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LE GLISSEMENT PROGRESSIF DE L'EMOTION DANS L'ART Par Adrian Darmon
05 Septembre 2014
Catégorie : TRANCHE DE L'ART

Il est patent que la signification d'une oeuvre d'art a considérablement évolué depuis le début du XXe siècle jusqu'à celui du XXIe d'autant plus que l'émotion ressentie par les humains s'est parallèlement transformée au fil des siècles.

En moins de cent ans, l'émergence de divers courants artistiques a donc considérablement modifié notre perception des oeuvres d'art en gommant des esprits le sentiment premier d'esthétisme pour désormais laisser la place à une réceptivité souvent basée sur des impressions et notamment les images subliminales de notre enfance.

En quelque sorte, le cerveau humain a subi une mutation comparable à celle de la société à travers les âges, à cette différence près que celle que le monde a vécue depuis la fin de la Première Guerre Mondiale a été marquée par une accélération foudroyante sur l'échelle du temps.

Pour se faire une idée plus précise de ce formidable bond en avant, il convient de prendre la Préhistoire pour point de départ en signalant qu'entre 40 000 et 6000 ans avant J.-.C., l'art était resté pratiquement uniforme avec des représentations essentiellement pariétales issues de croyances quasiment communes qui furent le plus souvent axées sur le mystère du ciel et de la terre.

Avec ses étoiles et la nuit succédant au jour, le ciel marqua d'emblée les esprits autant que les événements surnaturels alors que la terre nourricière devint le royaume de l'Homo Sapiens confronté à un environnement sauvage où les animaux devinrent à la longue mythiques à ses yeux.

Par exemple, les représentations de bisons, rhinocéros, mammouths ou chevaux sauvages sur les parois des grottes des cavernes préfigurèrent ainsi celles des temples égyptiens avec leurs oiseaux, taureaux, serpents et autres animaux élevés au rang de dieux.

Les peurs, les croyances et le mystère s'installèrent durant des millénaires dans les esprits des humains pour déboucher alors sur divers cultes religieux selon les régions concernées.

Les hommes tentèrent donc très tôt de percer le mystère de leur origine tandis que les chamans de la Préhistoire furent en quelque sorte les premiers prêtres officiants de la planète et que les cavernes décorées de peintures rupestres devinrent les premiers temples de l'histoire de l'humanité.

La croyance brute diffusée oralement durant plus de 40 000 ans devint enfin codifiée et réglementée par l'entremise de scribes et de prêtres qui mirent au point des symboles gravés sur les murs des temples en Mésopotamie et en Egypte jusqu'à l'élaboration d'un alphabet qui essaima  à travers le bassin méditerranéen.

Du chef de tribu ayant acquis son statut par la force et sa domination sur ses semblables, les hommes passèrent lentement à la mise en place de la royauté héréditaire à partir du moment où ils se mirent à cultiver la terre et à construire des habitats en dur.

Du village on passa ainsi progressivement à la cité avec ses palais, ses temples, ses maisons et ses rues tandis que l'écrit devint l'apanage des élites.

L'art suivit le mouvement avec des représentations humaines sommaires puis de plus en plus élaborées pour aboutir à des sculptures étonnamment réalistes tandis que les dieux prirent plusieurs formes souvent à l'image de l'homme avec des symboles qui leur furent associés pour les désigner.

De 5000 avant J.-C. à 300 après, l'art fut avant tout religieux avec toutefois des représentations de rois, de notables, de prêtres, de scribes, de militaires ou de personnes appartenant à des corps de métier ou encore d'esclaves. Jusqu'à l'an 500 avant J.-C. il eut une connotation quelque peu ethnique selon que les hommes se trouvaient en Mésopotamie, en Perse, en Egypte, aux Cyclades ou ailleurs.

Fondamentalement, l'art demeura religieux pour de nombreux peuples sauf pour les Hébreux puis plus tard les Musulmans chez qui les symboles et les signes se substituèrent aux représentations humaines.

Le mythe des idoles égyptiennes, hittites, grecques ou romaines furent remplacés dans la religion chrétienne par la glorification du Christ, de la Vierge ou des apôtres pour asseoir la domination de l'Eglise sur l'art durant plus de douze siècles jusqu'à la Renaissance où le concept d'humanisme modifia la vision du sacré au profit d'un esthétisme émouvant. Dès lors, la notion du beau prit une autre dimension en reléguant des esprits la soumission à la dévotion pure pour mettre en avant une admiration inconsciente des oeuvres laquelle se révéla pleinement dans les représentations mythologiques ou des épisodes de la Bible vues non plus sous l'angle légendaire mais comme des scènes peintes avec virtuosité propres enfin à susciter des émois affectifs.

