Alonso
Cano est resté un artiste longtemps et injustement oublié alors que certaines de ses oeuvres
ont été attribuées à d'autres maîtres espagnols de la première moitié du 17e
siècle, Diego Velazquez qui est célébré actuellement à travers une
rétrospective organisée au Grand Palais.
Né à Grenade
en 1601, Cano fut pourtant l'un des artistes les plus importants du siècle d'or
avec Velázquez, Zurbaran et Murillo et le seul artiste baroque espagnol
dominant les trois arts majeurs : l'architecture, la sculpture et la peinture,
au point qu'il fut surnommé le Michel-Ange espagnol.
Après avoir émigré avec sa famille à Séville à l'âge de 14 ans, il étudia la
peinture avec son père qui était spécialisé dans la production de retables. Par
la suite il se retrouva dans l'atelier de Pacheco en compagnie de Velázquez
avec lequel il noua une amitié sincère
jusqu'à la mort de ce dernier.
Avant ou après
son apprentissage d'une durée indéterminée dans l'atelier de Pacheco tout
indique qu'il travailla dans l'entourage immédiat du grand sculpteur andalou
Martinez Montañes. Ses premiers travaux sont difficiles à déterminer car Alonso
Cano était moins précoce que son condisciple Velázquez.
Sa première
œuvre connue en peinture représentant Saint François de Borgia date de 1624
mais il est vraisemblable qu'il avait auparavant sculpté quelques Immaculées
Conceptions et autres saints très semblables à ceux de Martinez Montañes.
A partir de
1627, il obtint de nombreux contrats, tant en sculpture qu'en peinture, et peu
après, son prestige à Séville égala celui de Velázquez à Madrid. Ayant
travaillé à Séville jusqu'en 1638, il rejoignit ce dernier à la cour du roi à
l'instigation du Premier Ministre Gaspard Guzman, comte d'Olivares pour devenir
le professeur de dessin du Prince héritier.
A Madrid,
Getafe, Alcala de Henares et autres localités il exécuta un ensemble de
peintures assez variées (on ne connaît de lui aucune sculpture authentique de
cette époque madrilène) et réalisa certains travaux d'architecture aujourd'hui
disparus, entre autres le très souvent cité Arc de triomphe de Guadalajara.
En 1644,
accusé du dramatique assassinat de sa deuxième épouse, il dut s'enfuir pour se
réfugier au monastère de Porta Coeli avant de réapparaître huit mois plus tard à
Madrid où il reprit ses activités jusqu'en 1652 date à laquelle il rejoignit sa
ville natale en qualité de prébendier de la cathédrale.
A Grenade son
activité fut intense tant en sculpture, qu'en peinture et architecture. Dans
son atelier de la tour de la cathédrale de nombreux disciples exécutèrent des
copies à partir de ses dessins qui furent néanmoins loin d'atteindre leur
qualité.
Considéré comme un homme généreux, sincère et de grande foi, Alonso Cano,
conscient de sa valeur, manifesta parfois un caractère difficile vis-à-vis de
ceux qui n'étaient pas capables d'estimer son art. Il s'affrontea
souvent avec d'autres religieux pour pouvoir disposer du temps que son art exigeait
et en raison de sa mésentente avec le clergé, il préféra alterner sa résidence
entre Grenade et Madrid jusqu'en 1660 lorsqu'il parvint à résoudre ses litiges
avec celui-ci pour revenir définitivement dans l'ex-ville mauresque où il décéda dans la pauvreté
en 1667.
Fort connu et apprécié de son vivant, ses œuvres majeures et mineures (y
compris les dessins) étaient très recherchées comme l'ont démontré les
témoignages contemporains (contrats, inventaires, successions, anecdotes, biographies
souvent romancées) qui furent plus importants que ceux concernant la plupart
des autres artistes y compris de son ami Velázquez si l'on excepte pour ce
dernier sa vie de courtisan et ses voyages en Italie.
Les oeuvres de
Cano seraient restées hautement apprécié sauf qu'elles subirent par la suite de lourdes
pertes dues à des incendies, aux pillages des troupes de Napoléon, aux guerres
carlistes et à d'autres conflits qui eurent lieu en Espagne jusqu'à la première
moitié du 20e siècle.
Après sa mort, on commença à lui attribuer des œuvres médiocres puisque le premier livre
monographique qui lui fut consacré en 1948 contenait près de 50 % d'œuvres
apocryphes bien inférieures en qualité à ce qui lui revenait tandis que la
grande encyclopédie hispano-américaine Espasa de 1930 reproduisit 12 peintures dont 8 sont à présent inacceptables.
Le grand drame
posthume du corpus artistique d'Alonso Cano concerne l'adjonction d'un nombre considérable de peintures douteuses la plupart du temps de très mauvaise qualité et surtout le retrait d'œuvres majeures
données à Zurbaran, Velázquez, Ribalta,etc... Heureusement, l'excellent travail
de l'historien d'art américain Harold E. Wethey via son catalogue publié en 1955
permit de lui rendre enfin justice avec la rectification de certaines
attributions:
1. Sa première œuvre connue,
Saint François de Borgia (musée des Beaux-Arts de Séville) qui avait été
attribuée à Zurbaran jusqu'en 1946 date à laquelle apparut après nettoyage la
signature et la date : Alonso Cano 1624.
