d'acheteurs américains dans les parages et surtout pas de marchandise valable dans les stands. L'air un peu perdu, le galeriste Charles Bailly a erré en vain dans les allées de Paul-Bert et de Serpette à la recherche d'une toile intéressante à ramener avant de dire d'un ton désolé que la crise durait un peu trop longtemps à son goût. Dans l'après-midi, un grand antiquaire m'a appelé pour me révéler que nombre de ses confrères avaient de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. "Hier à New York, un grand marchand n'a pas réussi à se décloquer de ses nanars. C'est triste et grotesque d'en arriver là. Quant à moi, je suis presque au bord du gouffre mais j'essaie de m'accrocher tout en évitant le ridicule", a-t-il ajouté. La petite guerre qui oppose certains grands marchands à l'heur de faire rire sous cape certains grands collectionneurs qui parfois ne se privent pas de les appeler pour les titiller et mettre ainsi de l'huile sur le feu. Ca donne ensuite de ma matière pour alimenter les causeries dans les grands dîners où il doit y avoir pas mal d'escargots au menu car Dieu sait si ça bave fort parmi les convives...
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Depuis le début du premier semestre de 2005, le milieu de l'art a paru de plus en plus mal en point après s'être offert une impressionnante série de dérapages qui ont fait les choux gras de la presse. Venu visiter le Palais Grassi de Venise qu'il a acquis pour y loger une partie de sa belle collection d'art contemporain, François Pinault n'a pas loupé l'occasion de fustiger les lenteurs de l'administration qui l'ont fait renoncer à son mirifique projet de fondation sur l'île Seguin. Au même moment, un mandat d'arrêt a été lancé à l'encontre de Charles Debbasch, ancien doyen de la faculté de droit d'Aix-en-Provence, condamné par la cour d'appel de cette ville à deux ans d'emprisonnement, dont un ferme, pour le « pillage systématique » de l'œuvre du peintre Victor Vasarely qui l'avait chargé en 1981 de diriger une fondation portant son nom. Conseiller du gouvernement togolais, Debbasch, 67 ans, n'a pas désiré quitter Lomé pour se retrouver dans le lit peu douillet d'une cellule et a décidé de se pourvoir en cassation en dénonçant au passage un déni de justice. A Nanterre, le Conseil Général des Hauts de Seine a souhaité mettre un terme au projet de création de la Fondation Hamon après avoir refusé depuis plusieurs mois de payer un loyer annuel de 120 000 euros pour l'entretien des 192 œuvres qu'elle devait abriter. Le collectionneur et entrepreneur Jean Hamon avait décidé en 2001 de faire don de ces œuvres en échange de la création de la fondation sur l'île Saint-Germain à Issy les Moulineaux. Suite aux actions menée par des associations de protection de l'environnement, l'affaire a atterri en justice et conduit les enquêteurs à soupçonner des malversations financières suite à la dilapidation de quelque six millions d'euros, ce qui a valu à Jean Hamon d'être mis en examen tout comme l'ancien directeur des services du département des Hauts de Seine, Bernard Bled, et un haut fonctionnaire du Conseil Général. A Paris, on a appris que l'antiquaire Jacques Perrin avait été mis en examen le 25 avril 2005 pour faux et usage de faux dans l'affaire du secrétaire de son confrère Camille Burgi lequel avait été obligé de retirer ce meuble présenté sur son stand au Pavillon des Antiquaires du jardin des Tuileries en mars 2001 lorsque la commission d'expertise de ce salon présidée par l'antiquaire Jean-Marie Rossi l'avait jugé douteux. Camille Burgi avait constaté avec stupéfaction que la signature de Jean-Marie Rossi figurait sur le document l'avisant du retrait de ce meuble alors que ce dernier avait exposé ce même secrétaire dans sa propre galerie quelques années auparavant en ne tarissant pas d'éloges sur sa qualité et son authenticité. Jean-Marie Rossi ayant juré ses grands dieux qu'il n'avait jamais signé ce document, Camille Burgi avait alors porté plainte contre X. Très remonté, celui-ci a indiqué que le retrait de son meuble l'avait discrédité et causé un énorme préjudice au point de voir son chiffre d'affaires chuter dramatiquement au cours de ces quatre dernières années. L'affaire a été renvoyée devant le tribunal correctionnel à l'issue d'une enquête qui a démontré que Jacques Perrin avait imité la signature de