Le 12  décembre à l'Hôtel Drouot, le groupe Collin du Bocage a proposé sans le savoir  une fascinante énigme, non pas concernant le groupe en bronze attribué  généreusement à Adrien de Vries (1546?-1626), resté en rade à la moitié de son estimation  basse de 150.000 euros, mais plutôt avec le lot 294, bizarrement non illustré  au catalogue de la vente, en l'occurrence une miniature peinte sur vélin datée  de 1578, donnée comme une école anglaise du 17e siècle ;

     
    L'expert  de la vente n'avait apparemment pas été sûr de son fait en se contentant de  mentionner sur sa fiche descriptive qu'il s'agissait du portrait d'un jeune  homme en collerette avec sur les bords de la miniature l'inscription à l'or 1578 S. Tabula daretur digna Animus  mallen AE S.(pour Aetatis Suae)18.
     
    Lors de  l'exposition précédant la vente, mon pouls s'est subitement accéléré à la vue  de cette miniature en constatant que l'écriture habilement tracée sur sa  miniature, son fond bleu et le traitement du sujet représenté coïncidaient  typiquement avec le style inimitable du grand miniaturiste anglais de l'époque  élizabétaine Nicholas Hilliard, ce que l'expert avait omis de détecter  puisqu'il aurait alors indiqué au catalogue « école ou suiveur » de  cet artiste.
     
    En  outre, notre cher spécialiste avait manqué cruellement de clairvoyance en la  circonstance car il lui aurait suffi de taper « animus mullem » sur  Google pour découvrir que cette mention figurait sur le portrait du philosophe  Francis Bacon, peint justement par Hilliard en 1578 qui figure aujourd'hui à la  National Portrait Gallery de Londres.
     
    Bref la  miniature ovale vendue à Drouot était semblable en tous points à celle du  musée, cependant à quelques infimes détails près, notamment sa dimension (7 cm  contre 6) et des boucles de cheveux imperceptiblement différents sans l'aide d'une loupe.
     
    Mais  alors, puisqu'il existe déjà une œuvre répertoriée à Londres, le portrait  adjugé à Paris n'aurait été qu'une copie peinte bien plus tard, ce qui ferait  croire que l'expert ne se serait pas trompé sur sa datation sauf qu'aucun  miniaturiste du 17e siècle n'avait eu l'idée de copier fidèlement  Hilliard, à part peut-être Isaac Oliver, qui fut son élève le plus doué.
     
    Néanmoins,  il n'a jamais été trop compliqué pour les spécialistes de faire la différence  entre les miniatures de Hilliard et celles d'Oliver alors que le seul copiste d'œuvres  du dernier quart du 16e siècle aurait plutôt été Bernard Lens, un artiste actif du  début du 18e siècle qui était loin d'avoir le talent de ces  miniaturistes hors pair.
     
    Il  suffisait donc d'examiner à la loupe les déliés remarquables de l'inscription à l'or sur  la miniature, le traitement de la bouche du personnage, de la couleur de son  visage, des cils, des cheveux, de la collerette et de son pourpoint pour ne pas  avoir de doutes sur l'identité de son auteur alors qu'on sait que les  miniaturistes étaient amenés à créer des doublons de leurs œuvres, considérées  quelque peu comme des souvenirs à offrir à leurs proches ou à porter sur soi, l'étude  des carnets de commandes d'artistes du 18e siècle ayant démontré qu'ils  peignaient parfois plus d'une demi-douzaine de répliques d'un portrait avant que la photographie ne vienne sonner le glas de l'art de la miniature à partir de 1850.
     
    Estimée  entre 3000 et 5000 euros, la miniature avait sans aucun doute attiré l'attention  de plus d'un connaisseur puisqu'elle a été adjugée à 8000 euros sans les frais  alors que si elle serait finalement authentifiée comme étant de la main de  Hilliard, elle en vaudrait entre 15 et 30 fois plus (il ya quelques années, une  miniature sur vélin représentant le roi Henri II donnée pour être une copie du  19e siècle avait été adjugée à Drouot pour 2200 euros avant de réapparaître à  la foire de Maastricht au prix de 360.000 euros comme étant de Hilliard)
     
    Hilliard  était tellement doué qu'il était donc parfaitement capable de reproduire une œuvre  sans qu'on puisse détecter de différences à l'œil nu, comme on l'a constaté  avec des miniatures dupliquées par des artistes au 18e siècle. Par  ailleurs, cette miniature provenait d'une collection française, ce qui n'a rien  d'étonnant sachant que Hilliard résida en France entre 1577 et l'été de 1578, d'abord  à Blois à la cour des Valois, puis à Paris où il fréquenta, vraisemblablement à titre honoraire du fait qu'il était étranger, la guilde des  orfèvres, considérée à l'époque comme bien plus prestigieuse que celle des  peintres (un orfèvre gagnait en moyenne 5 fois plus)
     
    D'autre  part, on sait d'après des documents et son autoportrait que l'artiste était un  bel homme du genre dandy porté à acheter des habits luxueux et à mener grande  vie au vu de ses constants besoins d'argent. De plus, on sait également qu'il  vint en France avec son épouse qui revint en Angleterre pour y accoucher d'un  enfant, et du jeune Francis Bacon puisque son portrait peint en 1578 le fut à  Blois ou à Paris. On peut donc raisonnablement penser qu'il demanda à Hilliard  de réaliser une réplique, peut-être pour l'offrir en gage d'amour à une jeune fille noble de la cour des Valois qu'il courtisait.

Autoportrait de Hilliard daté de 1577
     
    J'ai  toujours affirmé que pour bien connaître l'œuvre d'un artiste il fallait s'intéresser  aux diverses étapes de son existence. Déjà très apprécié de la reine Elizabeth 1ere mais  peu satisfait de ne pas être rétribué à la mesure de son talent, Hilliard  voulut probablement comme d'autres artistes de son temps explorer de nouveaux  horizons et sa venue en France lui permit assurément de se familiariser avec  les œuvres du grand miniaturiste François Clouet, moins chargées mais d'un  réalisme plus époustouflant que les siennes. Parlant bien le français, épris de  littérature et de poésie, Hilliard avait notamment eu aussi l'occasion de rencontrer  Pierre Ronsard avant son retour à Londres où il peignit des miniatures  empreintes d'un romantisme exacerbé comme le portrait d'un jeune homme à l'air  rêveur adossé à un arbre devant un rosier.

     
    En  attendant, le spécialiste qui a catalogué la miniature vendue à Drouot aurait  mieux fait de se décarcasser un peu plus pour l'étudier attentivement et jouer au  détective de l'art anglais du 16e siècle mais n'est pas Hercule Poirot ou Maigret qui  veut.
     
    Adrian  Darmon