Connu à travers les gravures, les peintures et les
sculptures, le multiple dans l'art qui a connu son apogée à partir de 1975 avec Andy Warhol est
vieux non pas de quelques centaines d'années mais de plus de deux millénaires.
Reproduire à profusion des œuvres n'est donc pas une méthode
récente étant donné qu'elle fut mise à l'honneur dès l'antiquité lorsque débordés de
travail, les artistes s'entourèrent d'assistants pour décorer des temples ou
créer des effigies de divinités, notamment en Egypte où oeuvrèrent plusieurs
corps de métiers sous la conduite de qu'on appellerait aujourd'hui des
concepteurs.
Il suffisait donc de créer un modèle pour le multiplier,
comme aussi en Grèce où des sculpteurs comme Praxitèle eurent recours à des
assistants pour réaliser des œuvres souvent monumentales qui essaimèrent à
travers tout l'Empire hellénistique. Cela se poursuivit à Rome jusqu'à sa chute
puis à l'émergence de la chrétienté avec la création d'ateliers de peintures et
de sculptures pour décorer essentiellement des églises et des édifices religieux.
Les grands artistes de la Renaissance ne furent pas en reste
pour satisfaire les commandes de l'Eglise, des monarques et des nobles et la
tâche de certains, comme Vinci, Raphaël ou Michel-Ange, fut tellement colossale
que sans l'aide d'assistants, ces derniers n'auraient jamais pu accomplir ce qu'ils
firent durant leur carrière.
Les créateurs en pointe se contentaient donc souvent de
définir une œuvre via des modèles ou des dessins préparatoires qui était
ensuite réalisé en partie par ceux-ci et terminée par leurs élèves ou
assistants. Cette méthode perdura jusqu'au début du 19e siècle pour
ensuite décliner avec l'émergence d'artistes épris de liberté comme les
Impressionnistes qui inspirèrent d'autres peintres mais eurent peu d'élèves, le
travail de la copie se limitant aux académies où les artistes continuèrent à se
former.
Certains d'entre eux, notamment Rodin, eurent encore recours
à des assistants pour répondre à de nombreuses commandes mais en dehors de la
gravure et de la sculpture, l'a méthode du multiple, fut moins employée après la Première Guerre Mondiale pour ne reprendre de la vigueur qu'à
la fin des années 1960 avec notamment Vasarely et surtout Andy Warhol qui fut
plus un designer du monde de l'art qu'un artiste à part entière en utilisant avant tout la photographie et le procédé de la sérigraphie pour en changer
brusquement la face avec l'aide de plus d'une cinquantaine d'assistants.
A première vue, rien ne diffère Praxitèle de Warhol, sauf
que l'artiste grec fut un génie de la sculpture dont les œuvres furent
fréquemment reproduites de son temps et bien longtemps après tandis que, issu
du domaine de la publicité, Warhol fut avant tout un maestro du marketing en
inondant le marché d'œuvres réalisées essentiellement par des assistants., ce
dernier se contentant souvent d'apporter quelques touches et d'apposer sa
signature sur les œuvres réalisées.
Là résidait le talent de Warhol qui fut donc loin de
parvenir à la cheville des grands maîtres de l'histoire de l'art qui furent de véritables génies, que ce fut
Vinci, Raphaël, Michel-Ange, Rembrandt, Van Dyck, Rubens, Picasso et bien
d'autres, le Malaguène étant néanmoins pratiquement le seul à n'avoir pas eu
d'élève ou d'assistant pour réaliser plus de 110 000 œuvres au cours de sa
carrière.
A la suite de Warhol, on a vu émerger dans le monde de l'art
contemporain des émules comme Maurizio Cattelan, Jeff Koons ou Damien Hirst qui
eux aussi se sont souvent contentés de définir des modèles pour les faire
réaliser en séries limitées.
Il suffit ainsi d'avoir une idée mais surtout d'être en vogue pour la mettre en pratique et engranger des millions d'euros
sans trop se fatiguer à travailler en solitaire, ce qui ne fut pas tellement le
cas entre l'époque de la Renaissance et le début du XIXe siècle lorsque les
artistes devaient constamment mettre la main à la pâte sans bénéficier de technologies de
pointe en profitant toutefois de leur réputation pour se faire aider par des
élèves ou des assistants pour répondre à des flots de commandes. N'empêche, ceux-ci
étaient malgré tout forcés de peindre certaines œuvres de A jusqu'à Z, ce qui a
rarement été le cas pour des concepteurs comme Warhol et consorts.
Maintenant, peut-on concevoir qu'une œuvre portant la
signature de Warhol vaille plus qu'un tableau de
Vinci, Raphaël, Rembrandt ou Velasquez ? On peut logiquement répondre que le
marché de l'art marche quelque peu sur la tête lorsqu'on songe que Warhol n'a formulé que des idées transformées et réalisées sous sa direction par d'autres dans son atelier. On arguera que celui-ci a en fait tiré profit des progrès survenus au 20e siècle pour instaurer un système qui a fait de lui un artiste riche et célèbre mais à y regarder de plus près, il ne fut qu'un peintre plutôt ordinaire
doté toutefois d'un sens exceptionnel de la publicité pour faire ainsi de son
œuvre un pur produit de consommation pour les riches.
On dira que les grands artistes du passé ne faisaient pas autrement en jouissant des faveurs des puissants de leur époque mais
eux au moins savaient manier un pinceau avec un rare talent sans recourir à des
méthodes artificielles comme Warhol avec des photographies transformées en
sérigraphies multipliées à l'envi. Les temps ont changé, rétorquerait-on sauf
que les grands artistes n'avaient pas derrière eux des galeristes ou des
maisons de vente pour assurer leur promotion à l'échelle planétaire et que tous
ne furent pas à l'abri de déconvenues comme ce fut le cas pour Le Caravage
devenu un paria, Rembrandt qui perdit son crédit auprès de sa clientèle pour
finir sa vie en solitaire, Goya ou David qui furent forcés à l'exil et d'autres
qui furent subitement privés des faveurs de leurs protecteurs.
Les protecteurs d'aujourd'hui sont ces collectionneurs
millionnaires devenus surtout des spéculateurs qui veillent à maintenir les
cotes des artistes qui sont les stars du marché alors que les critiques n'ont
presque plus leur mot à dire et que le public n'a qu'à dire Amen à ce qu'on lui
présente. C'est de cette manière que le marché de l'art survit malgré la crise grâce au soutien forcené de quelque 300
collectionneurs répartis aux quatre coins de la planète lesquels continueront à
le maintenir à flots tant que leur fortune ne sera pas écornée. Bref, l'amour
de l'art ne résulte plus à présent d'un sentiment mais seulement d'un gros chèque
signé par un magnat aimant l'argent qui éprouve le besoin de se valoriser
par rapport à ses rivaux histoire d'affirmer son standing tandis que les
véritables amoureux de l'art n'ont plus que leurs yeux pour admirer des chefs d'œuvre
dans des musées sinon de pleurer de ne pouvoir les posséder.
Adrian
Darmon