Jean-Marie Rossi sur le document incriminé. L'avocat de Camille Burgi, M° Denis Giraud, a déclaré au Journal des Arts, que la décision du juge instruisant cette affaire était un premier coup porté « aux procédés occultes » de certains grands antiquaires qui ne se gênaient pas d'utiliser des moyens illégaux pour faire barrage à des concurrents. Ayant commencé comme brocanteur aux Puces de Montreuil, Camille Burgi avait gravi un à un les échelons de sa profession pour devenir un des antiquaires les plus estimés de la capitale. N'ayant cependant pas sa langue dans sa poche, ce jeune loup aux dents longues avait fini par susciter la jalousie de certains grands professionnels sans se gêner de faire savoir qu'il oserait les défier en cas de coup bas. Désormais, l'heure des règlements de comptes a sonné et risque de faire désordre dans les hautes sphères du marché. Rien ne dit cependant que Burgi gagnera son procès s'il était démontré que Jean-Marie Rossi avait délégué ses pouvoirs à d'autres membres de la commission d'expertise et laissé ainsi Jacques Perrin signer à sa place l'avis de retrait de ce meuble. Ce dernier devra toutefois expliquer pourquoi il avait cru bon d'imiter la signature de son confrère comme au temps de Louis XIV lorsque le secrétaire du roi signait moult ordres ou lettres en paraphant "Louis" au nom du monarque. A Londres, la maison de vente Bonhams a annoncé qu'elle allait vendre trois œuvres abstraites d'un peintre pas comme les autres surnommé « Congo ». Estimées à 1 200 euros chacune, celles-ci avaient été exposées dans la capitale anglaise en 1957 par l'anthropologue Desmond Morris. Au fait, « Congo » n'a rien été d'autre qu'un chimpanzé surnommé à son époque « Le Cézanne du monde des singes ». « Congo » aurait peut-être fait une grande carrière si un galeriste avait bien voulu le promouvoir sauf qu'une telle entreprise semblait plus ardue que de vendre des bananes à des gogos. Un singe ? Pourquoi pas un éléphant ? Là au moins il y avait de quoi se complaire plus facilement dans la tromperie. Par contre, un gorille aurait bien mieux fait l'affaire.Assurément, il y en a quelques uns de par la planète capables de devenir des artistes reconnus, avant tout ceux qui sont chargés de protéger des stars du cinéma, des casinos, des ministres et des politiciens en vue pour peu qu'ils désirent s'adonner à la peinture à leurs heures perdues. Il convient néanmoins de rappeler qu'au début des années 1900, le peintre René Girieud et Roland Dorgeles firent exposer au Salon des Indépendants un tableau titré "Et le soleil s'endormit sur l'Adriatique" peint par un certain Boronali (anagramme d'Aliboron). En réalité, cette œuvre abstraite et révolutionnaire pour l'époque, avait été réalisée par un âne dont la queue enduite de peinture avait servi de pinceau. On n'a cependant guère besoin de singe ou d'âne pour se moquer du monde lorsqu'on voit certaines œuvres contemporaines débiles réalisées par des artistes beaucoup moins intéressants que le dénommé Boronali atteindre des prix démentiels dans des ventes publiques. Histoire de reprendre les Marx Brothers on nage en plein « Monkey Business »…
Autre dérapage, cette fois au détriment du patrimoine, la vente aux enchères le 14 mai 2005 dans le Maryland des archives personnelles du peintre Renoir, notamment ses certificats de naissance et de mariage, des lettres écrites à sa femme, à des amis ou des marchands, ses notes concernant ses oeuvres et ses ventes, ses albums de photographies, sa Légion d'honneur, ses lunettes, des dessins et plus de 50 plaques lithographiques originales, en tout quelque 135 lots estimés au total à environ 350 000 dollars. Fondée en 1994, la petite maison de vente Hantman, située à Rockville dans la banlieue de Washington, s'est donc retrouvée sous les feux de l'actualité du marché grâce à ces archives qui appartenaient à Paul Renoir, un des trois petits-fils du maître de l'Impressionnisme. Fils de Claude dit "Coco", le plus jeune enfant du peintre, Paul Renoir était parti vivre aux Etats-Unis à la fin des années 1990 à la suite de problèmes avec le fisc. Ayant subitement eu à faire face à une levée de boucliers de la part de plusieurs défenseurs du patrimoine français, la directrice de Hantman's a expliqué que Paul Renoir, mort au début de l'année 2005, avait confié cette collection à la vente en 2004 et qu'elle