2. Un Saint Jean actuellement propriété de la mairie de Barcelone
(ex-collection Castells) avait aussi été attribué à Zurbaran jusqu'en 1945.
3.Les deux magnifiques Saint Jean et Saint Jacques du
musée du Louvre de Paris apparurent aux enchères chez Sotheby's à Amsterdam en
1977, attribués à Ribalta.
4 En 1992 le Musée National d'Art de Catalogne (MNAC) de
Barcelone présenta une collection de dessins avec à l'affiche un superbe
croquis de Saint Antoine le Grand attribué trois ans plus tôt dans les
catalogues à un artiste catalan Jean-Baptiste Perramon, puis identifié par
Alfonso Perez Sanchez comme une œuvre d'Alonso Cano.
5. En 1994 à Londres apparaissait le fleuron de la
méprise Cano/Velázquez, la fameuse Immaculée Conception, propriété du galeriste
parisien Charles Bailly, présentée comme Velazquez et réfutée par Alfonso Perez
Sanchez. Cette Immaculée provenait d'une vente parisienne Ader-Picard-Tajan en
1990 cataloguée "Cercle de Velázquez". Recalé aux enchères à Londres, le tableau disparut de la circulation pour réapparaître en 2009 à Séville,
acheté par la Fondation Focus-Abengoa comme un Alonso Cano. Moins d'un an plus
tard la publication Ars Magazine attribua définitivement l'Immaculée à Velázquez
dans un article signé par celui-là même qui avait permis l'achat de
cette toile considérée comme étant d'Alonso Cano.
Le 23 mars 2015,
25 ans après son apparition sur le marché parisien l'Immaculée a été présentée
comme un Velazquez au Grand Palais à Paris avec sa sœur jumelle sans compter, selon
Moreau, que des oeuvres d'autres artistes ont été attribuées à ce dernier comme
L'Education de la Vierge de l'Université
de Yale (Connecticut) peinte en
1617 qui contient tous les canons et archétypes de l'atelier ou
l'entourage de Juan de Roelas. Exemples
:La Main de Saint Joseph maladroite en forme de truelle de maçon. Les
fronts surélevés et de mauvaises proportions, les habits trop larges, les
orbites des yeux enfoncées, etc...etc...
On peut aussi
citer un portrait de gentilhomme vendu chez Bonhams qui laisse planer le doute
ou un portrait de Sebastian de Huerta à la mairie de Barcelone attribué à
Zurbaran jusqu'en 1945 avant d'être donné à Velazquez.
Selon l'historien
d'art Alain Moreau, toutes ces confusions ne sont pas innocentes alors que les
historiens ont souvent insisté sur le peu d'intérêt de Velázquez pour la
peinture religieuse pour ajouter que la justification de l'œuvre première à
Séville n'est que tardive, inégale et trop souvent clairsemée de lacunes. La
réunion des œuvres de Velázquez s'est donc transformée en un puzzle aléatoire
où la logique d'ensemble disparaît derrière la littérature appuyée par la
disparité des œuvres proposées.
Les sources sont
trop souvent récentes et peu solides. Si une œuvre ne présente pas dans son
aspect visuel les canons, les archétypes et les obsessions de son auteur, une
provenance insuffisamment justifiée ne donne aucune garantie. Il faudrait donc
réviser à la loupe, point par point, l'origine des premières œuvres (surtout
les religieuses) avant de s'envoler vers des interprétations trop subjectives
et de multiplier à l'infini les œuvres pourtant assez rares de Velázquez.
A l'exposition du
Grand Palais, un Saint Jean Baptiste dans le désert, propriété de l'Art
Institute de Chicago a été aussi présenté comme un Velázquez après avoir fait
trois fois la navette entre Alonso Cano et ce maître. L'avant-dernière
attribution à Cano par Alfonso Perez Sanchez paraissait correcte jusqu'à ce que
Javier Portus la contredise en publiant dans Ars Magazine une rectification
plus subjective que scientifique avec des arguments peu convaincants pour céder ainsi à la manie de la revue madrilène de nous offrir chaque six mois un
nouveau Velázquez.
Provenant quant à
elle d'un retable du Collège de San
Alberto de Séville, l'Immaculée Conception fut exposée en 1810 à l'Alcazar de
Séville. Salle 2, N° 60 du catalogue « Inventario de los cuadros sustraidos por
el Gobierno intruso en Sevilla el año 1810 » par Manuel Gomez Imaz. L'attribution de cette oeuvre d'Alonso
Cano par Perez Sanchez en 1994 devrait se maintenir mais en rectifiant la date
erronée de 1618 pour 1635/37.
Quant au Saint
Jean de Chicago, Moreau a tenu à rappeler qu'à Cincinnati (Ohio) distante de
400 kms de Chicago est exposé un autre Saint Jean d'Alonso Cano présentant les
mêmes caractéristiques. Celui-ci a pu échapper aux impostures car il est signé
d'un monogramme et répète les manies d'Alonso Cano avec sa sempiternelle
habitude de laisser la jambe gauche en avant et nue du genou jusqu'au pied,
sorte de contrapposto qui donne une dynamique à ses sujets, les Saint Jean de
l'artiste étant par ailleurs assez nombreux.