Dave Hickey, l'un des critiques
d'art américains les plus réputés, a décidé le 26 octobre 2012 de tourner
définitivement le dos au marché de l'art en l'accusant d'être perverti par
l'argent aux dépens de l'esthétisme et de la beauté.
Connu comme un défenseur passionné
de la beauté à travers de nombreux essais et conférences, Hickey, maintenant
âgé de 71 ans, a attaqué férocement le monde de l'art contemporain en déclarant
que n'importe qui ayant lu une BD de « Batman » serait qualifié pour
y faire carrière.
En conséquence de quoi, il a
décidé de quitter un monde qu'il a décrit comme « calcifié » et
surtout otage de riches collectionneurs qui n'ont aucun respect pour l'art.
« Versés dans le business des
hedge funds, ils investissent leurs énormes profit dans l'art. Ce n'est pas
vraiment pas sérieux et les journalistes d'art et critiques comme moi
d'ailleurs sommes devenus des sortes de courtiers qui allons de palace en
palace pour conseiller des millionnaires. Je n'ai donc plus de temps à perdre à
me fourvoyer de cette façon», a-t-il déclaré au journal britannique
« The Observer » en ajoutant que le monde de l'art avait acquis la
mentalité d'un touriste.
« Si je vais à Londres, tout
le monde veut me parler de Damien Hirst mais cet artiste ne m'intéresse
guère », a-t-il précisé tout en affirmant sans ambages qu'il était temps
de réduire la « merde » qui circulait sur le marché.
La virulente sortie de Hickey intervient
au moment où de nombreux conservateurs de musées et de galeristes d'art
contemporains ont commencé à se plaindre de l'offre de plus en plus croissante
d'œuvres d'artistes comme Tracey Emin, Marc Quinn ou Anthony Gormley devenus
célèbres et dont le succès semble vraiment exagéré.
Selon lui, les œuvres d'Emin sont
creuses mais il a été nécessaire de la défendre du fait que d'importantes
sommes d'argent ont été misées sur elle.
« L'argent et la célébrité
ont jeté une ombre sur le marché de l'art où les idées sont prohibées et où les
débats deviennent impossibles en raison de la collusion entre les
collectionneurs, les galeries, les marchands et les musées dont la
détermination est de maintenir la valeur et le statut de plusieurs
artistes », a-t-il souligné.
Hickey a déclaré espérer voir son
initiative devenir enfin le point de départ d'une entreprise visant à détruire
le système actuel qui ressemble de près au Salon de Paris du XIXe siècle où les
bureaucrates et les esprits conservateurs étouffaient dans l'œuf la création sans manquer d'indiquer que ce furent les Impressionnistes qui forcèrent un tel verrou pour
permettre l'émergence de l'art moderne et une nouvelle manière de voir les
choses.
« Nous avons besoin
d'artistes travaillant en dehors du système actuel pour commencer à voir le
monde d'une manière différente et remettre en cause des idées préconçues au
lieu de les renforcer », a-t-il ajouté.
Hickey a ainsi estimé que le
marché de l'art s'était trop élargi pour devenir inamical et manquer de
discrétion. « Les gagnants gagnent, les perdants perdent, on achève les
blessés et on se sauve soi-même. Voilà les règles », a-t-il indiqué.
Considéré comme l'enfant terrible
du monde de la critique, Hickey, qui a toujours été respecté pour son savoir,
ses idées, sa lucidité et son style, a estimé que le monde de l'art était
divisé entre ceux qui comparaient les œuvres de Raphaël à des graffiti et ceux
qui admiraient des graffiti en les comparant aux tableaux de cet immense
artiste qu'il préférait de loin.
Se souvenant de ses débuts dans
les années 1960, le critique américain a indiqué qu'il n'avait pas alors
compris que faire de l'art était devenu une activité bourgeoise.
« Je vendais de l'art hippy à
des collectionneurs et les artistes que je représentais sont maintenant devenus
des collectionneurs qui ont une belle maison et une belle voiture », s'est -il amusé à dire en indiquant qu'au début de sa carrière il avait rencontré des
artistes comme Richard Serra, Robert Smithson ou Roy Lichtenstein qui défendaient
férocement leurs œuvres, une attitude qu'on ne retrouve plus aujourd'hui.
Selon lui, les consultants en art
ne se soucient plus d'inviter les collectionneurs à se forger des opinions
alors que naguère, quand on contemplait une œuvre qu'on ne comprenait pas, on
se sentait obligé de deviner ce qu'elle représentait vraiment, ce qui n'est
plus le cas à présent, les collectionneurs préférant se reposer sur l'avis d'un
consultant.
Hickey ne se retirera pas
totalement du monde de l'art puisqu'il compte terminer un livre se rapportant
aux racines païennes de l'Amérique et contenant une sévère diatribe de la
chrétienté. Néanmoins, il ne veut plus entendre parler de business qu'il décrit
comme méchant et stupide en voulant se regarder dans le miroir et se dire qu'il
reste un intellectuel enfin droit dans ses bottes.
Adrian Darrmon