Accompagné d'un type qui semble loin d'avoir l'air distingué, le courtier me montre d'abord une photocopie laser de son tableau qui me paraît séduisant au premier coup d'oeil sauf que quelques craquelures, visibles sur le cliché, me font lui dire qu'il me faut examiner l'œuvre elle-même pour me forger une opinion. Mon interlocuteur tient avant tout à savoir si ce marchand parisien dont je lui ai parlé est capable de payer le prix demandé. Irrité par son insistance, je lui réponds que ce spécialistes des tableaux anciens n'aura aucun problème pour régler rubis sur l'ongle si l'oeuvre lui plaît. Je lui répète qu'avec ce professionnel, il n'aura pas affaire à un clown mais en même temps, il se mord subitement les lèvres en m'avouant que ce dernier l'avait fichu dehors de sa galerie en compagnie d'un marchand tchèque venu lui montrer des photos de tableaux anciens après avoir constaté qu'il ne les avait même pas en main. Ca commence bien…
Le courtier m'amène alors au cul d'une estafette de livraison et ouvre le hayon arrière pour me montrer enfin sa merveille. Son acolyte prend le tableau et va vers le bar pour le déballer. Impossible cependant d'examiner l'œuvre avec cette lumière tamisée destinée à créer une atmosphère propre à mettre les clients en condition optimum pour se faire plumer par des entraîneuses particulièrement aguicheuses.
Sous le regard intrigué de la fille qui tient derrière ce bar, je demande alors que le tableau soit placé devant la porte afin de mieux l'analyser. A première vue, il a été rentoilé et comporte des restaurations mais l'ensemble représentant une scène avec des paysans, des moutons, une chèvre et un mulet dans un paysage italianisant, paraît somme toute bien torché.
Je déclare au courtier qu'à mon humble avis que s'il était authentique, ce tableau ne vaudrait pas plus d'un million vu son état. Ma répartie le conduit à se renfrogner et à rétorquer que l'expert R.M a décrété qu'il s'agissait d'un véritable Berchem et qu'il avait déjà reçu une offre de 1,5 million. Je me contente de répondre que de mon côté, je ne puis que m'en remettre au marchand que j'appelle dans la foulée avec mon portable.
Ce dernier me convie à venir le voir immédiatement. Heureusement que la circulation est fluide. Suivi de l'estafette, j'arrive vingt minutes plus tard dans le quartier de la Rive Gauche et me rends seul dans la galerie car le courtier craint d'être reconnu par le marchand. Celui-ci semble toujours aussi affairé au milieu de ses collaborateurs. Je lui montre d'abord la photo et prends immédiatement comme une baffe dans la figure. Selon lui, il ne s'agit pas d'un Berchem mais d'une copie. J'essaye de lui faire valoir que l'expert untel est d'un autre avis mais il me répond d'un ton cinglant : «Ce n'est qu'un imbécile»
Par curiosité, il me fait déballer le tableau puis le regarde une seconde. «C'est bien ce que je pensais. Il s'agit d'une copie d'époque exécutée par un bon petit maître qui est malheureusement loin d'avoir la patte de Berchem.» Son opinion est sans appel. Sans même me dire au revoir, il tourne les talons et file dans un bureau vitré pour discuter avec un client». Je n'ai jamais été aussi vexé.
Je rejoins le courtier et lui rends le tableau en lui précisant que la prochaine fois je ne me dérangerais que pour une oeuvre munie d'un certificat d'authenticité indiscutable. Il semble déconfit et ne cherche pas à épiloguer tandis que j'enrage intérieurement d'avoir été considéré comme un imbécile tout en ayant perdu trois heures précieuses de mon temps. J'avais vraiment mieux à faire.
Samedi 23 septembre, je croise à Vanves mon ami luxembourgeois qui me raconte qu'il doit rembourser à un chineur treize aquarelles de costumes de théâtre signées d'Yves Brayer qui ont été refusés par la veuve de l'artiste. Il me montre la lettre écrite par cette dernière qui signale que ces aquarelles ne sont pas de la main de son feu mari, pas plus que les signatures qui y figurent d'autant plus que celui ne signait de pareilles œuvres qu'avec ses initiales.
Les ayants-droit ont souvent tendance à enquiquiner le monde parfois non sans raison. Mais tous ceux, y compris moi-même, qui ont vu ces aquarelles ont pensé fermement qu'elles avaient été réalisées par Brayer. Question : sa femme était-elle constamment dans son atelier lorsqu'il travaillait ? Autre question : un faussaire se serait-il démené à produire des aquarelles de cet artiste qui ne valent qu'environ 1500 FF du bout ?
Personnellement, je pense que conférer un pouvoir de décision intégral à un ayant-droit est plutôt aventureux surtout que l'héritier d'un artiste ne connaît pas son œuvre à fond. De plus, les épouses de nombreux artistes ont parfois tendance à faire jouer des fibres qui n'ont rien à voir avec les œuvres qu'elles examinent comme la veuve du peintre Atlan qui a rejeté des pièces authentiques qu'il avait offertes à ses maîtresses. Dans ce cas, la vengeance est un plat qui se mange froid. On peut aussi évoquer des veuves qui avaient une énorme différence d'âge avec leurs maris comme Madame Boldini ou la seconde épouse de tel peintre fauviste qui n'ont qu'une connaissance approximative des œuvres produites bien avant leur mariage. Dur, dur d'avoir affaire à de pareils ayants-droit…