L'éclosion de l'esthétisme émotionnel prit encore plus d'ampleur avec la vogue des portraits expressifs ou des paysages plutôt bucoliques. Certains oeuvres devinrent ainsi des réceptacles d'émotions comme le tableau de Van Eyck de 1434 représentant les époux Arnolfini chez eux dans lequel on vit le visage de l'artiste se reflétant dans un miroir concave, la Vénus de Botticelli, peut-être aussi impudique à la fin du 15e siècle que l'Origine du Monde de Courbet peinte quatre siècles plus tard, la Mona Lisa au sourire si mystérieux de Léonard de Vinci, les scènes audacieuses du plafond de la Chapelle Sixtine de Michel-Ange ou ses sculptures prodigieusement vivantes, les tableaux de Raphaël empreints de sensibilité, l'enfer vu par Jérôme Bosch, les fouilles grouillantes des panneaux de Pieter Brueghel, les Christ dégingandés du Gréco, les sacrilèges du Caravage qui osa prendre des gens du peuple comme modèles pour représenter le Christ ou des saints, l'introspection de Rembrandt dans ses autoportraits, la propension de Rubens ou de Frans Hals à peindre des sujets bien en chair, la peinture sociale des Le Nain, les visages éclairés des sujets de Georges de La Tour, la déclinaison du temps qui passe dans les intérieurs vivants de Vermeer ou de Pieter de Hooch, les paysages idylliques de Poussin ou Claude Gellée, la nature vue par Pieter Post ou Ruysdaël, le monde de la comédie vu par Watteau, la mise à l'honneur de l'érotisme par Boucher et Fragonard, le triomphe du néoclassicisme avec David, la violence de Füssli ou de Goya, l'émergence du Romantisme puis de l'Impressionnisme avant celles du Cubisme, du Fauvisme, du Futurisme, de l'abstraction ou du Surréalisme pour aboutir enfin à l'avènement du Pop Art au début des années 1960.

L'Eglise avait donc totalement imposé ses canons dans l'art jusqu'au tournant du 16e siècle pour perdre ensuite sa domination dans ce domaine au fil des décennies lorsque l'émotion face à une oeuvre devint de plus en plus un facteur subjectif essentiel lequel prit plus de force à partir de la Révolution de 1789 malgré les contraintes imposées dès lors par l'ordre bourgeois qui régna durant plus d'un siècle.

Jusqu'au début du 20e siècle, les émotions furent ainsi canalisées par les pouvoirs en place en Europe soucieux du respect de la morale qui imposèrent des limites à la création, ce qui n'empêcha pas des artistes à oser les franchir à travers des styles innovants ou franchement audacieux aux yeux de leurs contemporains.

La lumière et les ciels de Turner, la profondeur des paysages de Constable provoquèrent l'étonnement avant de conquérir les émotions basées longtemps sur l'esthétisme et la véracité des sujets peints.

L'Impressionnisme et l'art impudique de Courbet choquèrent les consciences bourgeoises réfractaires aux sensations dérangeantes car engoncées dans des certitudes figées qui furent toutefois absentes dans l'Amérique naissante qui adhéra rapidement aux nouvelles formulations artistiques jugées décadentes en Europe.

La révolution engendrée par le Cubisme fut encore plus difficile à avaler puisque ce nouveau concept parut vraiment anachronique au regard d'un public conditionné par un académisme soi-disant de bon aloi alors que le pointillisme fut jugé comme un exercice de style sans grand intérêt et que le Fauvisme fut décrié tout autant que l'Expressionnisme pratiqués selon les critiques du temps par des peintres dénués de talent considérés comme de vulgaires barbouilleurs, des mouvements que seuls des intellectuels éclairés appréhendèrent en constatant que la peinture pouvait être vue sous un prisme totalement différent.

En fait, l'art ne fit qu'accompagner les bouleversements du début du 20e siècle marqué par l'avènement de l'industrialisation, des avancées technologiques et surtout de l'accélération du temps qui bouscula des dogmes édictés selon le principe d'une continuité jugulée pour être acceptable.

