« Le peintre fauve doit s'efforcer de traduire la sensation non en l'analysant comme l'impressionnisme mais en l'exprimant brutale et non dégrossie » (Les Fauves)
Deux historiens d'art allemands en sont venus à affirmer dans un essai publié au début du mois de mai 2009 que Vincent Van Gogh ne s'était pas coupé volontairement l'oreille lors d'une dispute avec Paul Gauguin le 23 décembre 1888 mais qu'au contraire, ce serait ce dernier qui lui aurait donné un coup de sabre au visage pour le mutiler de cette manière.
Ainsi donc, la légende du peintre maudit aurait été bâtie sur une contre-vérité mise sur le compte de la démence de Van Gogh et alimentée de la sorte durant des décennies.
La folie de Van Gogh avait été ainsi exploitée dans les années 1930, notamment par Antonin Artaud et Georges Bataille qui l'avait définie comme fondamentale pour l'art moderne, mais selon Hans Kaufmann et Rita Wildegans, deux historiens de Hambourg, cette automutilation n'aurait jamais eu lieu.
Dans leur essai de 392 pages intitulé « L'oreille de Van Gogh, Paul Gauguin et le pacte du Silence » (Osburg Verlag éditeur), les deux universitaires ont affirmé que ce fut en réalité Gauguin qui lui porta un coup de sabre lors de cette fameuse dispute. Emmené à l'hôpital le lendemain, Van Gogh aurait préféré ne rien dire pour protéger ce dernier en acceptant donc de passer pour fou.
Traité d'hypocrite par les auteurs de cet essai, Gauguin, qui aurait jeté son sabre dans le Rhône, était rentré précipitamment à Paris juste après avoir subi un interrogatoire plutôt sommaire de la police. Plus tard, dans son livre de souvenirs titré « Avant et après », Gauguin avait indiqué que la dispute avec Van Gogh avait porté sur des différences de vues au sujet de questions artistiques, notamment à propos d'un tableau que Vincent avait peint à son instigation sur une toile de jute et qu'il considérait comme raté. De fil en aiguille, la dispute s'était envenimée et Gauguin en avait eu assez en manifestant son intention de partir, ce qui avait exaspéré Van Gogh qui voyait ainsi son rêve de créer un nouveau phalanstère d'artistes à Arles se briser brutalement.
Menacé d'un couteau, Gauguin avait préféré battre en retraite et passer la nuit ailleurs alors que Van Gogh se serait coupé l'oreille dans un accès de rage avant de l'envelopper dans du papier journal et de la confier à une prostituée pour aller ensuite se coucher. Telle fut la version qu'il livra dans son livre mais en reprenant le rapport de la police et les témoignages indirects fournis tardivement , les deux historiens en ont conclu que la dispute aurait en fait été déclenchée à propos d'une femme et que Gauguin aurait éprouvé longtemps des remords pour son geste jusqu'à peindre un jour des Tournesols sur un fauteuil, un hommage rendu à Van Gogh moins anodin qu'il n'avait semblé paraître.
Pour l'instant, les responsables du Musée Van Gogh n'ont pas adhéré à cette thèse, pourtant jugée intéressante pour la commissaire de l'exposition consacrée à Bâle aux paysages de Vincent et où les deux historiens viendront la présenter le 17 juin 2009.
Pour Hans Kaufmann, il n'y eut pas de témoin direct de la dispute ni même une enquête approfondie au sujet de ce qui s'était vraiment passé. Apparemment, les deux peintres avaient caché la vérité car le scénario de la dispute aurait été différent. Ainsi, Gauguin, excédé par Van Gogh qui le suppliait de rester à Arles, aurait fait tournoyer son sabre au dessus de la tête de ce dernier pour lui couper l'oreille sans qu'on puisse néanmoins savoir si ce geste fut volontaire ou accidentel. Les deux hommes se seraient alors accordés pour se taire et Van Gogh aurait ainsi inventé cette histoire d'automutilation pour protéger Gauguin.
Il est vrai que Vincent avait commencé par avoir à Arles un comportement bizarre, tantôt amorphe, tantôt coléreux, ce qui pourrait s'expliquer par une intoxication due au plomb contenu dans les tubes de peinture. A la suite de cette fameuse dispute, Van Gogh aurait pris le parti de ne rien révéler au sujet de ce malencontreux coup de sabre du fait que son admiration l'égard de Gauguin aurait été sans bornes. S'il avait dit la vérité, ce dernier aurait été condamné à une peine d'emprisonnement alors qu'il se serait évité d'être interné dans un asile de fous. Bref, tout aurait été différent. Gauguin n'aurait vraisemblablement pas été s'exiler du côté de Tahiti pour y finir une existence solitaire et Van Gogh aurait peut-être surmonté la terrible dépression dont il avait été affecté suite à cet incident pour ne pas ensuite mettre fin à ses jours, ce qui fait que l'histoire aurait changé du tout au tout. Toutefois, il n'en reste pas moins qu'il a été souvent bien tentant pour des petits malins de vouloir réécrire l'histoire dans le but de faire sensation et de gagner au passage pas mal d'argent.
En attendant, quand bien même cette théorie du coup de sabre pourrait paraître tentante, il resterait des questions plutôt pertinentes, sinon pernicieuses, à poser. Van Gogh avait notamment l'habitude de correspondre avec son frère Théo pour lui raconter souvent en détail ce qu'il faisait. Donc, il n'aurait pu s'empêcher de lui écrire une lettre pour lui indiquer, n'aurait-ce été qu'en termes voilés, qu'il ne s'était pas lui-même coupé l'oreille. Or, il n'y eut bizarrement aucune allusion allant dans ce sens dans les lettres que Vincent adressa à Théo. Par ailleurs, en l'hébergeant chez lui à Auvers-sur-Oise, le docteur Gachet avaitété vraisemblablement tenté de lui demander le comment et le pourquoi de son oreille mutilée et dans ce cas, il semble douteux que Vincent aurait pu continuer à rester mué dans le silence.En conclusion, la théorie des deux historiens d'art allemands risquera de trouver de nombreux détracteurs qui refuseront d'admettre autre chose que la version plus réaliste d'un geste de désespoir de la part de Van Gogh qui avait été déçu de voir que Gauguin ne voulait nullement répondre à ses attentes.