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Certains voient en Koons un diamant pesant des centaines de Corot
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Le journal d'un fou d'art
Les fous d'art, ivres de savoir et de découvertes, riches ou moins nantis et sans cesse à l'affût des nouvelles relatives au marché de l'art, forment une belle légion à travers le monde. Sans eux, ce marché n'aurait donc sûrement rien de légendaire. Depuis plus d'une quinzaine d'années, Adrian Darmon a donc rassemblé à travers plus de 2200 pages de multiples anecdotes souvent croustillantes sur les chineurs, amateurs et autres acteurs de cet univers plutôt incroyable et parfois impitoyable.
Ier Chapitre
DE LA NECESSITE DE BIEN CONNAÎTRE LES ARTISTES
01 Juin 2000 |
On évoque souvent les artistes actuels à la mode mais avant tout leurs œuvres et pas assez souvent leur personne. Je suis persuadé à cet effet que pour bien comprendre l'œuvre d'un créateur, il faut connaître sa vie. Ce qui peut paraître difficile à appréhender dans une œuvre devient alors mieux lisible quand on sait quelles furent les conditions de vie de son géniteur au moment où il la créa. Vous désirez des preuves ? Les œuvres de jeunesse de Rembrandt reflètent une période de bonheur, d'aisance et d'insouciance pour le peintre qui changea de style après la disparition de Saskia, sa femme. Dès lors, saisi par la tristesse provoquée par la perte d'un être cher et perdant de ses faits ses repères, Rembrandt se renferma sur lui-même et tourna progressivement le dos à la bonne société amstellodamoise d'autant plus qu'il se trouva assailli par ses créanciers. Si Saskia avait vécu plus longtemps, le monde de l'art aurait été certainement privé des chefs d'œuvre qu'il peignit après s'être mis en ménage avec Hendrickje Stoffels et avoir vécu sous la menace des huissiers. La vie d'un peintre conditionne généralement son œuvre. Il n'y a qu'à voir les peintures de Goya, de Picasso et de tant d'autres artistes pour s'en faire une idée et imaginer qu'il n'en va pas autrement pour les artistes actuels. Prenez Jeff Koons, nouvelle star du marché qui doit quelque part son aura à son mariage sulfureux avec la Cicciolina, vedette du cinéma porno en Italie, et aux démêlés qu'il a eus avec elle au sujet de la garde de leur enfant. Koons est par ailleurs connu pour son caractère quelque peu spécial qui a amplifié sa dimension médiatique.
Qui connaît bien les vies de Cindy Sherman, Tony Cragg, Barry Flanagan, Cy Twombly, Anish Kapoor, Rebecca Horn, Anselm Kieffer, Sigmar Polke, Gerhard Richter, Blinky Palermo, Joseph Kossuth, Robert Smithson, Eva Hesse, Tom Friedman, Mona Hatoum, Damien Hirst, Gary Hume, Thomas Schutte, Martin Kippenberger, Christopher Wool, John Currin, Stephan Balkenhol, Juan Munoz, Miguel Barcelo, Thomas Struth, Andreas Gursky, Nan Goldin, Pipilotti Rist, Janine Antoni, Maurizio Cattelan, Andres Serrano, Rosemarie Trockel, Markus Lüpertz, Alighiero Boetti, Sandro Chia, Nicola de Maria, Mimmo Paladino, Jannis Kounellis, Antony Gormley, David Salle, Mariko Mori, Thomas Grünfeld, Dan Flavin, Donald Judd, Richard Serra, Carl Andre, Bruce Nauman, Fiona Rae, Tony Bevan, Peter Doig et d'autres valeurs montantes du marché ? Pas grand monde à vrai dire. Et pourtant, leurs parcours définissent leurs œuvres et malgré tout, des amateurs spéculent sur ces noms sans trop connaître ceux qui les portent. Cela va à l'encontre d'une démarche classique d'achat qui veut qu'on consulte le catalogue du fabricant avant de se décider à choisir une machine à laver, une voiture ou un frigo. UNE AFFAIRE DE GOÛTS Il est aussi incroyable que des collectionneurs d'art contemporain balancent à tout va des millions pour acquérir des œuvres qui d'un point esthétique sont loin de valoir un tableau produit par un grand maître du XVIIe siècle ou un peintre impressionniste de renom. Mais en fait, la particularité du marché de l'art est que celui-ci est scindé en plusieurs secteurs et qu'il y a en conséquence des clans totalement opposés bien qu'on trouve parfois des amateurs qui ne dédaignent pas mêler le moderne à l'ancien. Tout cela est une affaire de goûts et c'est tant mieux mais on ne peut s'empêcher de mettre le doigt sur le côté irrationnel des prix de l'art contemporain qu'on a vraiment du mal à expliquer. Main d'un artiste actuel
Si Basquiat n'était pas mort d'une overdose à 29 ans, vaudrait-il aussi cher aujourd'hui ? On peut se poser la question sans toutefois apporter une réponse claire. Personnellement, je préfère de loin à cinq millions de dollars un Rembrandt, autrement plus mythique, qu'un Warhol, créateur génial certes, qui se fit cependant aider par nombre d'assistants dans sa célèbre Factory à New-York. Affaire de goût encore, dira-t-on mais cela représente aussi un sérieux déséquilibre entre ce qui a fait l'histoire de l'art et ce qui peut prétendre le faire pour l'instant.
Si déséquilibre il y a, c'est que le monde a changé, que la communication est devenue reine, que le développement économique a permis l'émergence de nouvelles classes sociales plus tournées vers l'avenir ou vers les clichés qui ont accompagné leur adolescence. C'est là où l'art est devenu comme un produit de consommation et où la photo, la vidéo et les happenings ont fait une entrée en force et où la liberté s'est octroyée les pleins pouvoirs dans les salons. L'art n'est plus la quintessence d'une civilisation mais plutôt un faire-valoir pour certains pans de la société et un outil de communication. Il s'infiltre à bien des niveaux, remplit de plus en plus notre quotidien et nous accompagne au gré des événements. Mais plus que toute autre chose, il se démocratise quoique les artistes se sentent obligés d'explorer des domaines morbides comme s'ils ressentaient le besoin de verser dans une sorte de psychanalyse de l'âme humaine qui fait que l'esthétisme devient secondaire et amène les individus à s'interroger sur le propre de l'existence ou ce à quoi le monde est confronté. Il semble qu'il faille choquer le spectateur et le laisser hébété mais sans oublier certaines règles de marketing qui conduisent ceux qui se sentent «branchés» à acheter. Cela crée une sorte d'émulation qui gonfle le contingent des collectionneurs d'art contemporain qui malgré tout viennent à s'intéresser ensuite aux créateurs des œuvres qu'ils ont acquises.
L'artiste se doit de sortir de son ghetto pour réussir et le meilleur moyen pour y parvenir est de fuir la normalité. Voyez Joseph Beuys, voyez Yves Klein, voyez Manzoni et tant d'autres. Et le collectionneur lambda fait un peu de même sauf qu'il cherche d'abord à épater la galerie et à se mettre en avant histoire de précéder la mode. Ceux qui se sont rués à ArtBasel voulaient en quelque sorte marquer leur présence et faire partie de la tribu des nouveaux pontes sans se demander si leurs choix s'avéreraient des plus judicieux. C'est là une prise de risque nécessaire adoptée bien avant eux par les grands collectionneurs, américains ou russes, des peintres impressionnistes. A ce niveau, les choses ne changent pas et seul l'avenir pourra nous dire s'ils ont eu raison de miser sur les stars actuelles et les valeurs dites montantes du marché de l'art contemporain.
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