avait quand même pris la peine d'alerter des musées de l'Hexagone pour les inciter à l'acheter. L'affaire a fait grand bruit à Paris alors que selon le journal "Le Figaro", le Quai d'Orsay aurait souhaité garder le secret afin de ne pas faire trop monter les enchères durant la vente pour permettre ainsi au Musée d'Orsay de jouer sa carte. Le ram-dam fait autour de cette vacation aura désormais attiré tous les amateurs de souvenirs qui n'auront pas résisté à l'envie de s'offrir les reliques de Renoir et surtout ces plaques lithographiques dont quelques petits malins pourraient se servir pour diffuser des retirages illictes sur le marché. Samedi 14 mai 2005, un dénommé Nicolas Flamel, peintre de son état, s'est offert le luxe de mettre en vente une de ses œuvres sur le site E-Bay pour la somme incroyable de 210 000 euros. Mort en 1418, le célèbre Nicolas Flamel, juré à l'Université de Paris, était réputé pouvoir transmuer le plomb en or. Le petit farceur qui s'est affublé de son nom a ainsi pensé pouvoir faire de même avec sa croûte. A ce tarif là, aucun gogo n'aura mordu à l'hameçon mais en attendant, ce Nicolas Flamel bis mais de pacotille se sera offert une belle tranche de pub tout en ayant pris le risque de recevoir une demande d'explication de la part des agents du fisc qui surfent de plus en plus sur E-Bay pour traquer ceux qui font du commerce en chambre. Vu son style de peinture, mélange de tout et rien, on doute que le sieur Flamel fera des flammes dans le milieu de l'art, surtout sans l'aide d'un galeriste faiseur de miracles. N'est pas Warhol ou Koons qui veut car tout artiste qui désire atteindre la célébrité se doit avant tout de travailler à fond les techniques de la persuasion. Menant sa tribu de collaborateurs au doigt et à la baguette tel le gourou d'une secte, Warhol avait su admirablement y faire pour séduire Leo Castelli et l'hypnotiser au point que ce pape de l'art contemporain se retrouva transformé comme un toutou cédant à ses caprices de star. Certes, Andy avait des idées géniales et un art consommé pour les appliquer et les transformer en œuvres mythiques. Mais pour ce faire, il avait d'abord débroussaillé le terrain pour devenir incontournable en régnant sur le New York branché. A Paris, il aurait fallu être un Edern Hallier de l'art pour remuer les choses et peut-être qu'Yves Klein serait parvenu à atteindre la stature de Warhol s'il n'était pas mort trop tôt. En tout cas, Klein était un as de la communication et un roi du happening qui savait étonner les foules en allant jusqu'à faire se rouler sur des toiles des filles nues couvertes de peinture fraîche. Jusqu'à présent, aucun artiste français ayant le don d'aller dans la démesure n'a été apte lui succéder. Too bad. Paris s'est avachi en devenant has-been, Saint-Germain-des-Prés a encore plus vieilli que Denise René tout en perdant de son âme et les musées de la capitale attirent plus les étrangers que les autochtones. Résultat: la France est de plus en plus à la traîne dans le domaine de l'art contemporain. Vendredi 20 mai 2005, les brocanteurs du marché aux Puces de Saint-Ouen ont continué à manger leur pain noir comme leurs aînés après la crise pétrolière de 1973. Toujours pas d'acheteurs américains dans les parages et surtout pas de marchandise valable dans les stands. L'air un peu perdu, le galeriste Charles Bailly a erré en vain dans les allées de Paul-Bert et de Serpette à la recherche d'une toile intéressante à ramener avant de dire d'un ton désolé que la crise durait un peu trop longtemps à son goût. Dans l'après-midi, un grand antiquaire m'a appelé pour me révéler que nombre de ses confrères avaient de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. "Hier à New York, un grand marchand n'a pas réussi à se décloquer de ses nanars. C'est triste et grotesque d'en arriver là. Quant à moi, je suis presque au bord du gouffre mais j'essaie de m'accrocher tout en évitant le ridicule", a-t-il ajouté. La petite guerre qui oppose certains grands marchands à l'heur de faire rire sous cape certains grands collectionneurs qui parfois ne se privent pas de les appeler pour les titiller et mettre ainsi de l'huile sur le feu. Ca donne ensuite de ma matière pour alimenter les causeries dans les grands dîners où il doit y avoir pas mal d'escargots au menu car Dieu sait si ça bave fort parmi les convives...
