Samedi 11 juin, le quotidien "Le Monde" a révélé que l'ancien électricien Pierre Le Guennec et sa femme qui avaient affirmé avoir reçu en cadeau 271 oeuvres de la part du couple Picasso au début des années 1970 a été mis en examen pour recel le 3 mai dernier par le parquet de Grasse.
L'enquête menée par l'Office central de lutte contre les trafics des biens culturels (OCB) n'a pas cependant pas démontré clairement si ces oeuvres d'une valeur totale de plus de 80 millions d'euros avaient été vraiment offertes par Jacqueline Picasso ou volées par l'ancien électricien âgé aujourd'hui de 71 ans.
Après avoir gardé ses trésors sous le coude durant près de 40 ans, M. Le Guennec, qui avait travaillé pour le compte de Picasso de 1970 à sa mort, s'était décidé l'an dernier à les faire authentifier auprès des ayants-droit du peintre lesquels, stupéfaits de le voir en possession d'un tel trésor, avaient déposé plainte pour vol.
Demeurant à Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), les époux Le Guennec ont réfuté avec force avoir dérobé ces oeuvres jugées majeures datant des années 1910-1920 dont ils ignoraient d'ailleurs la véritable valeur alors que les enquêteurs ont découvert avec un certain étonnement qu'il figuraient parmi les héritiers de leur cousin Maurice Bresnu dit "Nounours" qui travailla comme le chauffeur de Picasso de 1967 à 1973 lequel lui aussi fut le récipendiaire de plusieurs oeuvres du maître lesquelles, à la requête de la Picasso Administration, ont été retirées d'une vente à Drouot à la fin de 2010.
Leur mise en examen ne signifie toutefois pas qu'ils soient accusés de vol d'autant plus qu'aucune plainte concernant la disparition de ces oeuvres n'avait été déposée depuis le début des années 1970 alors que la prescription pour un tel délit est de 30 ans.
Chargé de s'occuper de l'électricité, du système d'alarme et de divers travaux dans les maisons de Picasso situées sur la Côte d'Azur, M. Le Guennec aurait ainsi reçu 271 oeuvres au mas Notre-Dame-de-Vie à Mougins, où vivait alors le peintre entre 1970 et 1973. Selon ses dires, il les aurait oubliées dans son garage pendant quarante ans avant de les soumettre pour expertise à la Picasso Administration.
Parmi ces oeuvres figurent de nombreux dessins réunis en carnets, neuf collages cubistes, des gouaches, une trentaine de lithographies et des études de première importance pour les historiens d'art.
La mise en examen des époux Le Guennec a été motivée par "des contradictions" entre leurs déclarations sur les circonstances du don en leur faveur et des "éléments factuels" fournis par la Picasso Administration qui a signalé que les oeuvres prétendument offertes ne pouvaient se trouver à Notre- Dame-de-Vie mais plutôt à la Villa La Californie à Cannes où le couple Picasso ne résidait plus.
En outre, Picasso avait pour habitude d'offrir des oeuvres fraîchement réalisées qu'il signait au moment où il les donnait et non pas celles exécutées des années plus tôt, ce qui jetterait la suspicion sur ce cadeau plutôt royal, un ensemble dépourvu au passage de toute signature.
Selon les témoignages recueillis ça et là par les enquêteurs de l'OCB, Picasso n'était pas du genre à se séparer d'oeuvres majeures. Il existe cependant une exception puisque selon un témoignage paru dans le livre de Michel Georgs-Michel " De Renoir à Picasso" (Arthème Fayard) signalant qu'à l'issue d'une visite de l'auteur à son ateler de Montrouge un jour de 1917 alors qu'il était à Rome en compagnie de Diaghilev, Picasso s'était étonné sans mauvaise arrière-pensée que celui-ci n'eût pas pris la peine d'emporter quelques oeuvres comme souvenir après lui avoir demandé d'y aller prendre une vingtaine de toiles pour les apporter en Italie.
" As-tu vu mon chien à Montrouge", avait demandé Picasso.
- Oui, il est venu gentiment vers moi.
- Comment, il n'était pas attaché ? Et il n'a pas sauté sur toi ? Lui qui mord tout le monde ? C'est que vraiment il a senti un ami, tu sais...
- Par contre, les fenêtres de ton atelier étaient ouvertes et n'importe qui aurait pu entrer chez toi, choisir des toiles...
- Dis donc, j'espère que tu en as pris une dizaine pour toi ?
- Une dizaine ! Mais pas une, Pablo...
"Mais il fallait.. Pourquoi n'en as-tu pas pris ? Il fallait... Il fallait...", s'était écrié Picasso.
Par ailleurs, les enquêteurs ont été intrigués de relever que Jacqueline Picasso avait offert en 1983 la somme de 540 000 francs (plus de 150 000 euros d'aujourd'hui) aux époux Le Guennec en plus des oeuvres prétendument données dix ans plus tôt, ce que ces derniers ont omis de révéler durant leurs auditions.
Dernier point, les enquêteurs ont cherché à déterminer si Maurice Bresnu mort en 1991 avait fait entrer son cousin au service de Picasso et si les deux hommes auraient pu éventuellement s'arranger pour subtiliser des oeuvres de sa collection personnelle.
Pour l'instant, l'enquête suit son cours, le parquet n'ayant pu établir son dossier que sur des présomptions sans qu'une preuve de vol de la part des deux hommes ne puisse être établie formellement.
Faute de pouvoir prouver une provenance litigieuse de ces oeuvres, La Picasso Administration ne pourrait alors pas s'opposer à leur revente par les époux Le Guennec ou plutôt leus héritiers car la bataille judiciaire qui s'annonce risquera à tout le moins de durer plus d'une décennie.