Le Musée de la Tate Modern de Londres présente jusqu'au 19 janvier 2011 une rétrospective consacrée à Paul Gauguin (1848-1903) en insistant quelque peu sur la présence de l'artiste dans son oeuvre.
Il a fallu attendre un demi siècle pour que Londres accueille une exposition sur Gauguin, peintre rebelle et mal compris par ses contemporains qui s'évertua à définir une nouvelle forme de peinture sans pour autant parvenir à devenir le chef de file respecté d'un mouvement.
Figure emblématique de l'Ecole de Pont-Aven mais trop indépendant de caractère, Gauguin ne parvint pas à fédérer autour de lui les peintres qui travaillèrent dans les environs de ce village breton. Ainsi, ses rapports avec Meyer de Haan furent ambigus, l'artiste allant jusqu'à exprimer ses sentiments antisémites dans les portraits du peintre néerlandais qu'il brossa en le représentant une ultime fois de mémoire en diable roux en 1902 aux Marquises. Quant à sa relation avec Van Gogh, celle-ci fut catastrophique, ce dernier allant jusqu'à se mutiler l'oreille à l'issue d'une dispute orageuse à Arles.
Voyant tout en noir, le vindicatif Gauguin se laissa vite aller à se poser en victime de la société de son temps pour aller finir ses jours dans la solitude aux Îles Marquises, un paradis artificiel qui devint finalement un enfer pour cet artiste talentueux mais impossible à vivre en raison de son caractère imbuvable.
Plus que Van Gogh qui tortura la matière à profusion, Gauguin se mit directement en scène dans plusieurs de ses oeuvres en exprimant des 1889 avec un pinceau rageur ses sentiments d'écorché vif comme dans son autoportrait en Indien ou dans "Le Christ au Jardin des Oliviers".
Plus que tout autre artiste, Gauguin fut un homme ambivalent en essayant tant bien que mal de mener au départ une vie bourgeoise comme courtier en bourse et père de famille attentionné avant de changer radicalement de cap en tournant brutalement le dos à une vie bien rangée pour devenir un artiste vagabond cherchant le contact de la nature avec l'appétit d'un chevalier parti à la conquête du Graal.
Des rêves, Gauguin en avait plein la tête mais ceux-ci devinrent chimérique en raison de son incapacité chronique à composer avec ses semblables. Perdant ainsi toute lucidité, il préféra se mettre à l'écart du monde à des milliers de kilomères de la civilisation occidentale pour mener l'existence d'un sauvage blanc dont le seul plaisir fut de se constituer une sorte d'ashram avec de jeunes et peu farouches vahinés tout en ayant maille à partir avec l'administration coloniale.
A travers sa peinture, il se créa une légende tout en étant convaincu d'être un grand artiste bien que se sachant mal aimé et éloigné de Paris. Sans cesse mû par une rage intérieure, il peignit de nombreux chefs d'oeuvre qui ne furent appréciés à leur juste valeur esthétique qu'après sa mort et ce, en s'inspirant parfois des maîtres qui l'avaient marqué à ses débuts tel Manet qu'il réinterpréta à sa façon en 1892 dans "Manao tupapau" (L'Esprit des morts veille).
Ce sont toutes les interrogations de son existence qu'on retrouve dans l'oeuvre de Gauguin comme si celui-ci avait trouvé une formulation adéquate pour décliner des thèmes particuliers. Sa peinture fut ainsi aussi sauvage que lui-même pour classer définitivement à part cet aventurier de la vie et de l'art qui fut constamment à la recherche d'un Eden impossible à atteindre tout en allant se permettre de peindre de l'herbe en rose ou rouge, un Christ en jaune, des visages en vert tout en instillant un profond exotisme dans ses toiles.
Hableur, indécent, provocateur, un brin méchant, plutôt anarchiste, Gauguin choisit d'emprunter une sorte de chemin de croix pour essayer de trouver le salut à travers une peinture férocement novatrice jusqu'à créer un mythe autour de sa personne. D'ailleurs, le titre de cette exposition "Gauguin, maker of myth" paraît bien à cet égard être des plus explicites.
Adrian Darmon