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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
IIIème Chapitre
EXPERT ET IMPAIR
01 Octobre 2000 |
Cet article se compose de 2 pages.
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Accompagné d'un type qui semble loin d'avoir l'air distingué, le courtier me montre d'abord une photocopie laser de son tableau qui me paraît séduisant au premier coup d'oeil sauf que quelques craquelures, visibles sur le cliché, me font lui dire qu'il me faut examiner l'œuvre elle-même pour me forger une opinion. Mon interlocuteur tient avant tout à savoir si ce marchand parisien dont je lui ai parlé est capable de payer le prix demandé. Irrité par son insistance, je lui réponds que ce spécialistes des tableaux anciens n'aura aucun problème pour régler rubis sur l'ongle si l'oeuvre lui plaît. Je lui répète qu'avec ce professionnel, il n'aura pas affaire à un clown mais en même temps, il se mord subitement les lèvres en m'avouant que ce dernier l'avait fichu dehors de sa galerie en compagnie d'un marchand tchèque venu lui montrer des photos de tableaux anciens après avoir constaté qu'il ne les avait même pas en main. Ca commence bien… Le courtier m'amène alors au cul d'une estafette de livraison et ouvre le hayon arrière pour me montrer enfin sa merveille. Son acolyte prend le tableau et va vers le bar pour le déballer. Impossible cependant d'examiner l'œuvre avec cette lumière tamisée destinée à créer une atmosphère propre à mettre les clients en condition optimum pour se faire plumer par des entraîneuses particulièrement aguicheuses. Sous le regard intrigué de la fille qui tient derrière ce bar, je demande alors que le tableau soit placé devant la porte afin de mieux l'analyser. A première vue, il a été rentoilé et comporte des restaurations mais l'ensemble représentant une scène avec des paysans, des moutons, une chèvre et un mulet dans un paysage italianisant, paraît somme toute bien torché. Je déclare au courtier qu'à mon humble avis que s'il était authentique, ce tableau ne vaudrait pas plus d'un million vu son état. Ma répartie le conduit à se renfrogner et à rétorquer que l'expert R.M a décrété qu'il s'agissait d'un véritable Berchem et qu'il avait déjà reçu une offre de 1,5 million. Je me contente de répondre que de mon côté, je ne puis que m'en remettre au marchand que j'appelle dans la foulée avec mon portable. Ce dernier me convie à venir le voir immédiatement. Heureusement que la circulation est fluide. Suivi de l'estafette, j'arrive vingt minutes plus tard dans le quartier de la Rive Gauche et me rends seul dans la galerie car le courtier craint d'être reconnu par le marchand. Celui-ci semble toujours aussi affairé au milieu de ses collaborateurs. Je lui montre d'abord la photo et prends immédiatement comme une baffe dans la figure. Selon lui, il ne s'agit pas d'un Berchem mais d'une copie. J'essaye de lui faire valoir que l'expert untel est d'un autre avis mais il me répond d'un ton cinglant : «Ce n'est qu'un imbécile» Par curiosité, il me fait déballer le tableau puis le regarde une seconde. «C'est bien ce que je pensais. Il s'agit d'une copie d'époque exécutée par un bon petit maître qui est malheureusement loin d'avoir la patte de Berchem.» Son opinion est sans appel. Sans même me dire au revoir, il tourne les talons et file dans un bureau vitré pour discuter avec un client». Je n'ai jamais été aussi vexé. Je rejoins le courtier et lui rends le tableau en lui précisant que la prochaine fois je ne me dérangerais que pour une oeuvre munie d'un certificat d'authenticité indiscutable. Il