En soirée, rencontre avec Chester Fielx décidément toujours en veine puisqu'il a mis la main sur une toile peinte sans châssis d'un des artistes britanniques contemporains les plus recherchés. C'est en baladant simplement près de l'Hôtel Drouot que le Luxembourgeois a eu la chance de tomber sur un chineur surnommé «Rêva » qui, en manque d'assurance, lui a cédé cette œuvre à un très petit prix. Ainsi donc, après avoir déniché un étonnant autoportrait de Corot peint lorsque l'artiste avait 20 ans, le bougre n'a pas attendu longtemps pour faire à nouveau un coup susceptible de compter dans les annales de la chine à condition de parvenir à faire authentifier sa trouvaille. Là encore, il fera probablement des jaloux parmi les traîne-savate des foires qui trouvent le plus souvent des trésors qui n'en sont pas. Avoir la chance d'un Chester Fielx relève en fait pratiquement du domaine du surnaturel et certains chineurs plus malchanceux que bénis des dieux, dont les aventures picaresques ont d'ailleurs émaillé ce journal d'un fou d'art, ont eu au moins le mérite de ne plus être des inconnus par la grâce seule de leur surnom grand-guignolesque. Rendant visite à un expert durant la semaine, l'un d'eux a eu la surprise de s'entendre demander au détour d'une conversation « Machin, ce ne serait pas vous ? ». Le pauvre a failli avoir une syncope en apprenant que ses exploits et ses ratés étaient connus dans les hautes sphères du marché à croire que son surnom lui va comme un gant. Tout ou presque se sait dans le milieu de l'art, en dernier lieu notamment les bisbilles entre des antiquaires au sujet de la prochaine Biennale de Moscou où la sélection des exposants a provoqué des rancœurs parmi les exclus qui ne pourront pas s'en mettre plein les poches grâce à la folle prodigalité des riches acheteurs moscovites. Bref, les aigris ne pourront pas déployer d'incroyables ruses pour séduire les russes faute de n'avoir pas réussi à se faire accepter par les organisateurs de cette manifestation. A Vienne, les responsables du musée du Belvédère ont dû être soulagés d'apprendre que Maria Altmann, héritière d'une famille juive spoliée par les nazis avant la Seconde Guerre Mondiale, éprouverait désormais les pires difficultés à revendiquer six des plus belles toiles du peintre autrichien Gustav Klimt restées accrochées sur les murs de cette institution depuis 1938. Ces tableaux, trois paysages et trois portraits, avaient appartenu à la famille Bloch-Bauer avant d'être confisqués par les nazis. Citoyenne américaine, Maria Altmann, 89 ans, avait engagé une procédure en justice en 1998 pour les récupérer en arguant que son oncle Ferdinand avait absolument tenu à les conserver avant de mourir en 1945. Toutefois, Adèle Bloch-Bauer, dont le portrait par Klimt est considéré comme un des chefs d'œuvre de l'artiste, avait émis le souhait dans une lettre écrite en 1923 que ces six tableaux soient légués au musée mais cette dernière mourut deux ans plus tard sans que ce don pû devenir effectif. N'ayant guère apprécié la décision prise en juin 2004 par la Cour suprême des Etats-Unis de reconnaître la compétence des tribunaux américains pour examiner la plainte de Maria Altmann en justice, l'Etat autrichien, à présent propriétaire des tableaux, a argué que la lettre d'Adèle Bloch-Bauer avait valeur de testament alors que ses héritiers établis aux Etats-Unis avaient accepté dès 1945 de les laisser au musée du Belvédère contre la récupération d'autres biens dont ils avaient été dépossédés. Peu soucieux cependant de s'embarquer dans une procédure contre un pays allié et de laisser la porte ouverte à d'autres revendications de la part de victimes de la Shoah, le gouvernement américain a finalement préféré faire pression sur Maria Altmann pour qu'elle accepte de se soumettre à un arbitrage à l'amiable en Autriche. Il reviendra donc à un tribunal autrichien de décider si oui ou non ces tableaux pourront rester au Belvédère et cette idée n'a pas été pour déplaire aux responsables de ce musée qui ont quand même oublié que le legs