Le rétrécissement des périodes d'évolution eut pour effet de modifier les comportements des individus dont les déplacements avaient été longtemps limités à un périmètre donné vu que jusqu'au début des années 1840, rares avaient été ceux qui dans leur vie s'étaient éloignés de plus de 50 kilomètres de leur lieu de résidence jusqu'à donc l'apparition du chemin de fer qui permit des déplacements plus longs et plus rapides.

Le fait de pouvoir voyager plus loin permit de découvrir de nouveaux lieux et de nouvelles contrées alors qu'à partir des années 1870, les traversées des mers devinrent monnaie courante, ce qui modifia en retour le regard des gens sur les choses.

Jugé risible jusqu'au début de la Première Guerre Mondiale, le Cubisme fut assimilé par un plus grand nombre d'individus devenus aptes à s'affranchir d'un esthétisme convenu pour alors pouvoir interpréter les formes nouvelles et les analyser.

Les progrès foudroyants enregistrés avant, durant et après le conflit mondial entraînèrent des changements considérables au sein de la société et permirent l'éclosion de nouveaux mouvements artistiques comme l'abstraction avec Kandinsky et Mondrian, le Suprématisme avec Malevitch ou le Surréalisme avec les artistes du groupe Dada et ceux regroupés sous la houlette d'André Breton tandis que les Futuristes avaient émergé en Italie en interprétant la vitesse, que Delaunay avait développé ses formulations chromatiques alors que Duchamp s'était plu à remettre en question les idées reçues en décrétant que tout était art pour élever notamment un simple urinoir au rang d'une sculpture iconique.

En moins de 30 ans, la perception de l'art restée pratiquement immuable depuis la Renaissance fut profondément bouleversée puisque l'esthétisme ne devint plus un critère essentiel de goût et d'émotion, pas plus que l'académisme, synonyme de travail bien fait, qui avait servi de base à la peinture pour devenir désormais dépassé.

On ne niera pas que le public en général resta encore attaché aux belles images d'antan sans être vraiment réceptif aux nouveaux mouvements artistiques que certains critiques osèrent encenser mais des foyers de résistance persistèrent en Europe et furent si forts que les milieux conservateurs parvinrent à imposer leurs vues pour déterminer ce qui était permis, que ce fut en France où nombre de journaux fustigèrent les artistes novateurs ou en Allemagne avec l'arrivée des nazis au pouvoir qui dès 1933 s'acharnèrent à dénoncer les créateurs d'un art jugé dégénéré pour ensuite vider les musées allemands de leurs oeuvres en les remplaçant par d'autres répondant aux critères définis par un régime autocratique. Il en fut de même en Union Soviétique où la Révolution de 1917 entraîna un formidable élan artistique riche en innovations de toutes sortes qui fut malheureusement brisé peu après la main mise sur le pouvoir par Staline lequel imposa un art socio-réaliste à la gloire du communisme et du culte de sa personnalité.

La mise sous tutelle de l'art durant la période d'avant guerre tant en Allemagne qu'en URSS ou en Italie mit les goûts de leurs citoyens sous l'éteignoir tandis qu'ailleurs en Europe, le public demeura dans sa grande majorité fidèle au concept d'un art gentillet provoquant des émotions restées primaires.

Ce qui pouvait sembler beau était alors censé servir au bonheur de chacun alors que la scène artistique continua à fonctionner comme dans un vase clos accessible à un nombre restreint d'intellectuels et de collectionneurs avisés disposant le plus souvent de moyens suffisants pour miser sur des artistes mis en avant par des critiques visionnaires tels Picasso, Matisse, Braque, Léger et d'autres qui avaient osé s'aventurer en dehors des sentiers de l'art officiel de leur temps.

La Seconde Guerre Mondiale constitua un nouveau tournant avec d'un côté une Europe meurtrie par ce conflit sanglant et de l'autre, des Etats-Unis épargnés par ses ravages et en pleine expansion économique.

Déjà installés dans le confort malgré la crise de 1929, les Américains étaient déjà partis à la conquête d'un bien-être idyllique avec le sentiment que rien ne pourrait briser leur marche en avant. Dans un pays ne pataugeant pas dans les scories du passé, les artistes des Etats-Unis se virent offrir la possibilité d'ouvrir les portes de la liberté en produisant des oeuvres franchement abstraites après que leurs aînés eurent assimilé les influences venues de France et d'autres pays d'Europe.

