A Drouot, les pièces exceptionnelles se sont toujours très bien vendues et ce, même dans les ventes courantes où les amateurs n'ont pas manqué de faire flamber les enchères pour celles qui avaient échappé aux yeux pas si aiguisés des experts. Ainsi, un masque Songye du Congo présenté dans une mannette à 200 euros a fini par être adjugé pour 48 000 euros. Comme grand écart, on fait difficilement mieux…
Autre avatar pour les experts, la vente le 29 novembre 2004 d'un bronze de l'atelier de Giovanni Battista Foggini représentant David vainqueur de Goliath, réalisé au débuts des années 1720, qui a atteint 1,1 million d'euros sur une estimation ridicule de 15 000 à 20 000 euros. Cette bourde a été plutôt monstrueuse et on a été en droit de se demander ce qu'a pu penser le vendeur, certes heureux du prix final, de l'attitude de l'expert qui a examiné d'un œil distrait cette rare sculpture dont il n'existe qu'une variante au Musée de l'Hermitage de Saint-Pétersbourg.
Vendredi 17 décembre 2004, les ventes de l'Hôtel Drouot ont touché à leur fin pour ce second semestre de l'année qui aura vu les recettes des commissaires-priseurs baisser d'environ sept pour cent par rapport à 2003. A cela, plusieurs explications. Premièrement, les pièces de grande qualité sont devenues plus rares. Deuxièmement, les ventes de grandes collections ont été moins nombreuses. Troisièmement, les Français et les Européens en général se sont appauvris. Quatrièmement, les goûts ont changé et la nouvelle génération s'est montrée plus portée sur le design « cheap » que sur les meubles anciens et les objets d'art. Cinquièmement, les maisons anglo-saxonnes implantées à Paris, Christie's et Sotheby's, ont réalisé à elles seules 45% du chiffre d'affaires de Drouot qui s'est élevé à 370 millions d'euros.
D'aucuns ont prétendu que la concurrence étrangère avait plombé les résultats des commissaires-priseurs parisiens. Cependant, il y a eu tout lieu de croire qu'elle leur a permis d'un autre côté de les sortir d'une certaine apathie et de les forcer à se montrer plus performants d'autant plus que rien n'aurait empêché nombre d'importants vendeurs de proposer leurs pièces dans des ventes à l'étranger.
En regorgeant encore de magnifiques œuvres et objets, Paris a encore eu du charme grâce à des ventes basées sur un euro fort et si la capitale n'a pas su mieux damer le pion à New York ou à Londres, c'est qu'elle a souffert du handicap qu'a constitué le fameux droit de suite, très pénalisant pour des œuvres créées par des artistes morts depuis moins de 70 ans. De plus, les professionnels parisiens ont plus souffert de la crise économique que leurs concurrents new-yorkais ou londoniens toujours plus actifs sur le marché.
Non seulement les goûts des gens ont changé mais aussi les spécialités des professionnels comme en ont témoigné la Biennale des Antiquaires et la Fiac qui ont accueilli plus de marchands d'Art Déco d'un côté et de spécialistes du design de l'autre. Il y a peu encore, personne n'aurait imaginé voir à la Fiac des meubles de Charlotte Perriand, Prouvé ou Ron Arad, tous vendus dès l'ouverture.
L'époque est au changement et aux choix sélectifs, ce qui signifie que le marché de l'art s'est vu forcé d'effectuer sa mue pour satisfaire une clientèle de plus en plus exigeante qui a progressivement délaissé des œuvres jugées désormais sans grand intérêt, d'où l'effondrement constaté pour les pièces de qualité moyenne.
Vendredi 17 décembre 2004, le commissaire-priseur Jacques Tajan et l'ancien ministre et avocat Roland Dumas ont eu à répondre devant la justice de leurs agissements concernant la vente d'une partie de la succession d'Alberto Giacometti et notamment de la vente illégale d'un lot, cédé en dehors de la vacation, alors qu'une part du produit de cette vente avait été conservée durant plusieurs mois par l'officier ministériel. Une sale affaire pour Jacques Tajan menacé d'encourir une peine de 30 mois de prison alors qu'il s'est en outre retrouvé en mauvaise position au sujet d'un faux Dufy vendu par son étude.
Samedi 18 décembre 2004, promenade matinale au marché de Vanves où les chineurs n'ont rien vu de valable. Il aurait fallu s'appeler Clovis Drouille pour y trouver son bonheur…
Lundi 20 décembre, réapparition de l'impayable « J.R » tombé dans la dèche après avoir dilapidé le peu d'argent qui lui restait. Il devait vendre un « magnifique » Douanier Rousseau à un acheteur allemand qui l'a fait lambiner et en désespoir de cause, a dû emprunter 100 euros à un marchand en laissant cette œuvre en gage chez ce dernier tout en se faisant confier un tableau ancien d'une valeur de 800 euros contre la promesse de le rembourser en quinze jours.
« J.R » s'est engagé dans une folle course contre la montre au moment où le marché de l'art s'est mis en sommeil jusqu'au 15 janvier 2005. Bien que ce diable de chineur sans cesse aux abois ait toujours réussi à s'en sortir à la dernière minute, cette fois-ci, ses chances de se refaire d'ici là n'auront jamais été aussi minces.
Justement, pour se sortir de la mouise, il m'a montré un tableau qu'il a généreusement attribué à Sisley, une infâme croûte ne valant pas tripette et dont il a espéré en tirer 200 euros. J'ai eu beau essayer de lui démontrer que cette toile n'avait rien d'un Sisley, il n'en a pas démordu avant de me dire en désespoir de cause qu'elle datait au moins de plus de cent ans.
Les fêtes n'auront pas été joyeuses pour ce satané « J.R » qui a eu le chic de m'avouer qu'il avait palpé plus de 3 millions d'euros durant ses vingt dernières années de chine, une somme conséquente que cet inconscient, transformé en cigale depuis belle lurette, n'a pas su faire fructifier. Un beau gâchis...