Le journal d'un fou d'art

Gauguin accrocha ses peintures sur tous les murs de la maison de ses logeurs qui n'osaient pas lui avouer qu'ils les trouvaient affreuses. Après son départ, ils s'empressèrent d'ailleurs de décrocher tous les tableaux et les entassèrent dans leur cour pour les brûler. Plus maudits que le peintre pour avoir détruit des œuvres valant aujourd'hui plus de 5 millions d'euros chacune, ces gens se privèrent ainsi d'assurer confortablement l'avenir de leurs descendants. Il est vrai qu'à Tahiti, Gauguin fut parfois la risée des autochtones dont les idoles l'inspirèrent pourtant profondément tandis que les représentants de l'administration coloniale tout autant que les missionnaires l'abhorrèrent. Pire, à sa mort, de nombreuses œuvres du peintre furent encore détruites à l'exception de quelques unes sauvées par un homme intelligent qui les ramena en France.

Samedi 4 décembre 2004, le fléchissement continu du dollar a plus que jamais pesé sur les affaires au marché aux puces de Saint-Ouen, toujours aussi sinistré en l'absence des acheteurs américains. Les économies européennes n'ont pas fini de vaciller à tel point que les marchands espagnols, anglais, allemands, italiens, hollandais ou belges ont été moins visibles dans l'Hexagone. La crise s'est amplifiée avec l'augmentation pernicieuse de l'euro, une devise devenue déjà trop chère pour les touristes. Ceux-ci ayant boudé la France, les professionnels du tourisme et les grands magasins n'ont pas tardé a enregistrer une baisse de leur chiffres d'affaires allant jusqu'à 20%.

L'année 2003 a été catastrophique. L'année 2004 aura été désastreuse et si jamais le dollar devait chuter jusqu'à ne plus valoir que 0,65 euro, le nombre des faillites parmi les brocanteurs et les antiquaires deviendrait plus qu'alarmant.

Lundi 6 décembre 2004, grosse affluence à l'Hôtel Drouot pour une série de ventes intéressantes. C'est là que le marché parisien s'est activé le plus alors que les galeries sont pour la plupart restées en rade. Confrontés à la morosité, certains marchands ont préféré s'activer à l'étranger, comme Emmanuel Perrotin, le découvreur de Maurizio Cattelan ou de Murakami, qui a ouvert à Miami une antenne permanente de 1 300 mètres carrés.

Perrotin a déjà réussi la gageure de vendre des œuvres contemporaines à des gens qui n'avaient jamais acheté d'art et sa présence à la foire de Miami a attiré un nombre considérable d'amateurs.

Excellent vendeur, le galeriste a su bâtir une carrière foudroyante grâce à son don de découvreur d'artistes de talent. Ayant démarré pratiquement sans un sou à l'âge de 18 ans, il a su attirer vers lui des artistes en vogue et surtout des collectionneurs importants avant d'ouvrir deux galeries rue Louise Weiss à Paris.

Il en a fermé une puis ouvert de nouveaux locaux rue de Turenne en partageant son temps entre la capitale et Miami. A 36 ans, ce fonceur a volé de succès en succès après avoir fait multiplier la cote de Maurizio Cattelan par 40 en moins de cinq ans.

Il est vrai que Perrotin n'a pas hésité à se soumettre aux caprices les plus fous de son poulain qui un jour l'a déguisé en homme chien tenu en laisse. N'empêche, le ridicule ne l'a pas tué puisqu'il a prouvé en fait qu'il était un maître en devenant un « Frenchie » adoré des riches collectionneurs américains, ravis d'avoir gagné beaucoup d'argent grâce à lui.

Vendredi 10 décembre 2004, vente fleuve de tableaux modernes à l'Hôtel Drouot avec près de 60% d'œuvres ravalées alors que de nombreuses autres ont été vendues sous leur prix de réserve. Explication : la bonne marchandise s'est raréfiée, les Américains sont restés chez eux et les acheteurs disposant de liquidités ont préféré se reporter vers des pièces de choix.

Autre constat : hormis les œuvres de qualité musée, les tableaux russes ont été plus difficiles à vendre, les acheteurs de Russie s'étant essoufflés après avoir frénétiquement raflé ce que le marché parisien offrait. En outre, les revenus de ces derniers ont été réalisés en dollars et la baisse de la devise américaine a fini par affecter leur pouvoir d'achat.

Rencontre avec Chester Fielx près de l'Hôtel des ventes qui m'a raconté une savoureuse anecdote. Il y a une vingtaine d'années, le propriétaire d'une pizzeria luxembourgeoise avait trouvé un tableau dans une décharge et, le trouvant séduisant, l'avait accroché sur un mur de son restaurant de Differdange. Un jour, une cliente se permit de lui demander s'il avait une quelconque idée de l'auteur de cette œuvre. Le pizzaiolo balbutia qu'il n'en avait pas la moindre idée.

« C'est probablement un Fussli. Vous devriez le montrer à un expert », lui répondit la cliente. Le pizzaiolo suivit son conseil pour apprendre finalement qu'il s'agissait bien d'une œuvre du célèbre artiste suisse qu'il pourra vendre pour plus de 400 000 euros. Il y a de par le monde, des décharges qui sont vraiment électriques….

Samedi 11 décembre 2004, les acheteurs russes sont venus à nombre à l'Hôtel Drouot pour une vente de tableaux de leurs compatriotes estimés à des altitudes ridicules. Ainsi, un portrait de jeune fille daté de 1920 par Boris Dmitirévitch Grigorieff, acquis à l'exposition des peintres russes à la galerie La Boétie en 1921, a atteint 330 000 euros sur une estimation plutôt prudente de 20 000 euros.

A Istanbul, une huile du peintre Osman Hamdy Bey intitulée " Le Dompteur de tortues" a été adjugé pour la somme faramineuse de 2,6 millions d'euros. Les grands peintres turcs sont rares et dès qu'une de leurs oeuvres passe en vente, on peut être certain qu'elle atteindra un prix conséquent.

Fils du grand vizir Müsir Ethem Pacha, Hamdy Bey fut envoyé à Paris pour parfaire ses études de 1857 à 1869. Il y devint l'élève de Boulanger et de Gérôme puis exposa à Paris et à Berlin. Il se fit toutefois connaître comme archéologue et amateur d'art et fut le créateur du Musée de Constantinople dont il devint le conservateur.