Nantis d'un regard neuf et surtout conscients du déclin européen, les critiques d'outre-Atlantique appuyèrent sans réserve ces artistes qui allaient devenir les stars d'un marché de l'art encore balbutiant qui quarante ans plus tard allait devenir hautement spéculatif.

Jackson Polloock, Jasper Johns, Willem de Kooning, Mark Rothko, Barnet Newman, Robert Rauschenberg et d'autres avant-gardistes ouvrirent la voie à une nouvelle révolution artistique en faisant reculer l'émotion au profit de sensations visuelles tandis qu'en France, Bernard Buffet imposait sa figuration triste et que Picasso faisait de plus en plus cavalier seul après la disparition de Matisse, de Léger puis de Braque, Nicolas de Staël demeurant le seul à se montrer capable de rivaliser avec les Américains sauf qu'épuisé à tenter de sortir de son isolement, il se donna la mort au moment même où le succès lui tendait les bras.

Le redressement économique de l'Europe de l'Ouest durant les années 1960 marquèrent l'avènement de la société de consommation déjà triomphante aux Etats-Unis, ce qui provoqua une nouvelle rupture dans les comportements. Les émotions suscitées par le Jazz avaient déjà progressivement influencé les jeunes devenus de moins en moins réceptifs à la musique dite populaire. L'arrivée du Rock eut des répercussions encore plus brutales sur ceux-ci pour les amener à devenir plus contestataires tandis que les films noirs ou à l'eau de rose perdirent de leur impact suite à l'émergence de la Nouvelle Vague du cinéma français.

Dans le domaine de l'art, le nouveau grand bond en avant survint avec le Pop Art, un melting pot des condensés de la société de consommation via la publicité, les images chocs, les produits essentiels de la vie courante et la BD.

Né paradoxalement au milieu des années 1950 en Grande-Bretagne où la jeunesse se débarrassa des oripeaux des vieux diktats victoriens pour saluer l'avènement du "Swinging London", le mouvement Pop prit son essor aux USA avec des artistes comme Roy Lichtenstein et surtout Andy Warhol, un homme issu du monde de la publicité qui reprit à sa façon l'exemple de Duchamp pour faire de l'art un produit de consommation en multipliant ses oeuvres à l'envi avec l'aide de nombreux assistants.

L'introduction du marketing ou du happening dans les productions artistiques fit l'effet d'un séisme sur le marché de l'art resté confidentiel depuis des lustres. Il fallut ainsi attendre le milieu des années 1980 pour voir celui-ci devenir une annexe des places financières à la suite de records enregistrés dans des ventes publiques pour des oeuvres de Van Gogh et d'autres peintres légendaires qui enflammèrent la planète et incitèrent nombre de millionnaires à s'affronter dans des duels d'enchères mémorables.

L'avènement du Pop Art intervint au moment de la disparition de Picasso, le dernier des géants de la peinture qui influença une multitude d'artistes sans toutefois avoir jamais d'élèves, pour modifier alors en profondeur la perception des oeuvres d'art.

Le niveau des émotions a longtemps évolué avec le temps après avoir été marqué au départ par le sentiment religieux entre le Moyen Âge et la Renaissance pour devenir ensuite de plus en plus subjectif au fil des décennies.

L'émotion ressentie devant une oeuvre par un individu du 16e siècle n'est donc en rien comparable avec celle d'un quidam du 21e siècle influencé par les révolutions technologiques de son époque d'autant plus que les oeuvres actuelles n'ont strictement plus rien à voir avec les productions d'un passé lointain. N'empêche, l'homme d'aujourd'hui éprouvera des sensations différentes selon qu'il se trouve devant une oeuvre contemporaine ou un tableau ancien.

Ce constat va de pair avec notre perception des odeurs lorsqu'on déambule dans une ville, bien différentes aujourd'hui des effluves qui envahissaient les cités il y a plusieurs siècles où les rues, souvent transformées en cloaques, exhalaient une puanteur sans nom.

Nos ancêtres se lavant peu, on imagine avec peine les odeurs que ceux-ci dégageaient et l'environnement crasseux inimaginable dans lequel ils évoluaient même en lisant les "Embarras de Paris" de Boileau ou d'autres récits sur la vie des individus d'antan. Par ailleurs, les gens instruits furent peu nombreux jusqu'au début du 19e siècle, ce qui signifie que pour sa part, la perception de l'art se manifesta surtout parmi les élites.

