Le Centre Pompidou à Paris présente du 23 novembre 2012 au 25 mars 2013 une rétrospective consacrée à Salvador Dali avec l'assurance de créer l'évènement.
Du fait d'une célébrité nullement usurpée, Dali a toujours fait recette. Déjà, son exposition de 1979 au Centre Pompidou avait enregistré 800 000 visiteurs. Cette fois, cette rétrospective en drainera certainement autant, sinon plus.
Le maître du Surréalisme avait su admirablement capitaliser sur sa personne à travers son indéniable talent ainsi que son génie d'une part et par sa propension à être sacrément provocateur avec ses affirmations ubuesques d'autre part. L'artiste catalan adorait plus que quiconque se moquer du monde avec une faconde sans pareille qui lui faisait souvent dire des âneries qui bizarrement faisaient se pamer ses admirateurs.
Celui qui décréta le plus sérieusement du monde que la gare de Perpignan était le centre de la planète et qui se plut à adopter le surnom d'Avidadollars en utilisant l'anagramme de son nom sut être bien avant Andy Warhol un admirable businessman en étant le premier artiste à utiliser l'arme du marketing pour inonder le marché de multiples, notamment des lithographies produites à profusion et des sculptures et des objets qu'il fit diffuser à l'envi tout en se montrant opportuniste sur le plan politique au point de rallier le franquisme et de flirter avec le fascisme.
Les visiteurs de cette rétrospective auront l'occasion de découvrir 200 huiles, dessins, collages, sculptures, installations, documents et films résumant la carrière prolifique de cet artiste hors pair qui fut une sorte de Michel-Ange du XXe siècle doublé d'un sens aigu de la dérision et de la provocation.
Dali pouvait ainsi se permettre de faire le pitre en jouant sur la bêtise humaine après avoir compris très tôt que le monde lui-même était surréaliste. Il m'avait dit un jour éprouver une profonde jouissance à voir les gens gober ses paroles comme celles d'un prophète tout en constatant qu'il n'y avait pratiquement aucune limite aux conneries qu'il pouvait débiter. "J'adore me foutre de la gueule de ces ignares même si parfois je me sens un peu dans la peau d'un fou du roi qui avait le privilège de pouvoir se moquer ouvertement du souverain sans vraiment risquer d'aller au gibet" avait-il ajouté tout en s'abstenant de dire s'il croyait lui-même à ses propos délirants.
S'arrêtant à l'univers des mondanités, ses pitreries étaient en quelque sorte un dérivatif orchestré de main de maître pour ce bourreau de travail toujours en quête de trouvailles étonnantes mû par la féroce volonté de laisser une trace indélébile sur l'histoire de l'art à travers ses fantasmes et ses rêves.
Dès son enfance, Dali avait voulu marquer son passage sur terre en étant obligé de surmonter le handicap de porter le prénom du premier fils que ses parents avaient perdu et dont le rappel constant lui fut insupportable. A sept ans, déjà atteint par la folie des grandeurs, il voulait être Napoléon. Peu intéressé par les études, il se passionna surtout pour le dessin et exposa pour la première fois à 15 ans avant de fréquenter l'académie des beaux-arts de Madrid.
Devenu l'ami du poète Garcia-Lorca et de Luis Bunuel, Dali alla à 22 ans à Paris où il rencontra Picasso avant d'adhérer plus tard au groupe des Surréalistes et de séduire Gala, la femme d'Eluard qui, devenue sa compagne et sa muse, inspira son oeuvre à partir de la fin des années 1930.
Inimitable Dali. Avec sa moustache à la Vélasquez et son pinceau onirique. 33 ans après sa première exposition au Centre Pompidou, le maître de Cadaquès est revenu étonner les foules avec ses oeuvres étonnantes et détonantes qui sont des merveilles d'inventivité.
L'enfant de Figueras a été un artiste libre depuis le jour où il refusa de se faire noter à l'académie en étant sûr de posséder un formidable talent. Ne manquant pas d'admirer les Impressionnistes, les Cubistes, les Fauvistes, les Futuristes et les Réalistes, il eut, ancrée en lui, l'envie de surpasser les maîtres de ces divers mouvements. Ayant rejoint les Surréalistes par l'entremise de Bunuel, il mit au point sa méthode "paranoïa-critique" en instillant l'essence de son ego dans ses oeuvres oniriques avec une minutie poussée à l'extrême pour se forger une stature et la rendre éternelle.
Sa boulimie l'entraîna au-delà des frontières de la peinture pour s'intéresser au cinéma, au théâtre et à d'autres domaines en y apportant toute sa créativité et sa folie contrôlée pour devenir dès les années 1930 une star de l'art bien avant Warhol lequel ne lui arriva pas à la cheville au niveau du talent pur.
Dali alla même jusqu'à créer des meubles et des objets surréalistes comme Sa Vénus à tiroirs, son canapé copiant la bouche gourmande de l'actrice Mae West, son téléphone-homard ou ses montres molles tout en restant extravagant à l'extrême sans omettre de prendre le soin de cultiver le côté fantastique de son personnage pour montrer qu'il était unique et que personne après lui ne l'égalerait. Un pari apparemment réussi.
Adrian Darmon