semble déconfit et ne cherche pas à épiloguer tandis que j'enrage intérieurement d'avoir été considéré comme un imbécile tout en ayant perdu trois heures précieuses de mon temps. J'avais vraiment mieux à faire. Samedi 23 septembre, je croise à Vanves mon ami luxembourgeois qui me raconte qu'il doit rembourser à un chineur treize aquarelles de costumes de théâtre signées d'Yves Brayer qui ont été refusés par la veuve de l'artiste. Il me montre la lettre écrite par cette dernière qui signale que ces aquarelles ne sont pas de la main de son feu mari, pas plus que les signatures qui y figurent d'autant plus que celui ne signait de pareilles œuvres qu'avec ses initiales. Les ayants-droit ont souvent tendance à enquiquiner le monde parfois non sans raison. Mais tous ceux, y compris moi-même, qui ont vu ces aquarelles ont pensé fermement qu'elles avaient été réalisées par Brayer. Question : sa femme était-elle constamment dans son atelier lorsqu'il travaillait ? Autre question : un faussaire se serait-il démené à produire des aquarelles de cet artiste qui ne valent qu'environ 1500 FF du bout ? Personnellement, je pense que conférer un pouvoir de décision intégral à un ayant-droit est plutôt aventureux surtout que l'héritier d'un artiste ne connaît pas son œuvre à fond. De plus, les épouses de nombreux artistes ont parfois tendance à faire jouer des fibres qui n'ont rien à voir avec les œuvres qu'elles examinent comme la veuve du peintre Atlan qui a rejeté des pièces authentiques qu'il avait offertes à ses maîtresses. Dans ce cas, la vengeance est un plat qui se mange froid. On peut aussi évoquer des veuves qui avaient une énorme différence d'âge avec leurs maris comme Madame Boldini ou la seconde épouse de tel peintre fauviste qui n'ont qu'une connaissance approximative des œuvres produites bien avant leur mariage. Dur, dur d'avoir affaire à de pareils ayants-droit…
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Vendredi 22 septembre, journée sans voitures à Paris, ce qui ne m'empêche pas de prendre la mienne et de circuler aisément en ville. On croirait rouler un dimanche tellement les véhicules sont rares. J'ai rendez-vous avec un courtier d'opérette qui m'a téléphoné la veille en m'annonçant qu'il voulait me montrer un tableau de Nicolaes Berchem pour lequel il a reçu un mandat de vente à un prix qui s'annonce faramineux. Il a lancé le bouchon à deux millions de francs en me racontant qu'une œuvre de ce peintre hollandais, plus petite que celle qu'il désire vendre, a atteint plus de quatre millions de francs dans une vente aux enchères, ce qui lui fait dire qu'au prix où il est annoncé, son tableau est une affaire. J'ai simplement demandé à voir cette oeuvre mais mon interlocuteur a insisté pour savoir si j'avais vraiment un client. En lui répondant que je pouvais entrer en relation avec un grand marchand parisien, il a enfin semblé rassuré. Ce courtier, que je surnomme d'opérette car il ne connaît rien aux tableaux et pioche dans tous les domaines comme l'immobilier ou les pierres précieuses pour se prendre des commissions, se trouve souvent en contact avec des gens qui possèdent des objets d'art et ne loupe ainsi pas une occasion pour se faire de l'argent. Il m'a fixé rendez-vous dans un bar de la rue Fontaine, en plein dans le quartier chaud de Pigalle, un endroit plutôt bizarre pour me montrer un tableau mais je n'ai pas tiqué sur le coup sauf que, arrivé sur place, je me suis rendu compte avec effroi qu'il s'agissait d'un ces pièges à touristes où le prix d'une simple bière partagée obligatoirement avec une hôtesse peut s'avérer démentiel.