désiré par Adèle Bloch-Bauer s'était transformé en saisie abusive. Faire plaisir aux Autrichiens est une chose, les voir se poser en victimes des nazis et oublier que certains des plus grands dignitaires du IIIe Reich étaient nés en Autriche, à commencer par Hitler, en est une autre. La logique voudrait donc que ces tableaux soient restitués à Maria Altmann quitte à ce qu'elle les laisse en dépôt au Belvédère, ce qui serait déjà un geste magnanime de sa part si on songe que les Bloch-Bauer furent pourchassés et ruinés par les nazis pour lesquels trop d'Autrichiens cultivent encore une nostalgie nauséabonde. Samedi 21 mai 2005, promenade soporifique au marché de Vanves où les chineurs ont eu du mal à trouver l'oiseau rare. Malgré sa superbe découverte de la veille, Chester Fielx s'est emporté contre un expert qui lui a réclamé 5 000 euros, pas moins, en échange d'un certificat d'authenticité pour la toile d'un peintre célèbre du XIXe siècle figurant pourtant dans le catalogue raisonné qui lui a été consacré. « Pour une œuvre valant 15 000 euros, c'est cher payé ! », s'est exclamé Chester avant de balayer l'air de sa main et d'ajouter qu'il se contentera de la revendre sur la foi du catalogue raisonné sans passer par cet expert un peu trop gourmand à son goût..
Mardi 24 mai 2005, un chineur a pu enfin récupérer un petit tableau représentant un paysage des Balkans qu'il avait laissé en dépôt 18 mois auparavant chez un galeriste surnommé « Harry ça brûle ». Rentré chez lui, il s'est alors aperçu avec dépit que l'étiquette de la galerie Zborowski qui était collée sur le châssis de ce tableau avait disparu. Léopold Zborowski avait été notamment l'ami et le marchand de Modigliani, ce qui fait qu'il était tentant de détacher cette fameuse étiquette et de la coller ensuite au dos d'une œuvre de ce peintre pour lui donner un surcroît de valeur commerciale. En la circonstance, « Harry ça brûle » s'est permis de faire une petite cuisine pas très honnête… Vendredi 27 mai 2005, temps estival aux Puces de Saint-Ouen où un marchand du marché Serpette connu sous le sobriquet de « Petit écran » suite à un reportage télévisé qui lui a été consacré a déballé le contenu d'un grenier devant un attroupement de chineurs affamés. N'ayant rien vendu durant deux mois, l'un d'eux, surnommé « Le Stressé », n'a cependant pas hésité à débourser 3 000 euros pour une gravure d'après Dürer et quatre dessins ou lavis signés entre autres d'artistes du XVIIIe siècle sans trop marchander. « Acheter, encore et encore, en attendant des jours meilleurs », a-t-il dit à Michael « le Puits de Science » à qui il a offert de revendre illico pour 2 000 euros un petit portrait d'homme réalisé à la sanguine par un excellent miniaturiste des années 1780 , une somme jugée cependant trop élevée par ce dernier. Apparemment, « Le Stressé » ne s'est pas montré angoissé question prix. Quant à « Petit Ecran », sa matinée a semblé fructueuse sauf qu'à vouloir vendre très vite ses trouvailles pour renflouer sa trésorerie, il a fait le bonheur d'un acheteur en lui cédant pour rien un petit tableau du XVIIe siècle de l'atelier du Guerchin. Un peu plus loin, un spécialiste des montres plutôt rapace surnommé « La Verge » a mis la main sur une petite pendule du XVIIe siècle lâchée pour 2 000 euros par un spécialiste de la Haute Epoque, victime à l'occasion d'une glissade puisque « La Verge » s'est transformé en fusée en la revendant dix minutes plus tard pour 4 500 euros devant le marché Jules Vallès. Dans le milieu de l'horlogerie, on n'a pas connu de marchand plus malin que ce personnage à l'appétit féroce dont les débuts à la fin des années 1980 furent foudroyants. Ayant acheté pour presque rien un lot de montres militaires déclassées car elles étaient toutes démunies de leurs fonds vissés, il eut ainsi l'idée de génie de faire fabriquer les pièces manquantes et de revendre le lot 50 fois plus cher que son prix initial avant de s'imposer ensuite comme un des principaux acteurs de ce domaine.
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