Le collectionneur Saud bin Mohammed Al-Thani âgé de 48 ans a été retrouvé mort le 9 novembre 2014 à son domicile londonien, apparemment de cause naturelle.
Cousin éloigné de l'actuel émir du Qatar, ce licencié de droit de l'université arabe de Beyrouth avait travaillé en 1996, au ministère qatari des Affaires étrangères avant de présider de 2002 à 2005 le Conseil national pour la culture, les arts et le patrimoine, période durant laquelle il avait créé des écoles, des bibliothèques et des musées dans le riche émirat du Golfe.
Collectionneur boulimique, il avait acheté à profusion des antiquités, ses photographies, des pièces d'art asiatiques, des manuscrits, des meubles rares, des bijoux, des voitures anciennes et des instruments scientifiques. Nombre d'œuvres de sa collection sont exposées au musée d'art islamique de Doha.
Le Cheikh se voulait l'égal des grands collectionneurs de la planète, tels les Getty, les Guggenheim ou les Frick et avait dépensé plus d'un milliard d'euros pour enrichir ses collectionneurs rien qu'en 2004. L'année suivante, il avait été démis de ses fonctions et placé en résidence surveillée tandis qu'une enquête avait été diligentée pour de supposés détournements de fonds avant d'être blanchi par la justice de son pays.
Le Cheikh venait de mettre en vente chez Sotheby's une célèbre montre à complications de Patek Philippe surnommée la "Henry Graves" qui a atteint 24 million de dollars le 11 novembre.
N'ayant donc pu savourer ce résultat mirifique, Al-Thani semblait lui-même être un homme à complications puisqu'il était connu pour être un acheteur compulsif qui n'était pas toujours capable de régler ses acquisitions.
Ce serait donc pour cette raison, qu'il aurait mis en vente la montre "Henry Graves" et d'autres pièces de sa collection pour rembourser des dettes avoisinant les 70 millions de dollars.
Hyper-actif dans les salles de ventes et dans les grandes foires d'antiquités, Al-Thani s'était souvent trouvé en conflit avec les maisons de vente ou des antiquaires.
Dilapidant des sommes folles, tant pour des photographies dont il était friand que pour des rares pièces d'antiquités il avait fait des razzias partout où il passait et ce, sans regarder à la dépense.
Aussi cinglé qu'un joueur de casino invétéré, il s'était plu à faire monter les enchères inconsidérément dans les grandes salles de vente en oubliant souvent d'honorer ses achats, comme en 2012 pour un lot de monnaies rares de la collection Prospero vendu 19,7 millions de dollars.
Sa disparition aurait ainsi laissé Sotheby's et Bonhams avec des ardoises de 42 millions de dollars et 4,3 millions de livres, ce qui avait entraîné un gel de ses avoirs pour régler ses dettes tandis qu'il était poursuivi par ses avocats londoniens qui lui réclamaient près de 420,000 dollars d'honoraires.
Après sa mise en résidence surveillée au Qatar, le Cheikh était réapparu sur la scène du marché de l'art en 2011 pour à nouveau dépenser des centaines de millions de dollars sans se soucier de faire gonfler les prix dans les ventes aux enchères.
Entre 1997 et 2005, il avait généreusement dépensé plus d'un milliard de dollars pour accroître ses collections, une somme que sa cousine Al-Mayassa bint Hamad bin Khalifa Al-Thani, la fille de l'Emir du Qatar, a claqué de son côté sur le marché de l'art en moins d'un an entre 2011 et 2012.
Le Cheikh et ses cousins ont figuré parmi les plus gros acheteurs du marché de l'art en surpayant souvent leurs acquisitions. Ils ont ainsi déboursé 250 millions, la plus grosse somme de l'histoire, pour acheter en privé les Joueurs de cartes de Cézanne et ont montré un appétit vorace pour d'autres oeuvres en achetant pour 72,8 millions de dollars chez Sotheby's en mai 2007 la toile de Mark Rothko "White Center" (Jaune, Rose et Lavande) et pour 63,4 millions de dollars "The men in Her Life" (1962) d'Andy Warhol par l'intermédiaire de Philippe Ségalot.
Ils ont également acquis en 2002 chez Christie's un oeuf de l'orfèvre russe Fabergé pour 9,57 millions de dollars, l'album "Oiseaux d'Amérique" par James John Audubon pour 8,8 millions de dollars, la flasque indienne de Lord Clive pour 5 millions de dollars, une photographie de Girault de Prangey montrant le temple de Jupiter à Athènes pour 922,490 dollars en 2003, onze toiles de Mark Rothko pour 310 millions de dollars auprès du financier J. Ezra Merkin forcé de les céder après son implication dans le scandale Madoff, 136 photographies de la collection de Werner Bokelberg, notamment des clichés d'Alfred Stieglitz, Julia Margaret Cameron ou Man Ray pour 15 millions de dollars en 2000 et la boîte à pharmacie "Lullaby Spring" de Damien Hirst pour 19 millions de dollars en 2007 chez Sotheby's.