Accompagné d'un type qui semble loin d'avoir l'air distingué, le courtier me montre d'abord une photocopie laser de son tableau qui me paraît séduisant au premier coup d'oeil sauf que quelques craquelures, visibles sur le cliché, me font lui dire qu'il me faut examiner l'œuvre elle-même pour me forger une opinion. Mon interlocuteur tient avant tout à savoir si ce marchand parisien dont je lui ai parlé est capable de payer le prix demandé. Irrité par son insistance, je lui réponds que ce spécialistes des tableaux anciens n'aura aucun problème pour régler rubis sur l'ongle si l'oeuvre lui plaît. Je lui répète qu'avec ce professionnel, il n'aura pas affaire à un clown mais en même temps, il se mord subitement les lèvres en m'avouant que ce dernier l'avait fichu dehors de sa galerie en compagnie d'un marchand tchèque venu lui montrer des photos de tableaux anciens après avoir constaté qu'il ne les avait même pas en main. Ca commence bien… Le courtier m'amène alors au cul d'une estafette de livraison et ouvre le hayon arrière pour me montrer enfin sa merveille. Son acolyte prend le tableau et va vers le bar pour le déballer. Impossible cependant d'examiner l'œuvre avec cette lumière tamisée destinée à créer une atmosphère propre à mettre les clients en condition optimum pour se faire plumer par des entraîneuses particulièrement aguicheuses. Sous le regard intrigué de la fille qui tient derrière ce bar, je demande alors que le tableau soit placé devant la porte afin de mieux l'analyser. A première vue, il a été rentoilé et comporte des restaurations mais l'ensemble représentant une scène avec des paysans, des moutons, une chèvre et un mulet dans un paysage italianisant, paraît somme toute bien torché. Je déclare au courtier qu'à mon humble avis que s'il était authentique, ce tableau ne vaudrait pas plus d'un million vu son état. Ma répartie le conduit à se renfrogner et à rétorquer que l'expert R.M a décrété qu'il s'agissait d'un véritable Berchem et qu'il avait déjà reçu une offre de 1,5 million. Je me contente de répondre que de mon côté, je ne puis que m'en remettre au marchand que j'appelle dans la foulée avec mon portable. Ce dernier me convie à venir le voir immédiatement. Heureusement que la circulation est fluide. Suivi de l'estafette, j'arrive vingt minutes plus tard dans le quartier de la Rive Gauche et me rends seul dans la galerie car le courtier craint d'être reconnu par le marchand. Celui-ci semble toujours aussi affairé au milieu de ses collaborateurs. Je lui montre d'abord la photo et prends immédiatement comme une baffe dans la figure. Selon lui, il ne s'agit pas d'un Berchem mais d'une copie. J'essaye de lui faire valoir que l'expert untel est d'un autre avis mais il me répond d'un ton cinglant : «Ce n'est qu'un imbécile» Par curiosité, il me fait déballer le tableau puis le regarde une seconde. «C'est bien ce que je pensais. Il s'agit d'une copie d'époque exécutée par un bon petit maître qui est malheureusement loin d'avoir la patte de Berchem.» Son opinion est sans appel. Sans même me dire au revoir, il tourne les talons et file dans un bureau vitré pour discuter avec un client». Je n'ai jamais été aussi vexé. Je rejoins le courtier et lui rends le tableau en lui précisant que la prochaine fois je ne me dérangerais que pour une oeuvre munie d'un certificat d'authenticité indiscutable. Il semble déconfit et ne cherche pas à épiloguer tandis que j'enrage intérieurement d'avoir été considéré comme un imbécile tout en ayant perdu trois heures précieuses de mon temps. J'avais vraiment mieux à faire. Samedi 23 septembre, je croise à Vanves mon ami luxembourgeois qui me raconte qu'il doit rembourser à un chineur treize aquarelles de costumes de théâtre signées d'Yves Brayer qui ont été refusés par la veuve de l'artiste. Il me montre la lettre écrite par cette dernière qui signale que ces aquarelles ne sont pas de la main de son feu mari, pas plus que les signatures qui y figurent d'autant plus que celui ne signait de pareilles œuvres qu'avec ses initiales. Les ayants-droit ont souvent tendance à enquiquiner le monde parfois non sans raison. Mais tous ceux, y compris moi-même, qui ont vu ces aquarelles ont pensé fermement qu'elles avaient été réalisées par Brayer. Question : sa femme était-elle constamment dans son atelier lorsqu'il travaillait ? Autre question : un faussaire se serait-il démené à produire des aquarelles de cet artiste qui ne valent qu'environ 1500 FF du bout ? Personnellement, je pense que conférer un pouvoir de décision intégral à un ayant-droit est plutôt aventureux surtout que l'héritier d'un artiste ne connaît pas son œuvre à fond. De plus, les épouses de nombreux artistes ont parfois tendance à faire jouer des fibres qui n'ont rien à voir avec les œuvres qu'elles examinent comme la veuve du peintre Atlan qui a rejeté des pièces authentiques qu'il avait offertes à ses maîtresses. Dans ce cas, la vengeance est un plat qui se mange froid. On peut aussi évoquer des veuves qui avaient une énorme différence d'âge avec leurs maris comme Madame Boldini ou la seconde épouse de tel peintre fauviste qui n'ont qu'une connaissance approximative des œuvres produites bien avant leur mariage. Dur, dur d'avoir affaire à de pareils ayants-droit…
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