Les professionnels du marché de l'art ont reçu ce 1er juin 2011 un véritable coup de massue sur la tête en apprenant l'adoption d'un amendement par plusieurs députés de la majorité élargissant l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) aux oeuvres d'art jusqu'ici exemptes de cette taxe.
Autant dire que si cet amendement était adopté par l'Assemblée nationale et le Sénat, le marché parisien ne manquerait pas de connaître un marasme sans précédent juste au moment où il venait de reprendre vigueur car les grands collectionneurs seraient alors tenté de s'expatrier ou de dissimuler leurs collections aux yeux du fisc en allant les mettre à l'abri à l'étranger ou au port franc de Genève où ils vendraient des oeuvres en toute discrétion. De plus, cette disposition favoriserait à coup sûr l'essor d'un marché noir nonobstant le fait qu'elle serait des plus compliquées à appliquer.
En effet, on se demande déjà sur quels critères le fisc pourrait-il se baser pour imposer des oeuvres appartenant à des collectionneurs qui seraient en leur possession depuis plus d'une quinzaine d'années sans compter que les valeurs de celles-ci ne peuvent être établies avec certitude que sous le feu des enchères. Faudrait-il alors envoyer des équipes d'appréciateurs chez chaque collectionneur ?
En outre, il ne faut pas oublier que nombre d'oeuvres ont été achetées par passion par leurs possesseurs quand bien même il est devenu patent que le marché a attiré de purs spéculateurs depuis une décennie. ce serait alors pénaliser des amateurs qui ont placé l'essentiel de leurs économies dans l'art rien que par plaisir sans être vraiment riches pour autant.
Il convient tout de même de signaler que les prix des oeuvres sont fluctuants et que le marché de l'art ne génère pas de plus-values rapides même si sa croissance est exponentielle à travers le monde, où la France serait pratiquement le seul pays à les imposer dans le cadre de l'ISF.
Les députés qui ont signé cet amendement n'ont ainsi pas pris conscience du danger de couler le marché parisien du fait que les collectionneurs les plus riches n'auront certainement pas attendu son application pour se soustraire sans trop de difficulté à l'ISF en laissant les véritables amoureux de l'art trinquer à leur place. Ils ont aussi omis de se rendre compte que le marché français qui a généré 673 millions d'euros de CA l'an dernier a sans cesse reculé face à la Chine, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne en ne prenant au passage qu'un maigre pourcentage de 2,5% de parts du marché de l'art contemporain.
Ne se privant déjà pas d'encaisser une taxe de plus-value de 5% chaque fois qu'une oeuvre détenue depuis moins de 12 ans est vendue au-delà du seuil de 5000 euros, l'Etat serait confronté à un incroyable casse-tête s'il en venait à appliquer l'ISF sur les oeuvres d'art en pénalisant chaque année des collectionneurs qui seraient alors nombreux à se défaire de leurs oeuvres une fois pour toutes. Bonjour la sauvegarde du patrimoine !
Il y a à travers la planète quelque 300 millions d'amateurs, collectionneurs et professionnels contre à peine 500 000 après la Seconde Guerre Mondiale, ce qui démontre l'extraordinaire essor de l'industrie culturelle dont des députés à la vue basse signeraient l'arrêt de mort de celle de la France. Ceux-ci ont eu ainsi le tort de se focaliser sur les ventes de prestige et les records obtenus aux enchères pour croire qu'il serait aisé de taxer des plus-values réalisées par quelques centaines de spéculateurs en oubliant que les collectionneurs, les vrais, agissent essentiellement en faveur de la préservation du patrimoine culturel du pays.
Encore une fois, certains députés ignorant la spécificité du marché de l'art, ont donc remis l'intégration des oeuvres d'art dans l'ISF sur le tapis. Heureusement, les chances de voir cet amendement être adopté sont minimes mais il n'en reste pas moins que cette proposition contestable allant à l'encontre des intérêts du marché français aura causé un vif émoi parmi les professionnels et collectionneurs français, notamment ceux âgés en moyenne de 35 ans qui ont misé sur l'art contemporain. Avec les oeuvres d'art dans l'ISF, la FIAC et autres salons seraient ainsi privées d'acheteurs dégoûtés de voir leur passion soumise à une taxe sans compter que nombre de galeristes et intervenants n'auraient plus d'autre choix que de mettre leur clé sous la porte. En outre, les pièces importantes relatives à d'autres domaines de l'art finiraient par alimenter les marchés étrangers tandis que les collectionneurs deviendraient paranoïaques vis-à-vis du fisc au point de ne plus prêter leurs oeuvres pour de grandes expositions ou de les donner en dation à l'Etat pour régler des frais de succession.
On a vu que l'ISF avait causé des drames parmi des gens modestes après la hausse continue des prix de l'immobilier et de terrains constructibles, comme cela a été le cas pour des propriétaires de surfaces à l'île de Ré. Cette fois, ce serait des gens ayant amassé durant des années des collections qui ne valaient pas grand grand chose au départ, comme des photographies, des livres, des peintures et autres objets atteignant désormais des sommes conséquentes aux enchères et dont ils seraient forcés de se séparer pour payer un impôt sur le fruit de leur passion.
Dans le même temps, l'Assemblée a entériné la Directive des Services visant notamment à la libéralisation des Ventes aux Enchères électroniques, une réforme qui gênera à coup sûr les activités classiques des maisons de vente si elles n'étendent pas leurs activités à l'Internet.