L'évolution de l'émotion vis-à-vis les oeuvres d'art a été de pair avec celle des individus devenus plus éduqués à partir du début du 19e siècle, ce qui revient à dire que six siècles plus tôt, une peinture de Giotto dans une église ne suscitait probablement parmi les fidèles qu'un sentiment de religiosité pour demeurer ensuite aux siècles suivants un simple témoignage de respect en regard de peintures plus abouties qui elles aussi provoquaient une sensation liée à la dévotion religieuse. Bref, ce que pouvait ressentir le spectateur d'un film de Charlie Chaplin en 1920 ne serait en rien comparable avec le sentiment qu'on éprouverait aujourd'hui. Il y a près d'un siècle, les ressorts comiques étaient basés sur les déconvenues d'un petit émigrant confronté à la misère cherchant péniblement à se sortir d'une situation hasardeuse. Aujourd'hui, on rit toujours des mésaventures de Charlot mais avec un oeil bien plus distant, ce qui signifie que les rires que celui-ci provoquait alors étaient à l'image de ce que les gens expérimentaient dans la vie quotidienne de cette époque qui n'a rien à voir avec celle de 2014.

L'émotion que procure à présent une oeuvre d'art contemporaine est donc à mille lieues de celle qui pouvait saisir nos aïeux face à un tableau remarquable. En fait, cette subjectivité s'est retrouvée transformée par des marqueurs qui n'existaient pas jusqu'à la fin du 19e siècle, une époque où la mémoire ne retenait que des images fixes et des souvenirs souvent fugaces. Par contre, le cinéma et la télévision ont ensuite modifié profondément la fixation des images dans les cerveaux des individus. A cela se sont ajoutées les images subliminales de la publicité et celles des bandes dessinées retenues durant l'enfance abondamment utilisées par le Pop Art pour transformer la notion d'émotion et la remplacer par un sentiment diffus déclencheur de souvenirs devenus indélébiles.

Les images iconiques des stars représentées par Warhol ont ainsi eu un impact puissant sur les esprits, tout comme les reproductions de grandes marques de produits consommation telles Campbell's Soup, Coca Cola, Brillo et autres qui ont envahi le quotidien des individus depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

On ne s'est dès lors plus retrouvé dans l'émotion pure ni même dans le sentiment au sens propre du terme mais dans l'impression ressentie d'être en phase avec les oeuvres et par ricochet avec son époque puisque nombre d'artistes ont traité de thèmes relatifs à la société, à l'actualité et aux conflits mondiaux tandis que d'autres, créées avec le souci de provoquer, ont suscité des interrogations existentielles.

De plus, l'art est devenu un produit de consommation, surtout pour les plus fortunés qui l'ont assimilé à une valeur financière, nonobstant le fait que l'architecture des villes, le design des objets et les publicités ont pris une tournure très artistique. On vit dans l'art, on le respire mais on ne le regarde plus comme jadis, l'émotion ressentie à travers une oeuvre ayant donc été remplacée par des impressions devenues ancrées dans nos esprits.

Quand on regarde une Marilyn ou une Liz de Warhol, on est loin de ressentir l'émotion que peut procurer un tableau de Rembrandt ou d'un autre maître ancien légendaire puisqu'on pense d'abord à la célèbre star de cinéma, à sa vie, à sa gloire ou à ses amours. Quand on se trouve face à une bouteille de Coca Cola peinte par le même artiste, on se réfère avant tout à la boisson et éventuellement au prix mirifique de ce tableau. Quand on est devant un requin plongé par Damien Hirst dans un aquarium rempli de formol ou devant une étagère avec des médicaments bien rangés par cet artiste, on ne peut pas prétendre ressentir une émotion mais plutôt une sensation de curiosité mêlée d'interrogation. De même, on ne peut pas dire que le bleu d'Yves Klein soit propre à nous transporter pour nous faire vibrer. Là encore, il s'agit plutôt d'une sensation. Quant aux tableaux de Basquiat, ceux-ci nous font plus réfléchir que rêver pour essayer de comprendre leur message. Tout ça pour dire que l'émotion reste plus palpable dans la figuration que dans l'abstraction et d'autres formes d'art actuelles qui nous invitent à essayer de les interpréter surtout à travers des impressions.

Adrian Darmon

 

 

 

 

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