Avant, il y avait les collectionneurs qui avaient l'amour du beau mais c'était avant. Maintenant, il y a les gens les plus riches de la planète qui n'hésitent pas à acheter à profusion des oeuvres d'art sans compter leur argent et ce, parfois d'une manière grotesque propre à tourner en bourriques les plus respectés des critiques.
Les milliardaires ont désormais remplacé les princes et aristocrates des siècles passés pour amasser chez eux les plus belles réalisations artistiques, notamment à Pékin, Shanghaï et Hong Kong ainsi qu'à New York où un millier d'artistes bénéficient de leurs largesses souvent via les maisons de vente et les grandes galeries qui prennent de substantielles commissions au passage tandis que les petits commerces de l'art n'ont eu de cesse de batailler pour survivre.
Les autres artistes n'ont droit qu'à une portion congrue du marché américain et sont pour la plupart incapables de rivaliser avec les grosses pointures dont le talent incombe peu pour ceux qui les soutiennent pourvu que les opérations de marketing menées en leur faveur soient hautement rentables
Il n'y a donc plus d'esthétique ou de qualité qui tienne sur le marché de l'art où ce que d'aucuns appellent des"merdes" se vendent comme des petits pains car l'argent prime avanr tout. On peut gager que des artistes comme Vincent Van Gogh ou Mark Rothko se suicideraient à nouveau s'ils revenaient sur terre pour voir à quelles altitudes leurs oeuvres et celles d'autres stars du marché se vendent désormais.
Peu importe que certains artistes comme Jeff Koons ou précédemment Andy Warhol se soient amusés à créer des multiples avec l'aide de moult assistants pour les vendre ensuite à des prix astronomiques puisqu'il y a suffisamment de clients pour se laisser berner au vu d'une simple signature devenue aussi recherchée qu'un énorme paquet de dollars.
Il n'y a donc plus rien pour réguler le marché de l'art devenu dévoré par l'argent et où le ridicule l'emporte au détriment de créations de nombreux artistes hautement valables au plan esthétique qui sont malheureusement dédaignées si ceux-ci ont raté le coche en ne parvenant pas à trouver le moyen de se faire connaître.
Au début des années 1970, c'est à dire avant la disparition de ce géant de l'histoire de l'art que fut Picasso, les collectionneurs avaient encore du goût et du bon sens pour acquérir des oeuvres qui signifiaient quelque chose mais depuis ces quinze dernières années est apparue une race d'acheteurs néophytes qui se sont contentés de collectionner aveuglément ce que les maisons de vente ou les grandes galeries ont voulu mettre en avant dans leurs catalogues.
Ces nouveaux acheteurs n'ont jamais pris la peine de forger leur oeil pour s'en remettre exclusivement à des conseillers et à certaines galeries huppées pour monter leurs collections tandis que les critiques d'art ont fini par perdre de leur influence jusqu'à laisser derrière eux un désert où la connaissance est devenue aussi rare qu'un point d'eau. On ne trouve ainsi plus personne pour exprimer des opinions pertinentes sans compter que les dés sont pipés d'avance lors de ventes aux enchères où les gros prix sont pratiquement déterminés avant que le priseur n'abatte son marteau.
Il n'y a plus que sur Internet qu'on puisse trouver des critiques publiées sur certains sites dont les animateurs ne se privent pas de remettre en question l'ordre établi sur le marché de l'art sauf que les milliardaires n'en ont cure en faisant encore confiance aux maisons de vente, aux grandes galeries et à leurs conseillers attitrés. Il est donc encore assez loin le temps lorsque ces sites Internet pourront avoir leur mot à dire à propos du marché de l'art où les sponsors des vedettes attitrées auront de beaux jours devant eux pour le contrôler à leur guise d'autant plus que les musées ont suivi pour la plupart le mouvement en s'abstenant d'organiser des expositions susceptibles de d'élargir l'horizon du domaine de l'art pour enfin changer le regard de ses acteurs.
Le marché de l'art étant régi par l'argent, les musées ne font que suivre la mode du moment définie malheureusement par ces milliardaires ravis de leur prêter leurs nouvelles acquisitions qui sont esthétiquement discutables. Ce n'est plus ce qui peut avoir un impact historique ou ce qui peut plaire que les musées présentent en se contentant de faire du copier-coller pour leurs expositions tandis que les artistes ont de moins en moins leur mot à dire.
Ce qui compte avant tout repose sur la valeur d'une oeuvre et non sur l'originalité et la qualité de sa conception, les nouveaux artistes cherchant désormais à créer ce qui se vend le mieux en évitant de prendre des risques propres à les ostraciser d'emblée.
Il est néanmoins vrai que de nouvelles galeries se sont crées à New York ou ailleurs et que d'autres sont parvenues à survivre en appuyant des artistes en devenir mais comme art rime avec argent, les propriétaires de ces lieux imaginent que le marché est florissant à tous les niveaux pour ne pas craindre d'augmenter les loyers des galeristes alors que la crise économique est toujours présente sans compter qu'elle risque un jour d'atteindre les acheteurs les plus riches pour les amener à vendre une bonne partie de leurs collections afin de récupérer des liquidités, ce qui à coup sûr mettrait le marché à mal.
Adrian Darmon